Conditions d'éligibilité du président de la république et démocratie en Afrique subsaharienne( Télécharger le fichier original )par Eveline RODRIGUES PEREIRA BASTOS Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 droits africains 2011 |
II) Contentieux de l'éligibilité par rapport à la limitation de mandatLe contentieux de l'application à un candidat de la limitation de mandat est en réalité le même que le contentieux évoqué précédemment. Néanmoins, celui-ci appelle l'application d'une disposition constitutionnelle particulière ; il s'agit de la limitation de mandat. Cette disposition ne s'applique donc qu'au candidat ayant déjà exercé un ou plusieurs mandats, et, dans les faits, il s'agit très souvent du président sortant. C'est à travers l'étude de ce contentieux que l'on peut au mieux estimer la capacité du juge à protéger les idéaux démocratiques défendus par la Constitution, à travers la mise en place de freins au maintien anticonstitutionnel des présidents africains. Il y a une question juridique précise qui concentre l'essentiel du contentieux en la matière. Il s'agit de la question de savoir si la loi nouvelle introduisant la limitation de mandat dans le constitutionnalisme s'applique au mandat en cours du président en place. Autrement dit, il s'agit de savoir si la loi nouvelle est d'application immédiate ou si elle est rétroactive. Les deux cas emblématiques dans lesquels la question a été soumise au juge de l'éligibilité sont ceux du Sénégal et du Burkina Faso. Les juges sénégalais et 143 Ibid., p. 67. 67 burkinabé ont tranché dans le même sens, au profit de l'application immédiate et uniquement pour l'avenir de la loi nouvelle, et donc au profit de la possibilité pour le président en place de se représenter. L'étude des deux décisions permettra de dégager les enseignements à en tirer. Le Conseil constitutionnel burkinabé a été saisi de plusieurs requêtes tendant à faire annuler sa décision administrative en date du 2 octobre 2005144, par laquelle il avait inscrit le président et candidat Blaise Compaoré à la liste des candidats recevables à l'élection présidentielle de la même année. Les requérants faisaient valoir essentiellement l'idée que la candidature de ce dernier, qui avait déjà fait deux mandats, violait l'esprit de l'article 37 de la Constitution limitant à une fois la rééligibilité du président de la République. Il faut rappeler que la particularité de l'article 37 supportant la limitation de mandat est qu'il a été révisé à deux reprises, dans un premier temps en 1997, dans le sens de la levée de la limitation de mandat prévue par la Constitution de 1991, puis en 2000, dans le sens du retour de la limitation de mandat. Ainsi, les requérants invoquaient l'idée d'une erreur commise par le constituant en 1997, sur laquelle il serait revenu en 2000 pour rétablir la volonté du constituant originaire. La parenthèse de 1997 ayant été effacée par la révision de 2000, il fallait nécessairement comprendre une telle révision comme une restauration de ce qui aurait dû être, et, ainsi, la loi nouvelle était nécessairement rétroactive. Cependant, aucun élément de la Constitution du 11 juin 1991 ne permettait de valider cet argument jusnaturaliste, mais aucun élément ne permettait non plus de l'invalider. Le Conseil constitutionnel a, quant à lui, recouru à une interprétation de l'esprit de la révision constitutionnelle aboutissant au raisonnement contraire, le Conseil se fondant notamment sur la lecture du rapport de la Commission des réformes politiques, préconisant une application immédiate de la loi nouvelle. De plus, le Conseil a érigé en « principe de base » l'application immédiate de la loi, et établi l'idée que si le constituant avait voulu y déroger, il l'aurait fait expressément. Ce que l'on peut retenir de la décision, c'est, d'une part, le fait que le texte constitutionnel lui-même ne fournissait aucun élément susceptible d'indiquer la solution à donner au conflit de la loi dans le temps, puisque la révision constitutionnelle de 2000 n'abordait pas du tout la question de la rétroactivité ou non de la loi nouvelle ; d'autre part, sur le plan juridique, que la décision paraît parfaitement justifiable, même si la solution inverse aurait pu également se justifier. C'est sur le terrain politique que le 144 Décision n° 2005-003/CC/EPF du 2 octobre 2005. 68 Conseil peut être critiqué, car cette décision favorise l'impression de la confiscation du pouvoir par le clan présidentiel145. Le Conseil constitutionnel sénégalais a été confronté à la même question, à savoir si la limitation de mandat contenue dans la nouvelle Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 était applicable au premier mandat du président Abdoulaye Wade, alors en cours au moment de l'introduction de celle-ci. Le Conseil constitutionnel a, dans un premier temps, admis la recevabilité de la candidature du président Abdoulaye Wade dans une décision146 dressant la liste des candidats à l'élection présidentielle de 2012. Il fut, par la suite, amené à confirmer et motiver une telle décision à l'occasion de la réclamation formulée contre la candidature du président sortant147. Nous nous attacherons à analyser uniquement la réponse du Conseil sur le moyen principal des requérants, à savoir que la candidature d'Abdoulaye Wade violait les articles 27 et 104 de la Constitution du 22 janvier 2001, en se présentant pour un troisième mandat. L'article 27 prévoit que « la durée du mandat du président de la République est de sept ans. Le mandat est renouvelable une seule