II - Portée juridique et contenu de la protection de
la santé
Il résulte de la conception contemporaine de la
santé (cf. supra) de nouvelles obligations pour les institutions
publiques. Ainsi, la protection de la santé a acquis une certaine valeur
juridique (A) et a été doté d'une
définition et d'un contenu larges (B).
A - Valeur juridique de la protection de la
santé
La protection de la santé est un principe à
valeur constitutionnelle88 issu de l'alinéa 11 du
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.89 Les
pouvoirs publics ont pour charge d'assumer la protection de la santé, et
non la santé, « tache évidemment impossible, même pour
l'Etat-providence. »90
A l'instar du juge constitutionnel italien qui
considère que le droit à la santé présente deux
aspects (l'un individuel et subjectif en tant que droit fondamental individuel,
l'autre collectif, social et objectif, la protection de la santé dans
l'intérêt de la collectivité91), la
jurisprudence française retient une conception duale du principe de
protection de la santé.92
L'analyse de la jurisprudence française faite par Mme
GRÜNDLER montre qu'à côté de sa dimension
individuelle, la dimension collective de la protection de la santé est
mieux garantie par le juge qui, « au terme de son opération de
conciliation de droits, n'hésite pas à faire prévaloir la
protection de la santé publique, composante de l'intérêt
général, sur des intérêts particuliers.
»93 Dans son aspect individuel, le droit à la protection
de la santé est à la fois un droit-liberté interdisant aux
pouvoirs publics d'agir contre la santé des individus et à la
fois un
88 CC, 74-54 DC, 15 janv. 1975,
Loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse ; CC,
90-283 DC, 08 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le
tabagisme et l'alcoolisme, « Considérant que
l'évolution qu'a connue le droit de propriété s'est
également caractérisée par des limitations à son
exercice exigées au nom de l'intérêt général
; que sont notamment visées de ce chef les mesures destinées
à garantir à tous, conformément au onzième
alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, "la
protection de la santé" ; »
89 « Elle garantit à tous, notamment à
l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de
la santé, la sécurité matérielle, le repos et les
loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son
état physique ou mental, de la situation économique, se trouve
dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la
collectivité des moyens convenables d'existence. »
90 MOREAU J., « Le droit à la santé
», AJDA 1998 p. 185
91 Cour constitutionnelle italienne, Sent. 118, 18
avr. 1996
92 GRÜNDLER T., op. cit. note 91, p. 835
93 Ibidem.
34
droit-créance impliquant l'accès aux
soins.94 Toutefois, Mme GRÜNDLER évoquera à ce
sujet « une justiciabilité sans effectivité du droit
individuel » de protection de la santé.95
Quant à l'aspect collectif, il renvoi notamment
à l'interprétation du Conseil constitutionnel de l'alinéa
11 du Préambule de 1946.96 En effet, le Conseil évoque
la protection de la santé « publique », terme qui
élargit la portée de la protection de la santé à
des perspectives collectives. Cela explique par exemple que le Conseil d`Etat a
refusé de qualifier de liberté fondamentale (dans le cadre du
référé liberté) le droit individuel à la
protection de la santé invoqué par le requérant, retenant
ainsi sa seule dimension collective.97
Au-delà de cette dualité que nous venons
d'évoquer sommairement, nous retiendrons, comme pour la liberté
d'entreprendre, une conception large de la protection de la santé.
Enfin, le principe de protection de la santé peut
entrer en conflit avec d'autres normes juridiques, comme par exemple, la
liberté d'entreprendre et le droit de
propriété98, le droit de grève99, la
liberté d'aller et venir100 ou encore la libre disposition du
corps humain.101 Le juge devra alors concilier ces différents
principes qui sont, bien évidemment, ni généraux, ni
absolus.
Il est temps maintenant de tenter de définir le concept de
protection de la santé.
94 Ibid.
95 Ibid.
96 CC, 90-283 DC, 8 janvier 1991, Loi relative
à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme
97 « CE, ord. 8 sept. 2005, Garde des Sceaux c/ Bunel.
L'espèce concernait un détenu ayant subi un infarctus du
myocarde, qui demandait au juge, d'une part, de suspendre la décision de
placement dans une cellule partagée avec trois fumeurs et, d'autre part,
d'enjoindre au ministre de la Justice de l'affecter dans une cellule
individuelle, afin de ne plus être soumis au tabagisme passif (M.
Laudijois, Le droit à la santé n'est pas une liberté
fondamentale, AJDA 2006. 376). », GRÜNDLER T., « Le juge et le
droit à la protection de la santé », Revue de droit
sanitaire et social 2010 p. 835
98 CC, 90-283 DC, 8 janvier 1991 (cons. 8, 9, 11,
14, 29 et 30) ; CC, 90-287 DC, 16 janvier 1991 (cons. 11, 21 et 22)
99 CC, 80-117 DC, 22 juillet 1980, Loi sur la
protection et le contrôle des matières nucléaires
100 CE, 17 octobre 1952, Chambre syndicale climatique de
Briançon, dame Simon, Dominique et autres, Lebon p. 445, concl.
Chardeau
101 CE Ass., 4 juillet 1958, Graff et Epx Reyes, Lebon p. 415 ;
JCP 1959.II.11117, concl. M. Long
35
|