Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Cyrille Arnaud FOPA TAPON Cyrille Arnaud Université de Dschang Cameroun - Master 2012 |
Seconde partie :Les interventions contraires a l'etat de droit« Si la loi a perdu une grande partie de son prestige, cela ne tient pas seulement à la concurrence d'autres normes auxquelles elle est subordonnée, mais aussi aux dérives qui affectent son contenu»238(*). « Le premier mérite d'une bonne législation serait précisément qu'aucun dommage si léger qu'il fût ne demeurât sans réparation et aucun grief sans juge »239(*). Au lieu d'être l'expression de la volonté générale, et partant édictant des normes dans l'intérêt général, la loi240(*) est devenue le sanctuaire des déclarations dépourvues d'effet normatif réel et des dispositions normatives qui, loin de se borner à édicter des principes ou des règles générales de portée véritablement normative, « bricolent » un droit au jour le jour241(*) dont la finalité est de favoriser des intérêts individuels, afin de protéger une poignée (pouvoirs publics) au détriment de l'ensemble. Par ailleurs, le juge est celui qui subit ces égarements du législateur, puisque ce dernier l'oblige dans certains cas, lorsqu'il est appelé à statuer de jure sur les faits qui lui sont soumis, à se plier à la volonté du législateur. Dans une certaine mesure, le législateur a pris la fâcheuse habitude de s'ingérer dans les procès portés devant le juge administratif, lorsque les intérêts de l'Administration sont en cause. Si les motifs d'intérêt général justifient comme nous l'avons vu plus haut une certaine immixtion du législateur dans le jugement de certaines affaires, ces motifs d'intérêt général ne sont pas toujours poursuivis par le législateur lorsqu'il édicte des lois dont l'objectif est d'empêcher le juge administratif de statuer dans un litige dans lequel l'Administration est partie. Cela engendre des conséquences néfastes tant à l'égard du juge qu'à l'égard des administrés-justiciables, et plus largement sur l'Etat de droit. Mais, le législateur peut passer outre l'intérêt général qui fonde chacune des normes qu'il édicte et prendre des normes qui entravent le cours d'un procès voire la décision du juge. Ces immixtions injustifiées242(*) dans le domaine du juge administratif constituent ce que nous avons appelé les interventions contraires à l'Etat de droit. Par interventions contraires à l'Etat de droit, il faut entendre ici les ingérences du législateur qui ne sont pas motivées par des garanties constitutionnelles liées au respect du principe de la séparation des pouvoirs243(*) et par ricochet à l'indépendance de la justice, au principe de la prééminence du droit, au droit à un procès équitable et à la sécurité juridique. Quelles sont donc les interventions contraires à l'Etat de droit ? Les lois de validation, tout comme les lois interprétatives sont, comme nous l'avons vu en première partie de l'étude, perçues comme compatibles avec l'Etat de droit. Mais certaines dérives de la part du législateur peuvent affecter ces lois et rendre celles-ci contraires à l'Etat de droit244(*). Au regard de ces dérives, ces lois sont généralement inconstitutionnelles. Dans le cadre de cette partie, il conviendra pour nous d'identifier ces interventions contraires à l'Etat de droit, au regard de l'importance singulière que celles-ci revêtent. Il s'agit des lois d'immunité juridictionnelle (chapitre 3) d'une part et des lois expressément rétroactives (chapitre 4) d'autre part. * 238 MATHIEU (B.), « les validations législatives devant le juge constitutionnel : bilan d'une jurisprudence récente », article précité, p.780. * 239 HALLEYS-DABOT, Note sous C.E., 23 février 1870, Compagnie de chemin de fer d'Orléans, cité par BILONG Salomon, « Le déclin de l'Etat de droit au Cameroun : le développement des immunités juridictionnelles », in Juridis périodique n°62, avril-mai-juin 2005, p.52. * 240 La loi ici doit être entendue au sens large, ordonnance y compris. * 241 MATHIEU (B.), article précité, p.780. * 242 Dans la mesure où le législateur est seul juge de l'opportunité des lois, cela ne l'exempte pas du respect des garanties constitutionnelles liées tant à l'intérêt général, au droit à un procès équitable reconnu à tout justiciable y compris dans un procès dans lequel l'Administration est partie etc. le législateur peut, au nom de ces garanties prétendre que les normes qu'il édicte sont faites dans le respect de la Constitution, le juge constitutionnel devra donc être rigoureux dans le contrôle exercé contre ces immixtions. En dehors de l'intérêt général et de bien d'autres considérations admis par le juge constitutionnel, le législateur ne peut pas prétendre justifier son intervention par d'autres considérations dont il juge lui-même de l'opportunité ; auquel cas il sera dans l'inconstitutionnalité. * 243 Comme nous l'avons vu dans la première partie, afin d'éviter des conséquences désastreuses liées à une décision du juge, la nécessité de l'intervention du législateur l'exempte du respect de la séparation des pouvoirs. Mais dans la mesure où cette nécessité ne se fait pas ressentir, on considère qu'il y a atteinte à la séparation des pouvoirs * 244 Les lois de validation comme les lois interprétatives présentent certes une importance singulière, mais cela n'empêche pas que celles-ci puissent être exposées aux dérives du législateur. Elles subiront dans ce cas un contrôle plus rigoureux. |
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