Section 2 : Le contrôle du contentieux de
l'éligibilité aux élections présidentielles
Le contrôle de l'éligibilité est le second
domaine d'action du juge constitutionnel contre l'instrumentalisation des
conditions d'éligibilité constitutionnelle. Ce contrôle
intervient en en second temps, lorsque le contrôle de la révision
s'est avéré insuffisant à permettre que les modifications
constitutionnelles ne se fassent pas au détriment de la libre
compétition électorale. Le juge de l'éligibilité,
parce qu'il apprécie l'application de la Constitution en matière
de réalisation des conditions d'éligibilité pour un
candidat, a un impact certain sur l'ouverture ou non du jeu démocratique
et peut, s'il le souhaite, constituer un frein à la volonté
antidémocratique d'un gouvernement en place.
C'est ici la fonction de juge électoral des
institutions, chargé de contrôler le respect de la Constitution
qui est invoquée. Il s'agit d'une fonction qui, bien souvent, est
partagée avec les commissions électorales indépendantes,
mises en place dans les États africains au lendemain des
conférences nationales afin de garantir la régularité et
la transparence des élections. Bien que ces dernières aient un
rôle dans le contrôle de la recevabilité des candidatures
électorales, c'est bien souvent le juge constitutionnel ou à la
Cour suprême qui a le dernier mot, par le biais du recours formé
devant lui pour contester les décisions des commissions
électorales. Ainsi, notre étude portera uniquement sur la
jurisprudence des juridictions constitutionnelles des États dans le
cadre, d'une part, du contentieux de la réalisation des conditions
d'éligibilité (I) et, d'autre part, dans le contentieux de
l'éligibilité impliquant l'application d'une disposition de
limitation de mandat (II).
I) Le contentieux de la réalisation des conditions
d'éligibilité
Le juge constitutionnel africain est chargé par la
Constitution de statuer sur la régularité des élections.
C'est ce qu'indique l'alinéa 1 de l'article 84 de la Constitution
gabonaise du 26 mars 1991, par la disposition selon laquelle la Cour
constitutionnelle se doit de contrôler « la
régularité des élections présidentielles,
parlementaires, des collectivités locales et des opérations de
référendum dont elle proclame les résultats ».
Dans le cadre du contrôle de la régularité des
élections présidentielles, le juge constitutionnel est
amené à statuer sur la recevabilité des candidatures.
Cependant, les personnes ayant qualité pour agir peuvent formuler des
réclamations motivées contre la liste des candidats. Ces
personnes sont celles qui ont un intérêt à agir : il
s'agit
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essentiellement des autres candidats. Pour se prononcer sur la
recevabilité d'une candidature, le juge va vérifier que celle-ci
remplit bien toutes les conditions posées par la Constitution et le code
électoral.
L'appréciation qui sera faite des conditions
d'éligibilité par le juge conduira à restreindre ou non le
nombre des personnes amenées à participer à
l'élection présidentielle. Selon Ismaïla Madior Fall, le
juge de l'éligibilité en Afrique fait une application stricte de
la loi électorale139 et interprète ces dispositions de
façon restrictives.
Pour illustrer ce propos, on peut observer
l'interprétation de la condition de domicile par le juge
béninois. Lorsque la disposition ne donne pas de précision sur ce
qui est entendu par « domicile », l'interprétation revient au
juge de l'éligibilité, et celui-ci semble être exigeant en
la matière. Ainsi la Cour constitutionnelle béninoise, dans une
décision EL 95-092 du 19 mai 1995, a établit que « la
notion de domicile retenue par le législateur en matière
électorale coïncide avec celle de résidence effective sur le
territoire national », ce qui l'a conduite à rendre
irrecevable la candidature du candidat Baba-Moussa au motif que celui-ci
occupait les fonctions de président de la BOAD, dont le siège se
trouve au Togo et que, par conséquent, comme ses fonctions «
exigeaient sa présence constante au siège de l'institution
à Lomé et ne lui laissaient, comme il l'écrit
lui-même, que les fins de semaine pour se rendre au Bénin
», il n'était pas considéré comme ayant
résidé effectivement sur le territoire béninois pendant la
période antérieure aux élections. On en déduit donc
qu'une présence régulière sur le territoire se limitant
à des fins de semaines n'est pas suffisante pour constituer le domicile
du candidat, ici entendu par la Cour comme synonyme de résidence
effective. Bien que la décision porte sur l'éligibilité
d'un candidat aux élections législatives, on peut penser que
cette jurisprudence est extensible aux élections
présidentielles.
