Chapitre 2 : L'existence de sanctions des
détournements des
conditions d'éligibilité ?
La faiblesse de l'État de droit en Afrique,
corrélée à l'hyperprésidentialisme existant dans de
très nombreux États nous amène souvent à avoir
l'impression d'une impunité totale à l'égard des
dirigeants sur le continent. Néanmoins, au-delà des impressions
et des apparences, il serait intéressant de s'interroger sur l'existence
de mécanismes institutionnels, sociaux ou politiques permettant de
lutter contre ce problème d'impunité. Il faut, dans un premier
temps, s'interroger sur l'existence de ces mécanismes et leur
efficacité en interne, c'est-à-dire à l'échelon
étatique, car il s'agit de l'échelon le plus proche du chef de
l'État (Section 1), puis s'interroger sur leur existence et leurs
influences au plan international, un échelon incontournable à
notre ère de mondialisation (Section 2).
Section 1 : La recherche de sanctions internes aux
États
La question des sanctions doit être abordée
largement et, ainsi, englober à la fois les sanctions juridiques et les
sanctions politiques. Lorsque l'on parle de sanctions juridiques, il faut
nécessairement aborder la question de la responsabilité de
l'individu susceptible de faire l'objet de sanctions. En effet, sans
responsabilité, il n'y a pas de sanction et vice-versa.
Néanmoins, la question de la responsabilité du président
de la République ne va pas de soi en droit constitutionnel, puisque, par
exemple, la Constitution française de la ye
République, qui a servi de modèle à de nombreuses
Constitutions africaines, consacre l'irresponsabilité comme règle
de principe. Aujourd'hui, l'option pour la responsabilité juridique du
président de la République est largement partagée par les
États du continent. Il faut donc étudier la forme que prend cette
responsabilité, ainsi que son effectivité (I), le politique
n'étant pas non plus à négliger, puisque dans le contexte
des États africains, il faut rappeler que de nombreuses
évolutions institutionnelles ont été initiées non
pas par des actes juridiques, mais par des actes politiques. Ces actes
politiques prennent diverses formes : coup d'État, soulèvements
populaires, réprobations par les urnes, etc., et il faudra s'interroger
sur l'efficacité des sanctions non juridiques en interne (II).
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I) La sanction juridique : la question de la
responsabilité du président de la République
La responsabilité du président de la
République, en Afrique francophone, est fortement tributaire du legs de
la Constitution française de 1958, par la référence quasi
unanime à la haute trahison. En effet, dans de nombreux États, la
« haute trahison » est la seule cause permettant d'engager la
responsabilité du chef de l'État. Dans cette mesure, on peut se
demander si cette cause d'engagement de la responsabilité permet de
mettre en accusation un président dans le cas où il aurait
porté atteinte à la Constitution, par une violation pure et
simple du texte ou une instrumentalisation de celui-ci à des fins
personnelles, par exemple. Néanmoins, on constate que, souvent,
l'expression de « haute trahison » n'est pas définie par les
textes et que ceux-ci ne permettent donc pas de savoir si la violation
constitutionnelle est considérée comme telle. Ce silence
constitutionnel se retrouve au Sénégal, au Togo et en Côte
d'Ivoire. Mais, fort heureusement, il y a des États dans lesquels on
apporte plus de précisions sur la notion. Il s'agit, par exemple, de la
Constitution centrafricaine, laquelle, à son article 96,
énumère une liste non exhaustive d'actes susceptibles
d'être qualifiés de « haute trahison ». Parmi ces actes,
on trouve la violation du serment et, si on examine le serment reproduit
à l'article 25, on constate bien que celui-ci fait promettre au
président investi « de ne jamais exercer les pouvoirs qui
[lui] sont dévolus par la Constitution à des fins
personnelles ».
En revanche, d'autres États ont su s'affranchir de la
simple responsabilité pour haute trahison et proposent, en plus de
celle-ci, d'autres causes d'engagement de la responsabilité, autonomes
et qui, pour certaines, sanctionnent directement la violation
constitutionnelle. Ainsi, la Constitution malgache prévoit, à
l'article 131, trois cas d'engagement de la responsabilité
présidentielle, parmi lesquels le cas de « violation grave, ou
de violations répétées de la Constitution ». On
retrouve également ce type de responsabilité dans les
Constitutions non francophones, comme c'est le cas en Angola, où la
Constitution, à l'article 129, prévoit la destitution du
président de la République pour crime de violation de la
Constitution. Seulement, dans ce cas, seule la violation aboutissant à
la violation de l'État de droit démocratique, la
sûreté de l'État ou le bon fonctionnement des institutions
est incriminée. On pourra estimer que l'État de droit
démocratique est violé lorsqu'un opposant est
empêché de se présenter aux élections, car celui-ci
fait peur au pouvoir en place.
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La sanction déterminante prévue en cas de
condamnation, suite à l'engagement de la responsabilité du
président de la République, est la révocation. Cependant,
en ce qui concerne l'effectivité des textes en la matière, il
faut faire plusieurs remarques. Tout d'abord, la mise en accusation du
président de la République reste très rare sur le
continent africain. Ainsi, Ismaïla Madior Fall ne manque pas de «
souligner le caractère illusoire et chimérique de la haute
trahison ». Selon lui, ce qui rend difficilement applicable les
textes sont « la rationalisation de la procédure de mise en
oeuvre de la responsabilité combinée avec le
phénomène majoritaire, [et] d'autre part aux
conséquences infamantes de la destitution pour haute
trahison151 ». En effet, il est important de souligner que
les instances chargées de mettre en accusation le président de la
République sont généralement les députés de
l'Assemblée nationale et/ou du Sénat, qui sont, dans la plupart
des cas, dévoués à celui-ci.
L'auteur précédemment cité reprend une
observation intéressante selon laquelle « il est admis en fait
et en doctrine que la seule forme de responsabilité
présidentielle qui vaille est, ainsi que le souligne Claude
Emeri152, celle qui se joue devant le corps électoral
à l'occasion de consultations électorales (nationales) ou
référendaires153 ». La menace de la sanction
politique serait donc la seule à dissuader le président de la
République de frauder la Constitution ? Ce qui est sûr, c'est que
la sanction politique n'est pas la seule à pouvoir être mise en
jeu.
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