Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Cyrille Arnaud FOPA TAPON Cyrille Arnaud Université de Dschang Cameroun - Master 2012 |
SECTION 2 : LE REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX TEXTES INTERPRETATIFSUne lecture soucieuse de la séparation des pouvoirs, de la Constitution - puisque la loi interprétative peut constituer une immixtion du législateur dans le champ de la justice (administrative) -, montre que le caractère rétroactif de cette loi fait problème199(*). C'est la raison pour laquelle, dans le but d'encadrer ces lois afin d'éviter tout risque d'abus de la part du législateur, la doctrine, complétée par la jurisprudence, a élaboré un régime juridique applicable aux lois interprétatives. Ainsi, pour que le législateur édicte une loi interprétative, ou pour qu'une loi soit qualifiée d'interprétative, un certain nombre de conditions doit être remplie (paragraphe 1). Ces conditions ne sont pas sans effet (paragraphe 2), au regard du caractère particulier (rétroactif) que ces lois présentent. Comme nous l'avons déjà dit dans nos propos introduisant ce chapitre, les lois interprétatives sont rares en droit administratif. Le régime juridique est donc l'oeuvre de la doctrine privatiste suivie par la jurisprudence civile et pénale. En droit camerounais, tant le juge administratif que le juge judiciaire n'ont pas une position établie quant à ce qui concerne le régime des lois interprétatives. Nous emprunterons donc au droit français et dans une certaine mesure au droit communautaire européen pour esquisser une réflexion afin de cerner le régime des textes interprétatifs. Nous essayerons tant bien que mal, et autant que faire se peut d'illustrer au besoin, afin de ne pas rester cantonné dans la théorie. Paragraphe 1 : Les formalités exigées au législateur dans l'édiction d'une loi interprétative« [...] Pour qu'une loi soit vraiment interprétative, il faut qu'il ait eu matière à interprétation, qu'il ait eu une controverse à résoudre (que les tribunaux auraient pu résoudre par leurs propres moyens quoique plus péniblement, si la loi n'était pas intervenue) [...]200(*). Il convient de préciser qu'à ces conditions retenues par le Professeur CARBONNIER, d'autres élaborées par la jurisprudence constitutionnelle viennent s'y ajouter. Par ailleurs, afin d'avoir une vue panoramique, nous prendrons en compte celles retenues par le juge communautaire européen c'est-à-dire la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour encadrer minutieusement les lois interprétatives. Nous classerons donc celles-ci en formalités liées à l'interprétation proprement dite (A), et en formalités relatives au caractère rétroactif des lois interprétatives (B). A- Les formalités relatives à l'interprétation proprement diteNous retenons avec le Professeur CARBONNIER que, pour qu'une loi soit vraiment201(*) interprétative, il faut qu'il ait eu matière à interprétation (1), qu'il ait eu une controverse à résoudre (2). A ces deux conditions, la Cour de cassation française en a retenu une autre lorsqu'elle affirme qu' « une loi ne peut être considérée comme interprétative qu'autant qu'elle se borne à reconnaitre sans rien innover un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse »202(*) : c'est la dénégation du caractère créateur de la loi interprétative (3). 1- L'exigence d'une matière à interpréter L'exigence d'une matière à interpréter est la première condition sans laquelle une loi ne peut être considérée comme interprétative. Dans la mesure où le législateur n'est censé prendre une loi interprétative que lorsqu'une loi antérieure pose un problème d'interprétation, il ne saurait interpréter une loi qui ne pose aucune difficulté d'interprétation. De plus, et c'est très fondamental, le fondement de l'interprétation du législateur est une loi ; cela veut tout simplement dire que l'interprétation ne peut pas porter sur une fiction ou sur un acte autre que législatif203(*), le texte doit exister, ne pas être abrogé, ni caduc, car le législateur ne peut interpréter une loi abrogée ou caduque. Ainsi, l'équivalence des formes exige qu'on ne puisse concevoir l'interprétation authentique sans équivalence entre le texte originaire et celui qui l'interprète. 2- L'exigence d'une controverse à résoudre L'exigence d'une controverse à résoudre apparaît comme le corollaire de la première. L'exigence d'une controverse à résoudre est fondamentale dans la mesure où la finalité d'une loi interprétative serait de mettre un terme aux incertitudes et aux controverses sur le sens d'une règle204(*). L'existence des controverses peut donc justifier l'intervention du législateur. L'interprétation jurisprudentielle n'est jamais une mais multiple et diversifiée, car elle répond à une pluralité de buts et de nécessités205(*), qui ne sont pas toujours ceux qui ont motivés le législateur ou ceux visés par lui. C'est face à ces multiples interprétations, qui pour le moins sont éparses, que le législateur se trouve obligé d'intervenir pour pallier à ces égarements jurisprudentiels, afin de donner un sens précis et définitif à une règle. L'exigence de la controverse à résoudre trouve donc son intérêt à ce niveau puisqu'une interprétation ne peut créer une controverse mais plusieurs interprétations divergentes. Cette condition a été posée afin d'éviter que le législateur ne trouve un prétexte pour s'immiscer continuellement dans le jugement des affaires pour justifier cela par une interprétation douteuse de la part du juge. 3- La dénégation du rôle créateur de la loi interprétative En posant qu' « une loi ne peut être considérée comme interprétative qu'autant qu'elle se borne à reconnaître sans rien innover un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse », la jurisprudence établit une nouvelle condition liée à l'interprétation. Au regard de cette exigence jurisprudentielle, la loi interprétative est privée de toute portée créatrice206(*) : elle se « borne à reconnaître sans rien innover ». Humilité évidente prêtée à la loi interprétative, dénuée de toute velléité modificatrice. C'est la raison pour laquelle, « le texte étant interprétatif est applicable aux instances en cours »207(*). Précisément, les termes employés par la jurisprudence, qui semblent issus de la théorie des conflits de lois dans le temps, reposent sur une dénégation du caractère créateur de la loi interprétative. En venant conforter le droit préexistant, elle ne ferait que déclarer un état de droit déjà positif. Du moment où la loi interprétative n'a aucunement vocation à modifier le droit applicable, elle présente à cet effet un caractère recognitif208(*). * 199 LEMIEUX (C.), « Jurisprudence et sécurité juridique : une perspective civiliste », article précité, p.237. * 200 CARBONNIER Jean, Droit civil, Introduction, Paris, PUF, 23ième édition, 1995, p.204. * 201 Ou « véritablement », selon l'expression utilisée par certains auteurs, MOLFESSIS et MALINVAUD notamment. * 202 Cass. Soc., 14 juin 1989, Bull. civ. N°442 ; Cass. Com., 2 octobre 2001, D.2001. * 203 Le législateur ne pouvant interpréter un acte administratif par exemple. * 204 MOLFESSIS (N.), « La notion de loi interprétative », article précité. * 205 WERENNE (J.-C.), « Le concept de loi interprétative », article précité. * 206 MOLFESSIS (N.), « La notion de loi interprétative », article précité. * 207 Ibidem. * 208 Elle ne modifie pas le droit applicable mais en donne des précisions qui ne s'en éloigne pas et dont le but est de résoudre rétroactivement des difficultés inhérentes de droit. |
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