Les interventions du législateur dans le fonctionnement de la justice administrative au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Cyrille Arnaud FOPA TAPON Cyrille Arnaud Université de Dschang Cameroun - Master 2012 |
B- Les formalités relatives au caractère rétroactif des lois interprétativesTout en sanctionnant l'immixtion du législateur dans la fonction des juges, le Conseil constitutionnel français lui reconnaît le pouvoir d'adopter des lois interprétatives, mais à la condition que ces lois répondent à des motifs d'intérêt général suffisants, et respectent par ailleurs le principe de l'autorité de la chose jugée. Il a de ce fait posé une règle générale valable pour toutes les hypothèses de rétroactivité : « que le principe de la rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen qu'en matière répressive ; que si dans les autres matières, le législateur a la faculté d'adopter des dispositions rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles »209(*). Au regard de cette prescription, la considération d'un motif d'intérêt général suffisant (1), le respect du principe de l'autorité de la chose jugée (2) et le respect des normes supérieurs (3) seront exigés au législateur. 1- La prise en compte d'un motif d'intérêt général suffisant La détermination de l'intérêt général par le législateur est-elle libre? Existe-t-il une nécessaire et présumée conformité de la loi à l'intérêt général? Quelle peut être l'étendue du contrôle du juge constitutionnel en la matière? La promotion d'intérêts catégoriels ou la reconnaissance de droits spécifiques à des groupes peuvent-elles répondre à la détermination de l'intérêt général ou manifestent-elles au contraire un démembrement, voire une négation de celui-ci? Toutes ces questions montrent la nécessité pour le législateur de prendre en considération l'intérêt général lorsque celui-ci est appelé à interpréter une loi. Dans la tradition juridique camerounaise, « la loi est l'expression de la volonté générale »210(*). Il appartient au législateur d'exprimer cette volonté qui ne peut qu'être conforme à l'intérêt général. Plus exactement, volonté générale et intérêt général ne font qu'un. Il s'en déduit que la détermination de l'intérêt général est entièrement libre et que toute loi, par le seul fait qu'elle est le produit d'une « volonté générale démocratiquement constatée », est présumée d'intérêt général. Cette présomption longtemps irréfragable peut désormais être renversée : le passage de « l'Etat légal à l'Etat de droit » que manifeste l'existence d'un contrôle de constitutionnalité permet ce renversement, depuis que le Conseil constitutionnel français a affirmé l'existence d'un contrôle effectif de la constitutionnalité des lois, « la loi n'exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution »211(*). Si l'on soutient le parallélisme initial entre intérêt et volonté, on pourrait dire, parodiant le Conseil, que la loi ne détermine l'intérêt général que dans le respect de la Constitution. C'est la raison pour laquelle le législateur, par respect de la Constitution, devrait se plier à cette exigence. Mais l'appréciation de l'intérêt général pose toujours des difficultés, dans la mesure où elle est réduite, ce d'autant plus que l'appréciation de cet intérêt général faite par le juge ne peut être identique à celle du législateur. Car cela reviendra à transformer le juge (surtout constitutionnel) en juge de l'opportunité, ce qui l'exposerait à la critique212(*). Le contrôle du juge constitutionnel ne peut qu'être minimal. C'est un contrôle de l'erreur manifeste. Le juge de l'application de la loi est-il légitime à contrôler la réalité de l'intérêt général poursuivi par le législateur? Dans la théorie de la séparation des pouvoirs, le juge ordinaire doit appliquer la loi. Il le fait en évitant les deux écueils majeurs que rappelle le Code civil en ses articles 4 et 5 : l'arrêt de règlement d'un côté, le déni de justice de l'autre. Pour appliquer la loi, le juge ordinaire doit être en mesure de l'interpréter, ce qui lui laisse une marge d'appréciation essentiellement limitée par l'objectif premier qui lui est assigné : l'application. D'ailleurs, le juge ordinaire s'est toujours refusé à contrôler la constitutionnalité des lois213(*). A priori, il n'appartient donc pas au juge de contrôler l'existence ou la réalité de l'intérêt général invoqué par le législateur. Cela reviendrait à faire de lui un juge de 1'opportunité des lois votées par le Parlement. Ainsi, le législateur doit prendre en compte l'intérêt général lorsqu'il édicte une loi interprétative ; en outre, on pourrait également estimer que l'interprétation faite par le législateur, afin d'éviter des controverses peut constituer un intérêt général. 2-Le respect du principe de l'autorité de la chose jugée L'application d'une loi interprétative ne peut cependant passer outre l' autorité de la chose jugée. On pourrait penser que la rétroactivité reconnue aux lois interprétatives les exempte du respect de l'autorité de la chose jugée. Il n'en est rien. Du moment où la loi interprétative s'applique aux procès en cours, le législateur doit respecter les exigences du principe de la séparation des pouvoirs, ce qui veut dire, qu'il doit s'abstenir de faire obstacle à l'exécution des actes annulés par les décisions juridictionnelles « passées en force de chose jugée ». Ainsi, toutes les décisions devenues définitives ne peuvent plus être perturbées par une loi interprétative postérieure à la décision du juge. Tout comme pour les lois de validation, les lois interprétatives sont également soumises à cette exigence. En application de ce principe, le Conseil constitutionnel français a décidé « qu'il n'appartient ni au législateur, ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leurs compétences »214(*). Le législateur est donc tenu d'éviter de faire mention du fait que la loi interprétative s'appliquera aussi aux décisions de justice revêtant l'autorité de la chose jugée. Il peut décider comme nous l'avons déjà dit que la loi interprétative s'appliquera aux instances en cours215(*), mais il ne peut décider qu'elle s'appliquera aux décisions définitives sans toutefois porter atteinte à un principe constitutionnellement reconnu : l'indépendance de la justice. Ainsi, il n'est pas interdit au législateur d'adopter des mesures interprétatives, mais à la condition que ces mesures respectent par ailleurs le principe de l'autorité de la chose jugée216(*), car l'interprétation qu'il fait d'une loi antérieure ne signifie pas que l'effet rétroactif qui lui est reconnu s'appliquera aux situations déjà jugées, mais plutôt à la loi qu'elle interprète. 3-L'obligation de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles Le législateur est également tenu de respecter les exigences constitutionnelles et de les garantir légalement. Cela veut dire que ce dernier ne doit pas, si la Constitution renvoie la mise en application d'une exigence constitutionnelle à la loi, priver ces exigences de garanties légales. Il ne doit pas donc passer outre les exigences constitutionnelles. * 209 Conseil constitutionnel, 18 décembre 2001, en matière de financement de la RTT (réduction du temps de travail). * 210 Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. * 211 Décision du Conseil constitutionnel n°85-197 DC du 23 août 1985, Nouvelle Calédonie. * 212 L'on doit se rappeler de la polémique qui est née du « gouvernement des juges » * 213 Notamment Arrêt n°4/A du 28 octobre 1970 ; Société des Grands Travaux de l'Est C/Etat fédéré du Cameroun Oriental. La Cour Fédérale de justice décide qu' « attendu d'autre part qu'au regard de la constitutionnalité ou de l'inconstitutionnalité de la modification litigieuse, aucun contrôle de la constitutionnalité des lois par voie d'exception, comme en l'espèce, n'est prévu par le Droit Camerounais ». * 214 Conseil constitutionnel, décision n° 80-119 DC, 20 juillet 1980. * 215 MALINVAUD (Ph.), « L'étrange montée du contrôle du juge sur les lois rétroactives », article précité, p.676. * 216 Ibidem. |
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