Chapitre 2 : Les failles du constitutionnalisme
africain favorisant le
détournement des conditions
d'éligibilité
Le choix d'inscrire telle ou telle disposition à la
Constitution n'est pas fait à la légère ; il s'agit de
poursuivre un objectif bien précis. Le recours à la limitation de
mandat, par exemple, manifeste une volonté d'encadrer le pouvoir
présidentiel en l'enfermant dans un temps limité. Cependant, on
constate que de nombreux présidents, soumis à la limitation de
mandat, trouvent des moyens pour se soustraire à celle-ci. Cela signifie
donc que le constitutionnalisme africain ne permet pas de garantir
l'application des normes inscrites à la Constitution. C'est donc qu'il
existe des failles dans le constitutionnalisme. Ces failles se manifestent soit
dans l'incapacité à empêcher les révisions
constitutionnelles antidémocratiques (Section 1), soit dans
l'impossibilité d'interdire les interprétations biaisées
de la norme suprême (Section 2).
Section 1 : Les failles du constitutionnalisme africain
favorisant la pratique de la révision constitutionnelle
antidémocratique
Les buts poursuivis, dans le recours à la
révision constitutionnelle antidémocratique, sont variés.
Néanmoins, on peut estimer que les facteurs favorisant ces
révisions intempestives sont souvent les mêmes. Il y a des
éléments du constitutionnalisme africain qui ne sont pas
adaptés à la prise en compte du caractère très
récent de ce modèle institutionnel en Afrique. En effet, les
normes juridiques et le système institutionnel sont calqués sur
le modèle occidental et leurs applications ne donnent pas autant de
résultats satisfaisants que dans les régions du monde d'où
provient ce modèle. Dans un système de quasi-non-adaptation du
modèle aux réalités africaines, il faut identifier les
failles favorisant la pratique de la révision anticonstitutionnelle (I)
et tenter de présenter des éléments de solution à
celle-ci (II).
I) Les failles favorisant le phénomène
Il faut, pour mettre en évidence les failles du
constitutionnalisme africain, tout d'abord décrire le cadre
procédural dans lequel s'opère la pratique des révisions
constitutionnelles jugées antidémocratiques. Ainsi, il faut
savoir que les procédures
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africaines de révision constitutionnelle fonctionnent
généralement toutes sur le même modèle.
Pour ce qui est des personnes habilitées à
prendre l'initiative de la révision constitutionnelle, il s'agit, la
plupart du temps, du président de la République et des
députés103. On trouve alors fréquemment la
formule suivante : « l'initiative de la révision de la
Constitution appartient concurremment au Président de la
République et aux députés104 » ; ces
derniers agissent par un vote collégial105. Autant dire que
la décision de réviser la Constitution revient en
réalité quasi systématiquement au chef de l'État,
lequel, en plus d'avoir un droit d'initiative constitutionnellement reconnu, a
très souvent un Parlement entièrement acquis à sa
cause106. Il s'agit là du premier élément
favorisant la pratique de l'instrumentalisation constitutionnelle par le biais
de la révision. En effet, le fait de quasiment réserver
l'initiative de la révision constitutionnelle au président de la
République a pu créer, chez certains d'entre eux, un sentiment de
toute-puissance et favoriser la personnalisation du pouvoir, dès lors
que tout changement constitutionnel doit passer par l'initiative
présidentielle.
Enfin, dans la phase décisive de la procédure
qui consiste en l'adoption de la révision constitutionnelle, deux voies
peuvent être empruntées : celle de l'adoption du projet de
révision par vote des députés et celle de l'adoption par
référendum. La voie parlementaire peut sembler être celle
qui est la plus propice à la réalisation des révisions
constitutionnelles dites « antidémocratiques », puisque, comme
il a été dit plus tôt, elles reposent sur la volonté
des députés africains, que l'on accuse souvent d'être
inféodés au pouvoir. Néanmoins, la procédure
d'adoption de la révision constitutionnelle qui est
privilégiée, et mise en valeur dans le constitutionnalisme
africain, est celle qui repose sur le vote du peuple par
référendum. En effet, cette procédure est
généralement
103 C'est le cas, notamment, à Madagascar (article
162), au Sénégal (article 103), en Côte d'Ivoire (article
124).
104 Article 103 de la Constitution sénégalaise du
22 janvier 2001.
105 Le quorum est généralement
élevé : à Madagascar par exemple, il faut la
majorité des deux tiers (article 162), idem en Côte
d'Ivoire (article 125), mais en Guinée, seule la majorité simple
est demandée (article 152).
106 Voir Kossi Somali, Le Parlement dans le nouveau
constitutionnalisme en Afrique, essai d'analyse comparée à partir
des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, sous la
direction de Vincent Cattoir-Jonville, Lille-2, Sciences juridiques, politiques
et sociales, 2008, n° 2008LIL20004, p. 16. L'auteur résume les
thèses de la faible efficacité des parlements africains en disant
que « certains auteurs assimilent volontiers les nouveaux parlements
africains à des caisses de résonance comparables aux chambres
d'enregistrement des anciens partis uniques bien dociles aux exécutifs
de plus en plus puissants. Les plus radicaux concluent tout simplement à
la vacuité de ces institutions et appellent à leur suppression
pure et simple ».
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possible pour tout projet de révision
constitutionnelle, alors que la simple adoption par voie parlementaire, elle,
est souvent exclue dans certains domaines107 ou doit faire l'objet
d'une décision expresse du président de la République,
écartant l'option du référendum108. En
pratique, le recours au référendum est très
fréquent car il confère un sentiment de légitimité
à la révision, même lorsque celle-ci contredit l'esprit de
la Constitution. Concernant le recours fréquent au
référendum par les chefs d'État afin de légitimer
une révision constitutionnelle controversée, Séni
Mahamadou Ouédraogo met en garde contre le risque de manipulation du
peuple et indique que ce dernier « peut être sollicité
pour donner son arbitrage sur des questions politiques très
controversées sans que les conditions d'une telle consultation soient
démocratiquement garanties109 ». Ainsi donc, la
procédure d'adoption de la révision constitutionnelle semble
insuffisante à garantir l'expression de la volonté populaire.
L'absence de réels contre-pouvoirs au sein des
institutions étatiques, couplée à la remise de
l'initiative de la révision entre les mains du président de la
République, semble conférer à ce dernier un sentiment de
toute-puissance. Il est donc urgent de trouver des éléments de
solution permettant de remédier à cet état de fait
préjudiciable pour les démocraties africaines.
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