II) La condition d'âge favorise la maturité au
plus haut niveau de l'État
La quasi-totalité des États africains
présentent une condition d'âge imposant un âge minimal. Cet
âge minimal se distingue de l'âge de la majorité civile
permettant à un individu d'être considéré
juridiquement comme civilement capable et responsable. Sur le continent,
l'âge requis pour accéder à la candidature
présidentielle est toujours beaucoup plus élevé que
l'âge de la majorité civile. À titre de comparaison, en
France, par exemple, l'âge requis n'est que de 23 ans. En revanche,
l'âge minimal le plus
34 Cet opposant s'avérait être la
personne de l'actuel président Alassane Ouattara. La restriction de
l'accès au jeu politique, à travers le renforcement de l'exigence
en matière de nationalité, a été perçue
à l'époque comme ayant pour seul but d'exclure ce dernier de la
compétition présidentielle.
35 Il ne s'agit pas ici de dire que sur le
continent africain, la notion d'État-nation est absente ; il a
été démontré leur existence en Afrique
précoloniale, notamment par les travaux de Cheikh Anta Diop. C'est
l'État-nation au sens occidental du terme et délimité par
les frontières issues de la colonisation qui pose problème, car
il ne prend pas assise sur la réalité.
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fréquent en Afrique est de 35 ans ; on le retrouve par
exemple au Burundi et au Togo36. L'âge minimal le moins
élevé, et aussi celui le moins fréquemment retenu, est
celui de 30 ans, que l'on retrouve au Botswana et en République
démocratique du Congo37. Entre les deux, pour ce qui est de
la fréquence, on trouve l'âge de 40 ans. Cet âge est requis
à Djibouti, au Bénin et au Soudan du Sud38.
Selon Ismaïla Madior Fall, le caractère
relativement élevé de l'âge minimal requis en
matière présidentielle est typique des démocraties
républicaines, lesquelles, selon lui, entrent dans une « logique
gérontocratique qui favorise l'accès au pouvoir des «
vieux routiers de la politique39 ». Néanmoins
André Cabanis et Michel Louis Martin40 s'étonnent de
l'existence d'une condition d'âge minimale aussi élevée en
Afrique, où la population est jeune, l'âge médian tournant
généralement autour de 18-19 ans. En effet, même si l'on
comprend la nécessité de donner l'accès au pouvoir
à des personnes jouissant d'une certaine maturité et d'une
expérience politique, il est permis de se demander, eu égard aux
grandes difficultés que rencontrent les États africains, s'il est
encore nécessaire d'imposer une condition d'âge minimale aussi
restrictive, dans la mesure où l'on sait que les règles
implicites du jeu politique ne fournissent que peu de chances de
réussite aux candidats inexpérimentés ou peu connus dans
l'arène politique. Le risque de la victoire d'un candidat jeune et peu
qualifié est très faible. De plus, cette mesure conduit à
empêcher le renouvellement des acteurs politiques. En Afrique, il s'agit
généralement d'une même poignée d'individus qui se
disputent le pouvoir pendant de nombreuses années.
On ne peut s'empêcher de constater la dichotomie entre
l'âge de la population et le caractère fortement
gérontocratique du pouvoir. On peut, par exemple, citer le
président zimbabwéen, Robert Mugabe, qui a actuellement 88 ans,
alors que l'âge médian de la population du Zimbabwe était,
en 2011, d'un peu plus de 18 ans. Plusieurs Constitutions du continent semblent
néanmoins avoir pris en compte cette problématique, à
travers l'adoption d'une condition d'âge maximale. Cet âge
maximal
36 Respectivement article 97 de la Constitution du
18 mars 2005, article 62 de la Constitution du 14 octobre 1992.
37 Respectivement article 33 de la Constitution 30
septembre 1966 et article 72 de la Constitution du 18 février 2006.
38 Respectivement article 24 de la Constitution du
15 septembre 1992, article 44 de la Constitution du 4 décembre 2004 et
article 98 de la Constitution du 7 juillet 2011.
39 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 57.
