II) Éléments de solution
Le recours trop fréquent, en Afrique, à la
révision constitutionnelle implique en effet que soient prises des
mesures spécifiques tendant à accroître fortement la
difficulté de réviser la norme suprême. Car ce qui
distingue une norme ordinaire d'une norme constitutionnelle, c'est la
complexité résidant dans la procédure de révision
de la seconde. En effet, la norme constitutionnelle perd de sa
supériorité lorsqu'elle est l'objet de modifications trop
fréquentes et aisées, comme cela pourrait être le cas pour
une simple loi ordinaire. Peut-être que le choix d'instituer des modes de
procédure de révision constitutionnelle calqués sur le
modèle des États du Nord n'est pas la chose à
107 Ainsi, l'article 193 de la Constitution rwandaise du 4
juin 2003 impose que les révisions portant sur « le mandat du
président de la République, sur la démocratie pluraliste
ou sur la nature du régime constitutionnel, notamment la forme
républicaine de l'État et l'intégrité du territoire
national » fassent l'objet d'une ratification impérative par
référendum.
108 Ainsi, par exemple, les alinéas 3 et 4 de l'article
103 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001
prévoient que « La révision est définitive
après avoir été approuvée par
référendum. Toutefois, le projet ou la proposition n'est pas
présenté au référendum lorsque le président
de la République décide de le soumettre au Parlement
convoqué en Congrès ».
109 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 391.
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faire, et qu'il faut, en la matière, prendre en compte
plus fortement les spécificités liées au continent
africain. C'est donc ces spécificités qui nécessitent une
complexification110 de la procédure de révision
constitutionnelle. Celle-ci permettra ainsi une meilleure protection, par
exemple, des dispositions de limitation de mandat.
Tout d'abord, il a été identifié un
problème dans l'initiative de la révision constitutionnelle. En
effet, celle-ci est particulièrement restreinte et, comme il a
été dit plus tôt, elle revient généralement
dans les faits exclusivement au président de la République. Il
faut donc envisager, dans un premier temps, un élargissement du champ
des personnes habilitées à proposer une révision
constitutionnelle et ne pas limiter celle-ci au bon vouloir
présidentiel. On connaît des cas de prise en compte d'une telle
nécessité sur le continent africain. Ainsi, dans la Constitution
burkinabée111, une place est laissée à
l'initiative de révision constitutionnelle émanant du peuple.
L'article 161 prévoit l'exercice de ce pouvoir d'initiative par
pétition, « une fraction d'au moins trente mille personnes
ayant le droit de vote, introduit devant l'Assemblée des
députés du peuple une pétition constituant une proposition
rédigée et signée ». Il s'agit d'une solution
qui peut s'avérer intéressante dans un État qui
bénéficie d'une société civile et d'une opposition
active et capable de s'exprimer. La réelle ouverture de l'initiative de
révision constitutionnelle permettrait de constituer une source
initiatrice concurrente à celle du président. Dans ce sens, on
peut envisager également une réduction du quorum exigé
pour le vote de la proposition de révision par les
députés, afin d'ouvrir des possibilités aux
députés n'appartenant pas à la majorité.
En revanche, pour ce qui est de la procédure d'adoption
de la révision constitutionnelle, on a déploré une
manipulation du peuple à l'occasion du référendum. Il
faudra, en tout premier lieu, s'assurer que l'adoption de la révision ne
puisse se faire qu'à partir d'un certain seuil de participation. De
plus, Séni Mahamadou Ouédraogo propose, quant à lui, que
« les réformes politiques et institutionnelles qui occasionnent
très souvent en Afrique les fraudes à la Constitution se
déroulent conformément à un code de bonne conduite et aux
recours systématiques au consensus qui doit être recherché
dans des phases de négociations assez longues112
».
110 On entend par là la nécessité de
rendre la procédure plus longue et complexe, afin que toute
révision implique tous les acteurs de la société et
qu'aucune ne puisse passer inaperçue.
111 Constitution du 11 juin 1991 (la dernière en date).
112 Séni Mahamadou Ouédraogo, La lutte
contre la fraude à la Constitution en Afrique noire francophone,
op. cit., p. 421.
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On réalise à quel point le problème de la
révision constitutionnelle à des fins non démocratiques
peut s'avérer dangereux pour un État et créer de la
division au sein de celui-ci113. C'est pourquoi il est essentiel que
chaque modification du texte constitutionnel se fasse avec le concours de tous
les acteurs de la société concernée, cela à l'image
des rassemblements des conférences nationales des années
quatre-vingt-dix. Cependant, une fois les normes élaborées selon
la volonté populaire, il faut s'assurer que leur mise en application ne
fasse pas l'objet de détournement par le biais d'une
interprétation faussée du texte. Les textes constitutionnels
africains étant souvent en proie à une interprétation
orientée vers la recherche des intérêts personnels des
dirigeants, il faudra également rechercher les failles du
constitutionnalisme africain pouvant favoriser une telle pratique.
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