PARTIE I : Le droit positif des conditions
d'éligibilité entre
visées démocratiques et
réalités antidémocratiques
Même si les nouvelles dispositions constitutionnelles
n'ont pas permis de mettre un terme à toutes les difficultés
rencontrées par le constitutionnalisme africain, elles ont
néanmoins une forte valeur symbolique. Concernant la période du
monopartisme, Ismaïla Madior Fall nous dit que « les très
longs règnes consécutifs à l'institutionnalisation de la
présidence à vie ou au cumul illimité de mandats
favorisaient tout naturellement une confusion du pouvoir avec la personne du
Chef de l'État24 ». De plus, selon lui, le
système du monopartisme, dans lequel de nombreux « pères
fondateurs » des indépendances dirigeaient leur pays sans que soit
évoquée la question du renouvellement politique, a
contribué au phénomène de la sacralisation du pouvoir.
Autant de facteurs antidémocratiques auxquels devaient mettre un terme
les Constitutions nées de la vague de démocratisation. Il a
été question de prévoir des conditions
d'éligibilité permettant de garantir l'élection d'un
candidat répondant au standard d'un « bon gouvernant ». Au
regard des conditions d'éligibilité créées de ce
fait, on apprend que le bon dirigeant se doit d'être compétent,
respectueux des valeurs constitutionnelles, non soumis à l'influence de
certains groupes présents dans la société, etc. La
question de la limitation du pouvoir, notamment dans le but d'empêcher sa
personnalisation, a été réglée par l'introduction,
dans la grande majorité des Constitutions, d'une limitation du nombre de
mandats autorisés à une seule et même personne. On constate
aujourd'hui que le droit positif africain se caractérise par des
conditions d'éligibilité orientées vers la recherche d'un
candidat de qualité (Chapitre 1), mais avec une application difficile de
la règle de la limitation du nombre de mandats (Chapitre 2).
24 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
op. cit., p. 24.
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Chapitre 1 : Le droit positif des États
africains orienté vers la
recherche qualitative en matière de candidature
présidentielle
La finalité des conditions d'éligibilité
est d'assurer aux électeurs l'existence d'un choix
éclairé, car prédéterminé par des
critères choisis par la loi électorale. Le professeur
Ismaïla Madior Fall, dans sa thèse sur le pouvoir exécutif
en Afrique25, met en évidence l'existence de conditions
d'éligibilité que l'on peut qualifier de classiques. Celles-ci
sont de l'ordre de trois, et sont qualifiées de « classiques »
du fait de l'absence de contestation suscitée par leur existence et du
fait de leur présence quasi-systématique dans le
constitutionnalisme africain, mais aussi mondial. Elles présentent la
particularité d'être, dans le constitutionnalisme africain,
particulièrement restrictives dans l'accès à la
candidature présidentielle (Section 1). Ces conditions sont
distinguées d'autres conditions, lesquelles ont pour objectif de
répondre à un besoin spécifique de « bonne
gouvernance ». Ces conditions prennent des formes variables d'un
État à un autre, en fonction de la conception que l'on se fait de
ce que doit être un bon président de la République. Les
conditions de « bonne gouvernance » encadrent l'ensemble des aspects
importants de la vie du candidat (Section 2).
Section 1 : Des conditions d'éligibilité
classiques opérant une sélection restrictive
Les conditions d'éligibilité classiques sont au
nombre de trois. Il s'agit, pour la personne souhaitant être candidate de
:
- posséder la nationalité du pays où elle
veut briguer la fonction suprême ; - remplir une condition d'âge
;
- jouir de ses droits civils et politiques.
Ces conditions semblent naturelles et ne posent pas de
problème dans leur principe. En effet, il s'agit des conditions
minimales requises dans la grande majorité des États du globe.
L'obligation de jouir de ses droits civils et politiques « concerne la
faculté pour tout citoyen de s'inscrire sur une liste électorale,
sans avoir été déchu par une décision
25 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir
exécutif dans le constitutionnalisme des États d'Afrique,
Paris, L'Harmattan, 2008, page 52.
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judiciaire ; celle-ci pouvant avoir un caractère
civil ou pénal26 ». Cette disposition est toujours
présentée sous la forme du même énoncé et ne
nécessite pas d'observations particulières27. En
revanche, les conditions de nationalité et d'âge présentent
différents énoncés d'un État à un autre, ce
qui souligne des différences d'exigence en la matière, et
démontre le soin porté à la rédaction de ces
conditions. Ainsi, en Afrique, il est important de rechercher les raisons de la
prééminence d'une condition de nationalité restrictive (I)
; d'autre part, l'existence de conditions d'âge favorisant la
maturité au plus haut niveau de l'État pose question (II).
I) Les raisons de l'option généralisée
pour une condition de nationalité restrictive
Les États dans lesquels tout citoyen peut se
présenter à l'élection de président de la
République sont largement minoritaires sur le continent. En effet, les
États dans lesquels il n'est pas fait de distinction entre les
ressortissants d'origine et les ressortissants naturalisés ou
binationaux sont très rares. Dans cette catégorie d'États,
que l'on peut considérer comme ayant une condition de nationalité
libérale, il y a, par exemple, la Guinée ou Madagascar. L'article
29 de la constitution guinéenne dit simplement : « tout
candidat à la présidence de la République doit être
de nationalité guinéenne ».
