B - Les limitations à la publicité ou
propagande en faveur du tabac et des boissons alcoolisées
Nous l'avons montré précédemment, la
commercialisation du tabac est bien plus restreinte que celle des boissons
alcoolisées. L'étude des règles encadrant la
publicité desdits produits nous démontre encore une fois la
véracité de cette affirmation. Nous passons ainsi d'un
régime d'interdiction de principe de la publicité ou propagande
en faveur du tabac (1), à un régime strictement
encadré concernant la publicité de l'alcool, qui n'est
autorisée que dans des situations limitativement
énumérée par le législateur
(2).
1 - L'interdiction de principe de la publicité
ou propagande en faveur du tabac
Principe. L'art. L. 3511-3 du CSP pose le
principe de l'interdiction de la propagande ou de la publicité directe
ou indirecte en faveur du tabac et des produits du tabac. Il s'agit là
d'un principe qui va limiter les activités économiques à
la fois des publicitaires, des fabriquant et des commerçants de
tabac.
A ce sujet, le Conseil constitutionnel a
considéré que l'encadrement de la publicité du tabac,
fondé sur des exigences de protection de la santé, « ne
porte pas à la liberté d'entreprendre une atteinte qui serait
contraire à la Constitution. »208 En l'espèce,
les auteurs de la saisine avaient opposé à l'encadrement de la
publicité la liberté d'entreprendre « au motif que son
exercice implique le pouvoir de soumettre les produits du tabac aux lois du
marché et de la concurrence » et « que cela suppose une
information du consommateur et une possibilité de diffusion des
produits. »
Par ailleurs, la Cour de cassation considère que la
protection de la santé est un motif légitime de restriction de la
publicité commerciale en tant que forme de liberté d'expression
protégée par l'article 10§1, Conv. EDH.209 On
notera complémentairement que dans un contexte économique, la
publicité « commerciale » ne peut être analysée
qu'en tant que forme de la liberté d'expression mais aussi en tant que
mise en oeuvre de la liberté d'entreprendre, car la
208 CC, 90-283 DC, 08 janvier 1991, Loi relative à la
lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme
209 Crim. 19 nov. 1997, D. 1998. JR 59
138
publicité fait partie intégrante de la
stratégie commerciale des acteurs économiques. Ainsi dans ce cas,
la liberté d'expression protégée par la Conv. EDH peut
constituer un moyen juridique de niveau européen de défense de la
liberté d'entreprendre des acteurs économiques. Mais que recouvre
la notion de publicité ou propagande ?
Définition. Premièrement, la
jurisprudence définit la publicité ou propagande illicite en
faveur du tabac comme « toute diffusion d'écrit, d'image ou de
photographie participant à la promotion du tabac ou des produits du
tabac pour inciter à l'achat » et quel qu'en soit
l'auteur.210 La jurisprudence précisera par la suite qu'
« il est indifférent que certaines des inscriptions figurent
à l'intérieur des paquets, la publicité illicite ne visant
pas seulement l'incitation au premier achat, mais aussi l'incitation à
consommer toujours plus une fois le paquet acheté et ouvert.
»211
Deuxièmement, selon l'article 3511-4 du CSP, la
publicité ou propagande indirecte en faveur du tabac est celle qui d'une
part est faite en faveur d'un organisme, d'une activité, d'un produit ou
d'un article autre que le tabac et qui d'autre rappelle par son graphisme, sa
présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème
publicitaire ou un autre signe distinctif, le tabac ou un produit du tabac.
On a donc une définition très large de la
publicité ou propagande en faveur du tabac, ce qui ouvre de larges
possibilités d'interdictions. Toutefois, certaines exceptions permettent
dans certains cas d'admettre ce type de publicité ou propagande.
Exceptions. L'article précité
autorise ainsi la publicité ou propagande sur les enseignes des
débits de tabac et les affichettes disposées à
l'intérieur de ces établissements, non visibles de
l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes
soient conformes à des caractéristiques définies par
arrêté interministériel212.
