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Conditions d'éligibilité du président de la république et démocratie en Afrique subsaharienne

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par Eveline RODRIGUES PEREIRA BASTOS
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 droits africains 2011
  

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Section 2 : Typologie de la pratique de l'instrumentalisation dans le néo-constitutionnalisme africain

Contrairement à la période antérieure, à propos de laquelle Albert Bourgi dira que « très vite, les Constitutions furent mises en sommeil, quand les gouvernants civils n'étaient pas tout simplement renversés par des coups d'États. Le parti unique s'est finalement imposé partout93... », la période postérieure à la chute du parti unique réactiva le dynamisme du constitutionnalisme africain. Les Constitutions devinrent plus complètes et eurent vocation à être appliquées pleinement. En réalité, ce fut le début d'une nouvelle ère d'instrumentalisation de la Constitution. La donne ayant alors changé, il n'était plus possible aux chefs d'État africains désireux de violer les règles constitutionnelles de le faire ostensiblement. La pratique de l'instrumentalisation, dans le néo-constitutionalisme africain, prend essentiellement deux formes qu'il faut décrire : la pratique des révisions constitutionnelles antidémocratique (I), et la pratique de l'interprétation biaisée de la norme constitutionnelle (II). L'usage de telles pratiques se fait sous l'habit de la légalité, et les normes juridiques sont mises à la disposition d'intérêts personnels. Selon Karim Dosso, « Cette ingénierie constitutionnelle, d'après l'expression à la mode, est en réalité au service de la conservation et de la pérennisation du pouvoir94 ». On peut donc dire que c'est le système institutionnel actuel qui donne les moyens aux dirigeants de se maintenir au pouvoir contre l'intérêt de leur peuple. L'instrumentalisation des conditions d'éligibilité devient un formidable outil dans cette entreprise.

93 Albert Bourgi, « Lecture et relecture de la Constitution de la Ve République », colloque du

40e anniversaire de la Constitution française, 7-8-9 octobre 1998, p. 2. Cité par Karim Dosso, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone : cohérences et incohérences », art. cité, p. 2.

94 Karim Dosso, « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone : cohérences et incohérences », art. cité, p. 23.

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I) La pratique des révisions constitutionnelles antidémocratiques

Comme l'écrit justement Karim Dosso, ce n'est pas la question de la révision constitutionnelle qui pose problème en elle-même. En effet, « il ne s'agit pas ici de revenir sur la possibilité et la nécessité de réviser la Constitution95 » ; « ce qui est utile à la réflexion et qui accrédite l'idée de la manipulation ou de l'instrumentalisation constitutionnelle, c'est l'enjeu et l'objet qui sous-tend ces révisions96 ». Ce que l'on qualifiera donc de révisions constitutionnelles, ce sont toutes ces révisions qui ont un « enjeu et objet » antidémocratiques. Est antidémocratique tout ce qui vise à usurper le pouvoir du peuple au profit d'un groupe ou d'un individu. C'est donc la finalité de la révision qui, lorsqu'elle viole l'esprit du texte, va conférer à celle-ci son caractère antidémocratique. La pratique d'instrumentalisation constitutionnelle par le biais de la révision antidémocratique de la Constitution prend essentiellement deux formes, mais n'a qu'une et même finalité : le maintien au pouvoir et la confiscation de celui-ci au peuple.

La première forme est celle qui opère une révision de la Constitution avec le dessein de contourner une restriction du maintien au pouvoir. Il peut s'agir de supprimer la clause limitative de mandat ou une condition d'éligibilité empêchant la nouvelle candidature. Ainsi, en 2008, au Cameroun, le président Paul Biya a fait supprimer la clause limitative de mandat. Parfois, la volonté de contourner une restriction à l'éligibilité va tellement loin qu'elle conduit à réformer le texte constitutionnel complètement. Ce fut le cas notamment au Niger, lorsque le président Tandja, soumis à une clause de limitation de mandat ne pouvant être modifiée du fait de son caractère de supra-constitutionnalité97, dut, pour se représenter, faire disparaître complètement la Constitution au profit d'une nouvelle. À Madagascar, on a connu également la situation de remplacement d'une Constitution par une autre. Le président actuel, qui est arrivé au pouvoir dans des conditions extraconstitutionnelles, ne remplissait pas la condition d'âge prévue par la Constitution du 19 août 1992, en vigueur au moment de son arrivée. Cette dernière fut remplacée par la Constitution de la IVe République98 qui, elle, abaissa