En revanche, l'immense majorité des États du
continent africains présentent une condition de nationalité
restrictive. En effet, même lorsque les ressortissants naturalisés
ne sont pas exclus, le caractère restrictif de la condition vient du
rejet de la plurinationalité. C'est le cas, notamment, des Constitutions
djiboutienne et sénégalaise28, qui exigent simplement
que les candidats aient la nationalité du pays, mais celle-ci doit
être exclusive de toute autre, ce qui, de fait, va souvent exclure les
ressortissants naturalisés, sauf dans le cas où ils auraient
renoncé à leur nationalité d'origine. Néanmoins, la
condition de nationalité la plus fréquente est celle qui exige au
moins que le candidat soit un national d'origine ou de naissance. Alors que
les
26 Thomas Goudou, L'État, la politique
et le droit parlementaire en Afrique, Paris, Berger-Levrault, 1987, p.
352.
27 Seuls très peu de pays n'y font pas
référence. Néanmoins, l'exigence est souvent
remplacée par une condition similaire, par exemple l'article 24 de la
Constitution centrafricaine exige que le candidat n'ait pas fait l'objet d'une
« condamnation à une peine afflictive ou infamante ».
28 Respectivement article 24 de la Constitution du
4 septembre 1992 et article 28 de la Constitution du 22 janvier 2001.
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Constitutions nigérienne et de la République
démocratique du Congo29 se bornent à cette exigence,
certaines conditions de nationalité, quant à elles, vont beaucoup
plus loin. Ainsi, la Constitution de Côte d'Ivoire du 23 juillet 2000
exige d'un candidat qu'il soit « ivoirien d'origine, né de
père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Il doit
n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne. Il ne
doit s'être jamais prévalu d'une autre
nationalité30 ».
Il semblerait que l'on puisse expliquer ce
phénomène par deux raisons principales. La première raison
que l'on peut avancer est celle du nationalisme. Selon le dictionnaire Larousse
2012, celui-ci se définit comme étant une « doctrine qui
affirme la prééminence de l'intérêt de la nation par
rapport aux intérêts des groupes, des classes, des individus qui
la constituent31 ». À travers cette
définition, on perçoit, dans la condition de nationalité,
comme un moyen d'unir des ethnies et des individus, regroupés dans une
même nation, en leur réservant l'accès à la fonction
suprême. Cela peut-être comme un moyen de dépasser le «
tribalisme » sur un continent où une même ethnie se retrouve
dans des pays différents. Cette démarche s'inscrirait donc dans
la logique des efforts constants fournis par les États africains,
après les indépendances, pour donner naissance à une
nation qui n'existait pas, au sein d'entités fraîchement
constituées. Dans ce cas, on peut penser que la volonté de
favoriser l'éclosion d'une nation va dans le sens de la recherche du
modèle démocratique occidental d'État-nation. Le Petit
Robert 2012 nous fournit, quant à lui, un autre sens de la notion de
nationalisme. Il semblerait que la notion de nationalisme corresponde
également à une « exaltation du sentiment national ;
attachement passionné à la nation à laquelle on
appartient, accompagné parfois de xénophobie et d'une
volonté d'isolement32 ». En Côte d'Ivoire,
par exemple, les restrictions apportées à la condition de
nationalité et l'exaltation de la notion d'ivoirité ont pu
être perçues comme le produit de la
xénophobie33. Néanmoins, nous faisons une lecture
différente de la question, tendant plutôt à
interpréter cette forte exigence en matière de nationalité
comme étant au service
29 Respectivement article 47 de la Constitution du
25 novembre 2011 et article 72 de la Constitution du 18 février 2006.
30 Article 35.
31 Larousse maxipoche 2012, Paris, Larousse,
2011, p. 929.
32 Le Petit Robert 2012, Paris, Le Robert,
2011, p. 1672.
33 Éric V. Nguyen, Géopolitique
de l'Afrique, du continent noir oublié à la renaissance
africaine, Levallois-Perret, Studyrama perspectives, 2010, p. 93.
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d'un objectif politique précis : écarter de
l'accès au pouvoir un opposant gênant34. Dans cette
mesure, une telle condition serait dépourvue d'intérêt
démocratique, puisqu'elle ne servirait qu'à garantir
l'intérêt personnel du dirigeant en place. Enfin, on peut avancer
cependant d'autres raisons à ce choix restrictif. Il s'agirait de la
faiblesse du contrôle exercé par les États sur leurs
frontières, ainsi que de la faiblesse de l'état civil, qui
contraindrait les États à faire preuve de fermeté dans la
détermination des conditions de nationalité, cela se traduisant
souvent par une accumulation d'exigences, telles que l'obligation de prouver
que ses parents sont citoyens d'origine également. Ainsi, le
caractère restrictif de la condition permettrait d'éviter
l'existence de fraude.
On peut difficilement attribuer le caractère restrictif
de la condition de nationalité à une seule raison. En effet, il
semblerait que celles-ci soient multiples, même au sein d'un même
État. Néanmoins, l'efficacité d'une telle condition
à garantir le respect des institutions et du principe
démocratique par le futur président n'est pas
démontré. En effet, si l'on cherche, par le choix en faveur d'un
président natif d'origine qui serait porté par un esprit
patriotique, à assurer une bonne gestion du pouvoir, on est bien loin
d'arriver au résultat escompté, tant la question nationale est
complexe en Afrique et tant l'idée de l'État-nation moderne y est
abstraite35.
Dans la catégorie des conditions classiques, on trouve
aussi la condition d'âge, laquelle a en commun avec la condition de
nationalité d'avoir un caractère assez restrictif, avec, sur le
continent, une préférence pour les candidats d'âge
mûr.
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