II) Les sanctions non juridiques condamnant la
révision constitutionnelle
Les sanctions non juridiques sont de diverses natures,
légales ou illégales ; elles ont de réels impacts sur le
renversement d'un régime. On peut les classer en trois
catégories.
Il y a, premièrement, la sanction par les urnes. Il
s'agit du vote de la population défavorable au dirigeant, à
l'occasion d'un référendum ou d'une élection. Cette
sanction politique est la sanction privilégiée et naturelle du
système de la démocratie électorale, qu'elle soit directe
ou représentative. La particularité du système en Afrique
veut que cette arme soit difficile à utiliser, car la concentration du
pouvoir, les importants moyens de celui-ci et la pratique des fraudes
électorales empêchent bien souvent
151 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, Paris,
L'Harmattan, 2008, p 179.
152 Claude Emeri, « De l'irresponsabilité
présidentielle », in Pouvoirs n° 41, « Le
Président », 1987, p. 139.
153 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, op. cit.,
p. 179.
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l'opposition de se mobiliser suffisamment pour
conquérir le vote massif des électeurs. Néanmoins, on
connaît un contre-exemple récent, qui est celui de la victoire du
candidat Macky Sall aux élections présidentielles
sénégalaise de 2012, contre le président sortant Abdoulaye
Wade.
La seconde sanction qui sera évoquée est une
sanction émanant également du peuple, mais qui s'avérera
nécessaire lorsque la mise en oeuvre de la première sanction est
impossible ou non appropriée. Cette sanction témoigne des limites
du système de la démocratie représentative, mais en est
également un principe correcteur : il s'agit de la contestation par des
manifestations de rue. On connaît de nombreux exemples de
soulèvements populaires depuis les indépendances154.
Ceux-ci ont souvent été fortement réprimés et ont
conduit parfois à un durcissement des régimes, notamment à
l'époque du monopartisme. Cependant, des cas récents ont obtenu
des résultats contraires et les soulèvements populaires ont
permis de sanctionner un chef d'État et d'obtenir son départ. Les
révolutions arabes en sont l'exemple le plus marquant.
Enfin, la sanction la plus controversée - mais qui
n'est pas négligeable en Afrique - est le coup d'État. Il s'agit
du recours à la violence en vue de renverser un régime en place.
Le coup d'État se distingue de la révolution dans la mesure
où il n'est pas populaire. Le continent africain a connu de nombreux
coups d'État, et nombre d'entre eux ont été des putschs,
c'est-à-dire qu'ils ont émané du pouvoir militaire.
Néanmoins, lorsque l'on s'interroge sur la possible survenance d'un coup
d'État comme sanction de l'instrumentalisation de la Constitution par le
président de la République, on est, de prime abord, très
sceptique quant aux bonnes intentions que pourraient avoir les acteurs d'un tel
renversement. Néanmoins, le continent africain regorge de surprises et
c'est le cas du putsch intervenu au Niger en 2010, qui a amené le
départ du président Mamadou Tandja à quitter le pouvoir
afin que celui-ci soit remis à des civils. Le président s'est vu
sanctionner dans sa volonté de contourner la Constitution en faisant
voter une nouvelle Constitution, alors même que sa démarche avait
été jugée inconstitutionnelle par la Cour
constitutionnelle. Néanmoins, on ne peut se réjouir de la
prolifération de ces coups d'État, même dits «
démocratiques », puisque ceux-ci contribuent à la
perpétuation du recours à la violence et s'éloigne des
modes normaux de cessation des fonctions présidentielles, tels que la
démission ou la révocation. Or, les États africains ont
besoin de pacification afin de pouvoir une stabilité.
154 On peut citer, par exemple, les nombreuses manifestations
estudiantines pendant le régime du Parti unique.
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La sanction politique, lorsqu'elle conduit à enfreindre
la Constitution, a la fâcheuse conséquence de créer du vide
autour d'elle, et donc de déstabiliser durablement l'État.
On voit malheureusement que les sanctions internes permettant
de dissuader un président de la République de recourir à
l'instrumentalisation des conditions d'éligibilité en Afrique
sont généralement soit non appropriées à l'exigence
démocratique, soit d'une efficacité faible. Dans ces conditions,
la recherche de sanctions extérieures à l'État est
déterminante en Afrique.
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