40 André Cabanis et Michel Louis Martin,
Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique
francophone, Bruxelles, Bruylant-Academia, 2010, p. 66.
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est quasiment toujours de 70 ou 75 ans, et on le retrouve
notamment au Tchad, au Bénin, au Congo (Brazzaville) et en Côte
d'Ivoire41. La catégorie des États ayant opté
pour cette limitation est encore très marginale, et la question d'un
âge limite pour pouvoir exercer le pouvoir reste controversée sur
le continent. Au Sénégal notamment - au-delà de la
question de savoir s'il était constitutionnellement
rééligible -, on a pu s'interroger sur l'opportunité, pour
Abdoulaye Wade, de se représenter aux élections
présidentielles de 2012, en raison de son grand âge42.
À ce sujet, Béchir Ben Yahmed estime qu'« il y a douze
ans, les socialistes sénégalais, qui avaient exercé le
pouvoir depuis l'indépendance en 1960, le perdaient au
bénéfice des libéraux d'Abdoulaye Wade. Ce fut alors, en
2000, une alternance politique qui a fait date. Celle qui se dessine pour ce
mois de mars sera, si elle se réalise, une alternance de
génération. Elle est, à mon avis, tout aussi
nécessaire et devrait être
bénéfique43 ». Puis, concernant la question
d'un âge maximal, il nous dit que « le sujet de «
l'âge du capitaine » est délicat. Mais on peut, même en
Afrique et en Asie, où l'on se doit de respecter et de ménager
« les anciens », l'aborder sans craindre de manquer de respect
à qui que ce soit. On se doit même de traiter le sujet, car il est
politique et concerne le destin de nos peuples44 ». En
effet, la question n'est pas superflue et, en la matière, il ne s'agit
pas de prédéterminer l'âge jusqu'auquel on est
considéré comme étant toujours apte à diriger. Ce
serait sous-estimer les électeurs que de penser qu'ils ne sont pas
capables de voir, par exemple, la sénilité d'un candidat. En
réalité, l'existence d'un âge maximum n'a
d'intérêt en soi que dans la mesure où il permet de
constituer une barrière à la rééligibilité
infinie de certains chefs d'État vieillissant au pouvoir, à force
d'accumulation de mandats.
On constate que la question de l'âge, en matière
d'éligibilité, est délicate, et que celle-ci
soulève de nombreux questionnements et renferme de nombreuses
considérations d'ordre idéologique. La raison la plus plausible
de l'existence d'un âge minimum, c'est la volonté de s'assurer de
la bonne gouvernance par l'assurance de la
41 Respectivement article 62 de la Constitution du
14 avril 1996, article 44 de la Constitution du 4 décembre 2004, article
58 de la Constitution du 20 janvier 2002 et article 35 de la Constitution du 23
juillet 2000.
42 Né le 29 mai 1926, son âge
était alors de 85 ans, sachant qu'un mandat dure sept ans. Il aurait
été au pouvoir jusqu'à 92 ans s'il avait été
réélu.
43 L'article a été
rédigé peu de temps avant les élections
présidentielles sénégalaises de mars 2012. Celles-ci
opposèrent, au second tour, le président Abdoulaye Wade (86 ans)
à Macky Sall (52 ans), ce dernier incarnant le renouvellement des
générations au sommet de l'État. Macky Sall remporta les
élections.
44 Béchir Ben Yahmed, « L'âge du
capitaine », Jeune Afrique, n° 2669, 2012, p. 3.
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maturité du candidat à la présidentielle.
L'âge maximal, quant à lui, sert à la fois à
s'assurer qu'un âge trop avancé ne nuise pas à la
capacité de tenir la fonction, et permet également, du même
coup, d'éviter le problème de la présidence à
vie.
On a pu voir que bien que qualifiables de classiques, les
conditions d'éligibilité précédemment citées
ne sont pas sans soulever quelques interrogations. Dans le cas des conditions
d'éligibilité de bonne gouvernance, les interrogations demeurent,
mais sont spécifiques d'un État à un autre. En effet, ces
conditions sont moins systématiques, variant d'un État à
un autre et répondant à des objectifs précis.
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