L'arrêté prévoit l'obligation d'inscrire sur les
affichettes un message à caractère sanitaire (« Faites-vous
aider pour arrêter de fumer, téléphonez au... »). De
plus, il interdit sur les affichettes d'autres mentions que la
dénomination du produit, sa composition, ses caractéristiques et
conditions de vente (à l'exception du prix), le nom et l'adresse du
fabricant (et, le cas échéant, du distributeur), ou d'autre
représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son
emballage et
210 Crim. 21 févr. 1996, Bull. crim. no 86
211 Crim. 3 nov. 2010, pourvoi no 09-88.599
212 Arrêté du 31 décembre 1992 fixant les
caractéristiques des affichettes relatives à la publicité
en faveur du tabac dans les débits de tabac, version consolidée
au 14 avril 2006
139
de l'emblème de la marque. La restriction est
très sévère malgré le fait que ces
publicités ne soient autorisées que dans les débits de
tabac, c'est à dire généralement qu'à la vue des
fumeurs. Ainsi comme nous l'évoquions, la publicité illicite ne
vise pas seulement l'incitation au premier achat.
De même, la publicité ou propagande est
autorisée dans les publications et communications en ligne
éditées par les organisations professionnelles de producteurs,
fabricants et distributeurs des produits du tabac et à destination de
leurs adhérents. C'est également le cas pour certaines
publications professionnelles spécialisées (cf. art.
précité)
Enfin, la publicité ou propagande à disposition
du public est autorisée lorsqu'elle émane de personnes
établies dans un pays n'appartenant pas à l'Union
européenne ou à l'Espace économique européen et
à condition qu'elle soit en ligne et qu'elle ne soit pas principalement
destinée au marché communautaire (cf. art.
précité).
Ainsi, même dans les rares hypothèses
d'autorisation de la publicité ou propagande, un strict contrôle
sera opéré. Les restrictions sont a contrario moins
lourdes concernant la publicité ou propagande en faveur des boissons
alcoolisées.
2 - L'exhaustivité des situations
autorisant la publicité ou propagande en faveur des boissons
alcoolisées
Principe. Sans poser explicitement un
principe d'interdiction de la propagande ou de la publicité directe ou
indirecte en faveur des boissons alcooliques (dont la fabrication et la vente
ne sont pas interdites), l'art. L. 3323-2 du CSP énumère une
liste exhaustive de huit situations dans lesquelles elle est autorisée.
Au sein de ladite liste, nous évoquerons à titre d'illustration
l'autorisation de la publicité dans la presse écrite (à
l'exclusion des publications destinées à la jeunesse) par voie de
radiodiffusion sonore (pour les catégories de radios et dans les
tranches horaires déterminées par décret en Conseil
d'État), sous forme d'affiches et d'enseignes à
l'intérieur des lieux de vente à caractère
spécialisé et en faveur des musées, universités,
confréries ou stages d'initiation oenologique à caractère
traditionnel.
Au sujet de cette liste exhaustive, un arrêt
récent du Conseil d'Etat a particulièrement attiré notre
attention.213 Ainsi, les juges ont considéré
qu'impliquerait une violation de l'art. L.
213 CE, 11 juill. 2012, SARL Media Place Partners: req. no
351253
140
3323-2 du CSP, la diffusion d'un programme thématique
intégralement consacré au vin et à la viticulture, visant
à en présenter les mérites et les attraits, au motif que
les services de télévision ne sont pas compris dans les
autorisations prévues par l'article précité. A
première vue, considérant les dispositions de l'article
précité, cette décision nous semble logique juridiquement.
En revanche, il est fort à parier qu'il s'agisse en l'espèce
d'une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression
protégée par la Conv. EDH. En effet et de plus, si la protection
de la santé est un objectif d'une importance primordiale, il n'en
demeure pas moins qu'il serait douteux de croire qu'une telle émission
aurait un impact si négatif sur la santé des consommateurs
qu'elle justifierait son interdiction ; a fortiori en France, où la
culture du vin est importante et dont le prestige est reconnu dans le monde
entier. Enfin, la mesure serait bien plus proportionnée au regard de
l'objectif de protection de la santé publique, si elle se contentait
d'imposer dans ce type de diffusion, l'inclusion de messages à
caractère préventif. D'ailleurs, que recouvre la notion de
publicité ou propagande ?