95 Ibid., p. 23.

96 Ibid., p. 23.

97 La supraconstitutionnalité concerne des dispositions constitutionnelles qui, d'après le texte de la Constitution lui-même, ne sont pas susceptibles d'être modifiées. Elles apparaissent donc, de ce fait, comme étant supérieures aux autres dispositions.

98 Constitution du 11 décembre 2010.

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l'âge minimum pour occuper la fonction suprême, régularisant ainsi la situation du chef de l'État déjà en place99.

La seconde forme d'instrumentalisation par la pratique de la révision vise cette fois, au contraire, à l'ajout de restrictions, mais à l'encontre des opposants sérieux au pouvoir en place, afin de leur fermer l'accès à la candidature présidentielle. L'ajout de telles restrictions se fait par plusieurs biais, soit par l'introduction directe de celle-ci dans le texte constitutionnel, comme cela fut le cas, par exemple, à l'article 35 de la Constitution ivoirienne. En effet, il est largement admis que la particulière sévérité de l'article 35 de la Constitution ivoirienne du 23 juillet 2000, quant à la condition de nationalité100, venait précisément de la volonté d'exclure une potentielle candidature de l'actuel président ivoirien, Alassane Ouattara, dont on savait que l'un des parents n'était pas ivoirien d'origine. Néanmoins, on a pu constater également la limitation de l'accès à la compétition présidentielle pour les opposants, par le biais de l'ajout de restrictions à l'éligibilité, non pas directement dans le texte constitutionnel, mais par le biais, par exemple, de la loi organique, censée normalement seulement préciser le texte constitutionnel. On constate un empiétement réel de certaines lois, organiques ou ordinaires, sur le domaine de compétence de la Constitution. Ainsi, au Togo, en 2002, le pouvoir est venu introduire, par le biais du code électoral, une nouvelle condition d'éligibilité à l'élection présidentielle : il s'agissait d'une obligation de résidence de douze mois sur le territoire de l'État. À l'époque, l'opposition a condamné ce qu'elle a jugé comme un moyen d'exclure le candidat d'opposition Gilchrist Olympio de la compétition politique pour les élections présidentielles de juin 2003. Le problème qui se pose en l'espèce est un problème de hiérarchie des normes. En effet, celle-ci implique que les lois organiques et lois ordinaires se conforment à la Constitution et ne se prononcent, dans les domaines régis par la Constitution, que pour l'apport de précisions quant aux dispositions du texte suprême. Or, en l'espèce, il s'agissait bien de créer de toutes pièces une condition d'éligibilité que la Constitution ne prévoyait pas. Les autorités togolaises ont d'ailleurs, quelque mois après, modifié la Constitution dans le sens de l'introduction de la nouvelle condition de résidence, ce qui sonne comme une tentative de régularisation d'une situation juridiquement contestable.

99 L'article 46 de la Constitution du 19 août 1992 imposait que les candidats à la présidence soient âgés d'au moins quarante ans, la nouvelle constitution quant à elle dispose également dans un article 46 que tous candidats à la présidence doivent avoir au moins trente-cinq ans.

100 L'alinéa 3 de l'article 35 impose que le candidat soit « ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d'origine ».

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On constate donc que la pratique de l'instrumentalisation de la révision constitutionnelle oscille entre affaiblissement et renforcement des mesures conditionnant l'accès à la candidature au poste présidentiel, et cela en fonction des individus qu'elles sont susceptibles de viser. Il y a donc bien là un usage à titre personnel du fait juridique incompatible avec la notion d'État de droit. De plus, on constate qu'en dépit de l'usage de la révision de la norme à des fins d'instrumentalisation de celle-ci, il est fréquent, en Afrique, de rencontrer également des détournements de l'esprit du texte constitutionnel, fondés sur une interprétation biaisée de celui-ci.

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