fois148 ». L'article 104, quant à lui, dispose que « le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu'à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables ». Ainsi, selon les requérants, une lecture correcte de l'article 104 alinéa 1 voudrait que la disposition selon laquelle « le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu'à son terme » ne s'applique qu'à la durée du mandat présidentiel, puisque la nouvelle Constitution, au moment de son entrée en vigueur, avait abaissé la durée du mandat de sept à cinq ans. Le constituant entendait laisser le président poursuivre son mandat jusqu'au terme des sept années pour lesquelles il avait été élu. Et, donc, l'alinéa 2 de l'article 104 - « Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables » - témoignait de la volonté du constituant de voir rétroagir la Constitution nouvelle pour toutes les autres dispositions, y compris la limitation de mandat contenue dans l'article 27. Néanmoins, le Conseil constitutionnel n'a pas adhéré à un tel raisonnement et a confirmé logiquement sa première décision. Le raisonnement adopté 145 Voir le commentaire de Stéphane Bolle, « La Constitution Compaoré ? Sur la décision n° 2005-007/EPF du 14 octobre 2005 du Conseil Constitutionnel du Burkina Faso », Afrilex, n° 05, 2006, 14 p. [Réf. du 6 juin 2012]. Format html. Disponible sur : http://afrilex.u-bordeaux4.fr/la-constitution-compaore-note-sous.html. 146 Conseil constitutionnel du Sénégal, Affaire n° 1/E/2012 du 27 janvier 2012. 147 Conseil constitutionnel du Sénégal, Affaire n° 3/E/2012 à n° 14/E/2012 du 29 janvier 2012. 148 Le mandat a été porté de cinq à sept ans lors de la réforme de 2008. 69 par le juge a consisté à dire que l'alinéa 1 de l'article 104 ne visait pas seulement la durée du mandat du président en cours, mais le mandat dans son ensemble, puisque, selon lui, la durée « ne peut en être dissociée », le mandat échappant donc dans son ensemble à l'application de la loi nouvelle. Un raisonnement logique issu de la doctrine met ici en évidence le caractère farfelu de l'interprétation du juge sénégalais149. En effet, comment l'article 104 pourrait-il, dans son alinéa 1er, exclure du champ d'application de la Constitution nouvelle le premier mandat du président dans son entier, puis le soumettre au respect de cette même Constitution dans son second alinéa ? La solution du Conseil constitutionnel semblait donc incohérente et non fondée juridiquement. Nous voilà donc en présence de deux décisions allant dans le sens du maintien du président sortant, au pouvoir, une première qui trouve un fondement juridique difficilement critiquable mais politiquement regrettable, et une seconde qui paraît, quant à elle, tout bonnement infondée en droit, ou du moins relevant d'une erreur d'interprétation. On constate que, contrairement au contentieux touchant à la validité des candidatures des opposants au président sortant, qui se caractérise par une rigueur dans l'interprétation des conditions d'éligibilité, le président sortant, quant à lui, fait l'objet de plus de clémence lorsqu'il s'agit de faire juger de sa possibilité de se représenter. Une telle analyse conduit à accentuer les doutes quant à la réelle indépendance des juges constitutionnels africains, et relance le débat sur la nécessité de revoir leur mode de désignation. Un tel constat n'empêche pas de formuler des voeux de changement à l'intention des juges de la constitutionnalité et de l'éligibilité actuels, et c'est ce que fait très justement Alioune Sall à l'égard du Conseil constitutionnel sénégalais, mais qui ont vocation à s'appliquer aux autres juridictions africaines : « Ce que nous sommes en droit d'attendre [...] du Conseil constitutionnel, c'est qu'il soit une institution de son temps. Dans la trajectoire des juridictions, il se produit des moments décisifs, des périodes cathartiques, où la manière de rendre la justice change, non sous le poids de la pression d'acteurs, mais sous l'aiguillon d'un nouveau contexte social ou 149 Moussa Samb, « De l'art de (mal) juger, Propos d'un juriste privatiste sur l'arrêt du Conseil constitutionnel du 29 janvier 2012 », El Hadj Mbodj blog, 2012, non paginé. [Réf du 6 juin 2012]. Format html. Disponible sur : 70 politique. Par excellence et par vocation pourrait-on dire, c'est le juge constitutionnel, d'entre tous, qui est préposé à ce travail pionnier150 ». Néanmoins, lorsque l'office du juge s'est avéré insuffisant à garantir le respect des principes constitutionnels, il faut s'en remettre au texte fondamental afin de rechercher s'il a mis en place des mécanismes préventifs contre la volonté d'instrumentalisation de ses dispositions. Contre la transgression de la norme, cependant, rien de plus efficace que la sanction, celle-ci remplissant à la fois une fonction de justice et une fonction de prévention. Il faudra alors rechercher l'existence de la sanction dans le dispositif juridique à la fois des États africains, mais également de l'ordre international. Le constitutionnalisme africain se caractérisant par l'existence d'un hyperprésidentialisme récurrent, nos recherches se concentreront sur les sanctions à l'encontre de la personne du président de la République. 150 Alioune Sall, « Interprétation normative et norme interprétative : à propos des décisions du Conseil constitutionnel », La constitution en Afrique, 2012, non paginé. [Réf du 6 juin 2012]. Format html. Disponible : http://www.la-constitution-en-afrique.org/categorie-10197864.html. 71 |
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