Définition. Premièrement, la
jurisprudence a défini la publicité ou propagande illicite en
faveur des boissons alcooliques comme « tout acte ayant pour effet, quelle
qu'en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique sans
satisfaire aux exigences de l'article L. 3323-4 du même code.
»214 Il faudra alors s'interroger sur le contenu de cet article
pour se rendre compte du degré de limitation contenu dans cette
définition qui semble plus restrictive que celle donnée pour la
publicité du tabac (promotion du tabac pour inciter à l'achat)
dans la mesure où il suffit simplement que la publicité rappelle
une boisson alcoolique.
Deuxièmement, selon l'art. L. 3323-3, la
publicité ou propagande indirecte en faveur des boissons alcooliques est
celle qui d'une part est en faveur d'un organisme, d'un service, d'une
activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique
et qui, d'autre part, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation
d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou
d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique.
Ainsi, vu la liste exhaustive contenue dans le CSP, les
situations dans lesquelles la publicité des boissons alcoolisées
est autorisée sont plus nombreuses que celles autorisant la
publicité du tabac. C'est semble-t-il pour cette raison que la
définition de la publicité de l'alcool que nous venons
d'évoquer est bien plus large que celle du tabac. En effet, face
à un principe d'interdiction, ce qui est sensiblement le cas concernant
la publicité des boissons alcoolisées,
214 Crim. 3 nov. 2004: Bull. crim. no 268
141
plus la définition de la publicité est large,
plus les contraintes qui y sont attachées sont élevées. En
outre, que nous dit l'art. L. 3323-4 sur le contenu autorisé dans ces
publicités ?
Contenu de la publicité. L'art. L.
3323-4 limite la publicité ou propagande en faveur des boissons
alcooliques à l'indication du degré volumique d'alcool,
l'origine, la dénomination, la composition du produit, le nom et
l'adresse du fabricant, les agents et les dépositaires, ainsi que le
mode d'élaboration, les modalités de vente et le mode de
consommation du produit. De même, cette publicité doit être
assortie d'un message à caractère sanitaire précisant que
« l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. » Cet article
constitue une restriction sévère au contenu autorisé dans
la publicité desdits produits et a fait l'objet d'une riche
jurisprudence. Ainsi nous donnerons quelques illustrations relatives à
la publicité du whisky. Tout d'abord, « une illustration
publiée dans la presse écrite représentant le
conditionnement d'une bouteille de whisky avec, à côté,
deux livres aux reliures anciennes (sur lesquels est posée une paire de
lunettes rondes cerclées d'une monture métallique, un ruban
défait ainsi qu'une enveloppe ouverte), cet ensemble étant
accompagné de la mention "le présent n'est rien sans
l'héritage du passé", constitue une publicité illicite,
dans la mesure où ces éléments ne se rapportent pas aux
seules mentions autorisées par la loi. »215 De
même, « constitue une publicité illicite une affiche
publicitaire dont l'image et le slogan font expressément
référence à la virilité de l'Écossais, en
relation avec l'alcool, éléments qui ne se rattachent pas
à l'une des informations limitativement énumérées
par l'art. L. 3323-4 CSP. »216 Les marges de manoeuvre des
publicitaires sont ainsi très limitées. Mais le degré de
limitation atteint son paroxysme en matière de protection des
mineurs.
