Section 2 : Des conditions d'éligibilité
de bonne gouvernance encadrant fermement la personne du candidat
L'élaboration du néo-constitutionnalisme
africain a été l'occasion de l'introduction, dans le
constitutionnalisme africain, de dispositions de moralisation de la vie
politique et de démocratisation de l'accès au pouvoir. Dans un
souci de voir avancer la démocratie, de nombreux constituants ont
adopté des dispositions tendant à favoriser la « bonne
gouvernance » au plus haut niveau de l'État. Les conditions
d'éligibilité sont apparues comme un bon outil pour
connaître à l'avance certains éléments de la vie
personnelle et professionnelle des futurs candidats, afin de s'assurer que la
personne élue serait apte à épouser la fonction. On
distingue deux types de conditions d'éligibilité de « bonne
gouvernance ». Il y a, d'une part, les conditions attachées aux
qualités personnelles nécessaires au candidat pour devenir un bon
gouvernant (I) ; puis il y a, d'autre part, les conditions
d'éligibilités liées à l'environnement de celui-ci,
lui permettant de gouverner au mieux une fois élu (II).
I) Les conditions d'éligibilité relatives aux
qualités personnelles de
gouvernant
Dans la catégorie des conditions
d'éligibilité qui ont pour but de garantir la bonne gouvernance,
celles qui touchent aux qualités personnelles requises pour être
candidat nous permettent d'avoir une idée de la vision qu'a un
État de ce qu'est un bon gouvernant. En effet, par l'étude des
qualités demandées aux futurs candidats à la
présidentielle, on peut percevoir ce qui est considéré,
dans une société donnée, comme le gage nécessaire
à l'accession au pouvoir.
21
Celles qui paraissent les plus importantes sont celles
relatives aux compétences que doit posséder un candidat à
l'élection présidentielle. Il peut s'agir de compétences
élémentaires, comme savoir lire et écrire. C'est ce
qu'exige, par exemple, l'article 98 de la Constitution transitionnelle de 2011
du Soudan du Sud. Cette exigence a été apportée
également au Sénégal par la Constitution du 22 janvier
2001, avec comme particularité d'exiger la maîtrise de la langue
officielle. La langue officielle étant le français, cette
disposition amène à s'interroger sur la place à laisser
à un candidat lettré, mais ne maîtrisant que
l'arabe45. En effet, le Sénégal étant un pays
où la quasi-totalité de la population est musulmane, l'arabe
occupe de ce fait une place importante. Mais on peut aussi se demander quelle
place laisser au wolof, la langue véhiculaire du pays, qui prend de plus
en plus le pas sur le français46, et qui est parlée
par l'ensemble de la population. Dans ces conditions, on ne peut
s'empêcher de faire une corrélation entre l'absence de
popularité de Karim Wade, le fils de l'ancien président Abdoulaye
Wade, et le fait que ce dernier ne parle pas le wolof. Aujourd'hui, faut-il
parler wolof pour répondre aux aspirations de la société
sénégalaise ? La langue n'est-elle pas l'âme d'un peuple ?
Ainsi, il serait donc bon de poser comme exigence à la candidature
présidentielle la maîtrise d'au moins une langue nationale du
pays, afin de mettre le candidat en adéquation avec la population du
pays qu'il ambitionne de diriger, ne serait-ce que pour pallier la crise de
légitimité dont souffrent les institutions étatiques.
Si l'on reste dans le domaine des compétences requises
pour être candidat aux fonctions présidentielles, le Congo
(Brazzaville) fait preuve d'originalité en allant plus loin dans
l'exigence, déclarant que nul ne peut être candidat «
s'il n'atteste d'une expérience professionnelle de quinze ans au
mois47 ». On peut également citer la curieuse
disposition de l'article 33 (d) de la Constitution équatorienne du 17
novembre 1991, selon laquelle pour être candidat, il faut savoir
interpréter la loi fondamentale. Dans ce cas, on peut être
sceptique quant à la possibilité de vérifier la
réalisation de la condition. Dans la catégorie des
qualités personnelles inhérentes à la personne du
candidat, on trouve la condition de bonne moralité et de probité,
qui est notamment
45 Ismaïla Madior Fall, Évolution
constitutionnelle du Sénégal, de la veille de
l'indépendance aux élections de 2007, Dakar, CREDILA-CREPOS,
2009, p. 109.
46 Pierre Cherruau, « Le Sénégal
est-il encore un pays francophone ? », Slate Afrique, 2012, non
paginé. Selon l'article, l'ensemble des programmes
télévisés, qu'ils soient politiques, sociétaux ou
culturels, se déroulent en wolof. À l'école
également, certains enseignants s'expriment dorénavant en wolof
et il semblerait que le phénomène touche également les
milieux intellectuels traditionnellement dominés par le
français.
47 Article 58 de la Constitution du 20 janvier
2002.
22
commune au Bénin, à la Côte d'Ivoire et au
Rwanda48. La condition de moralité a le désavantage de
reposer sur une analyse subjective de la bonne moralité et, en la
matière, l'objectif de garantie de bonne gouvernance est difficilement
atteint. Néanmoins, cette condition de bonne moralité
s'accompagne souvent d'autres dispositions, telles que l'obligation faite au
futur candidat de déclarer et de justifier de son patrimoine, ou la
sanction d'inéligibilité pour une personne ayant
été condamnée à une peine de prison pour une cause
impliquant la malhonnête ou la turpitude. On trouve respectivement ces
conditions dans la Constitution ivoirienne et dans la Constitution
malawite49. Enfin, il faut citer une condition non
négligeable ; il s'agit de celle obligeant tout candidat à
l'élection à prouver l'existence d'une bonne santé
physique et mentale, exigence qui, dans certains pays comme le Bénin,
s'accompagne de l'obligation d'être examiné par un collège
de médecins désignés par la Cour constitutionnelle.
Ces conditions de bonne gouvernance liées à la
personne du candidat sont complétées par des dispositions tenant
à l'environnement de celui-ci.
|