Il faut rappeler également que les décisions
prises par le juge de l'éligibilité africain sont très
fréquemment non susceptibles de recours dans le constitutionnalisme
africain. À titre d'exemple, on peut citer l'article 92 alinéa 2
de la Constitution sénégalaise140, qui renferme une
disposition que l'on retrouve dans les constitutions francophones de
façon quasi-identique : « Les décisions du Conseil
constitutionnel ne sont susceptibles d'aucune voie de recours. Elles s'imposent
aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
139 FALL Ismaïla Madior, le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, Paris,
L'Harmattan, op. cit., p. 131.
140 Constitution du 22 janvier 2001.
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administratives et juridictionnelles ». Ainsi,
le Conseil constitutionnel sénégalais a toujours refusé
d'accueillir les réclamations des candidats indépendants contre
sa propre décision de rejeter leur candidature141, leur
opposant l'article 92 alinéa 2 suscité. La décision du
Conseil était fondée sur le fait que ceux-ci avaient fourni un
nombre de signatures d'électeurs inférieur aux 10 000
exigées par la Constitution, toutes leurs signatures n'étant pas
vérifiables.
De plus, on constate que, dans le cadre du contrôle de
la recevabilité des candidatures à l'élection
présidentielle, les décisions rendues par le juge de
l'éligibilité sont généralement très peu,
voire pas du tout motivées. Ainsi, avant 2006, la Cour constitutionnelle
du Bénin se contentait de dresser la liste des candidats dont la
candidature était jugée irrecevable, sans plus d'explications.
Depuis la décision EL-P 06-004 du 27 janvier 2006, la Cour accepte de
déclarer les motifs de l'irrecevabilité des candidatures
présentées. La jonction du phénomène de la faible
motivation des décisions d'irrecevabilité de candidature et du
principe d'absence de voie de recours des décisions du juge
constitutionnel conduit à faire de ce contentieux un contentieux
sensible, laissant peu de marge de manoeuvre aux candidats recalés.
Selon Ismaïla Madior Fall « lorsque le juge des
candidatures a été saisi pour statuer sur des cas de
recevabilité de candidature, il a une inclination normale à
appliquer les dispositions constitutionnelles et législatives
régissant la candidature. Concrètement, cette attitude
juridictionnelle peut être problématique lorsqu'elle a pour effet
de rejeter des candidatures sérieuses de la compétition pour le
pouvoir, et que ce rejet puisse générer des tensions pernicieuses
pour la stabilité politique du pays142 ». L'auteur
estime que le juge constitutionnel africain, dans ce type de contentieux,
devrait, plutôt que d'appliquer strictement la Constitution et la loi
électorale, faire preuve de plus de libéralisme dans ses
décisions. Il reprend une proposition, faite par Jean-Claude Masclet
dans son rapport de synthèse au Colloque de Cotonou sur les aspects du
contentieux en Afrique, selon laquelle le juge devrait avoir recours à
des textes de droit électoral internationaux que les États ont
ratifiés, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques du 19 décembre 1966 ou la Charte africaine des droits de
l'homme et
141 Décision N° 98/2007 Affaire N° 2/E/2007 :
réclamation de Yoro Fall C/ le rejet de sa candidature à
l'élection présidentielle et Décision N° 1/E/2012
Affaire 2/E/2012, 11/E/2012 et 15/E/2012 : réclamation de Abdourahmane
Sarr, Youssou Ndour, Keba Keinde C/ le rejet de leur candidature à
l'élection présidentielle.
142 Ismaïla Madior Fall, Le pouvoir exécutif
dans le constitutionnalisme des États d'Afrique, op. cit.,
p. 64.
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des peuples. Ainsi, l'article 25 du Pacte prévoit que :
« tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des
discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions
déraisonnables : a) de prendre part à la direction des affaires
publiques, soit directement soit par l'intermédiaire des
représentants librement choisis ; b) de voter et d'être
élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au
suffrage universel et égal au scrutin secret, assurant l'expression
libre de la volonté des électeurs ; c) d'accéder, dans des
conditions générales d'égalité aux fonctions
publiques de son pays ». La reconnaissance de la
supériorité de la norme internationale sur la Constitution
permettrait alors au juge d'« interpréter les dispositions
pertinentes en matière de liberté de candidature en ayant
à l'esprit la préoccupation de sauvegarder la liberté de
candidature et l'égalité des chances de tous d'accéder aux
fonctions politiques, notamment à la Présidence de la
République143 ».
Si on a pu caractériser la jurisprudence du juge de
l'éligibilité comme restrictive en matière de contentieux
de la candidature, il est important d'analyser celui touchant à
l'application de la limitation de mandat, afin d'apprécier au mieux la
capacité du juge à garantir le respect de la Constitution et
à promouvoir la démocratie.
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