Protection des mineurs. L'art. L. 3323-5
interdit de « remettre, distribuer ou envoyer à des mineurs des
prospectus, buvards, protège-cahiers ou objets quelconques nommant une
boisson alcoolique, ou en vantant les mérites ou portant la marque ou le
nom du fabricant d'une telle boisson. » La jurisprudence précisera
que « la seule remise à un mineur d'un objet quelconque nommant une
boisson alcoolique caractérise le délit de l'art. L. 20 [CSP,
art. L. 3323-5], sans qu'il soit nécessaire que ledit objet ait
été, en outre, donné au mineur à titre
définitif »217 Une
215 Civ. 2e, 28 juin 1995, D. 1995. IR 182
216 Crim. 29 nov. 2005, Bull. crim. no 312; AJ pénal 2006.
123, obs. Saas
217 Crim. 28 nov. 1973, D. 1974. 170
142
fois de plus, la protection des mineurs constitue l'un des
domaines contenant les plus hautes restrictions dans la politique de protection
de la santé.
Ainsi, comme nous venons de le voir, la lutte contre les
dépendances est source de multiples limites à la liberté
d'entreprendre, qui peuvent atteindre des degrés de restriction
très élevés. En outre, la lutte contre les
dépendances ne concerne pas uniquement les produits du tabac et de
l'alcool, qui en sont les figures emblématiques. Ainsi par exemple, la
lutte contre les dépendances a pu justifier des limitations à la
liberté d'entreprendre dans le secteur des jeux-vidéos, notamment
pour prévenir les risques de crises épileptiques.
Plus généralement nous avons donc vu que la
protection de la santé pouvait justifier des interdictions de
commercialisation de biens ou des strictes conditions de commercialisation de
ces derniers allant du monopole à un encadrement comportant des
contraintes de divers degrés. Ces mesures constituent de nombreuses
limitations à la liberté d'entreprendre mais sont toujours
justifiées par la protection de la santé. Pour autant, les quatre
catégories de biens que nous avons pris en exemple (choses dangereuses,
éléments et produits du corps humain, tabac et alcool) n'avaient
pas la même valeur économique marchande ou potentielle. Nous
n'avons pas pu constater à ce titre de corrélation entre le
degré d'interdiction de commercialisation de ces biens et leur valeur
marchande hypothétique. C'est une bonne nouvelle car cela montre que la
protection de la santé est dans sa globalité
désintéressée de toute logique économique. On peut
nuancer ce propos en rappelant que le coût de la sécurité
sociale pèse considérablement dans les finances publiques et
qu'ainsi par exemple, outre le principe budgétaire de non affectation
des ressources publiques, les hautes taxations sur le tabac sont bienvenues
concernant le coût engendré par la multiplication des maladies
liées à la consommation du tabac.
Enfin, si les principales limites que nous avons
analysées résultaient de mesures législatives, il ne faut
pas pour autant oublier le pouvoir conféré aux autorités
administratives de prendre des actes administratifs fondés sur la
protection de l'ordre public. On peut d'ailleurs se référer
à l'analyse de M. GUIBAL selon qui « les conditions de la
légalité de ces décisions ne se jugent pas par rapport
à la liberté qui est en cause ou bien par rapport à un but
d'intérêt économique,
143
mais par rapport aux justifications qui doivent fonder
n'importe quelle mesure de police. »218 En effet, « elles ne sont pas
prises par des autorités d'interventionnisme économique, mais par
des autorités de police ». C'est ainsi qu'un maire a pu
légalement prendre un arrêté temporaire de fermeture d'un
commerce de boissons alcoolisées à certaines heures de la nuit
pour des motifs de sécurité et de tranquillité
publique.219 Une solution similaire, dans un contexte
différent, pourrait être retenue pour des motifs de
salubrité publique, qui sont liés à la protection de la
santé.
Par ailleurs, l'étude, sous le prisme de la
liberté d'entreprendre et de la protection de la santé, de la
commercialisation des biens ne peut se faire que dans un contexte national. En
effet, sous l'impulsion du droit de l'Union européenne, les biens sont
amenés à circuler d'un Etat membre à l'autre, et si le
principe est la libre circulation, il peut être nuancé pour des
motifs de protection de la santé. De ce constat apparaitrons de
nouvelles limitations à la liberté d'entreprendre.
218 GUIBAL M., op. cit., note 5
219 CE, 21 janv. 1994, Cne de Dannemarie-les-Lys, req. no
120.043, D. 1994, somm. 112, obs. D. Maillard Desgrées du Loû
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