II - Les restrictions entourant la commercialisation du
tabac et des boissons alcoolisées
Nous allons prendre comme hypothèses celle d'un
commerçant ayant ouvert légalement un commerce de vente de tabac
ou de boissons alcoolisées ou celle d'un fabriquant souhaitant
distribuer les produits précités. La commercialisation de ces
produits est encadrée par des conditions légales plus ou moins
contraignantes (A) qui trouverons leur paroxysme dans
l'encadrement de la promotion publicitaire desdits produits
(B).
A - Les conditions de commercialisation du tabac et des
boissons alcoolisées
Etudions dès à présent les obligations
légales mises à la charge du fabricant (1) et du
commerçant (2).
1 - Les obligations à la charge du
fabricant
Une fois le produit fabriqué (a), il
sera conditionné par le fabriquant (b) qui en
déterminera librement le prix de vente (c).
a - Les obligations en matière de composition
du bien
Tabac. Premièrement, l'art. L. 3511-2
du CSP interdit les cigarettes aromatisées dont la teneur en
ingrédients donnant une saveur sucrée ou acidulée
dépasse des seuils fixés par décret. Ce contrôle de
la composition du bien vise à contrer la stratégie commerciale de
certains fabricants visant à attirer un public jeune ou féminin
vers leurs produits.
Deuxièmement, l'art. L. 3511-6 du CSP prévoit
que les teneurs maximales en goudron, en nicotine et en monoxyde de carbone des
cigarettes soient fixées par un arrêté du ministre
chargé de la santé.
Boissons alcoolisées. L'art. L.
3322-11 du CSP prévoit la détermination par décret en
Conseil d'Etat l'encadrement de la composition de certaines boissons
alcoolisées et notamment la teneur maximal en produits actifs de
certaines substance contenues dans lesdites boissons.
In fine, pour le tabac, comme pour les boissons
alcoolisées, le fabricant n'est donc pas libre dans le choix des
composants de ses produits, ce qui constitue une limitation à sa
liberté d'entreprendre.
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b - Les obligations en matière de
conditionnement du bien
Tabac. Les modalités de
conditionnement du bien sont fixées aux articles L. 3511-6 et L. 3511-2
du CSP. Premièrement, chaque paquet de cigarettes doit porter mention de
la composition intégrale du produit (exception faite, le cas
échéant, des filtres), de la teneur moyenne en goudron, en
nicotine et en monoxyde de carbone dont les modalités d'inscription et
les méthodes de mesure sont fixées par arrêté du
ministre en charge de la santé.
De même, toutes les unités de conditionnement du
tabac et des produits du tabac (papier à cigarette inclut) doivent
porter un message de caractère sanitaire (par exemple : « Fumer tue
») dans des conditions fixées par arrêté du ministre
en charge de la santé. La jurisprudence a pu à ce titre condamner
un fabriquant qui avait modifié l'avertissement sanitaire en question en
ajoutant « selon la loi n°... » à la mention « nuit
gravement à la santé ».207
Enfin, il est interdit d'inclure, sur l'emballage d'un produit
du tabac, des indications selon lesquelles ledit produit serait moins nocif
qu'un autre. C'est ainsi par exemple, qu'est prohibée l'utilisation de
la mention « light » sur des paquets de cigarettes. Le
législateur entend ainsi éviter de donner « bonne conscience
» au consommateur.
Deuxièmement, sont interdites la distribution ou
l'offre à titre gratuit de paquets de moins de vingt cigarettes ou de
plus de vingt cigarettes qui ne sont pas composés d'un nombre de
cigarettes multiple de cinq ainsi que des contenants de moins de trente grammes
de tabacs fine coupe destinés à rouler des cigarettes. Il s'agit
ici, concernant le seuil minimum, de rendre plus effectives les mesures
prohibitives visant à surtaxer les produits du tabac.
Boissons alcoolisées. L'art. L. 3322-2
prévoit l'obligation de mentionner sur l'étiquette des boissons
du 3e, 4e et 5e groupe, aux côtés de leur
dénomination, le nom et l'adresse du fabricant ou de l'importateur,
ainsi que le qualificatif de digestif ou celui d'apéritif.
De même, l'article précité interdit
d'inscrire sur l'étiquette des indications tendant à
présenter la boisson comme possédant une valeur hygiénique
ou médicale.
Enfin, et la mesure est moins contraignante que celle
imposées en matière de tabac, le même article impose sur
toutes les unités de conditionnement des boissons alcoolisées la
mention d'un message à caractère sanitaire préconisant
l'absence de consommation d'alcool par les femmes enceintes. On est loin des
messages du type « Boire nuit gravement à la santé » ou
« Boire tue ».
207 Crim. 15 févr. 2000, D. 2000. AJ 238
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c - La théorique libre fixation du prix de
vente
L'article 572 du CGI dispose que « le prix de
détail de chaque produit, exprimé aux 1 000 unités ou aux
1 000 grammes est (...) librement déterminé par les fabricants et
les fournisseurs agréés. » Toutefois, l'exorbitance des
taxes affectées aux produits du tabac nous laisse à
considérer que le prix est en pratique fixé substantiellement par
l'Etat ; la marge de manoeuvre des fabricants est donc très faible.
Cette haute taxation a pour effet involontaire de dissuader le fabricant
d'augmenter ses prix. De plus, le même article précise que ce prix
doit être unique pour l'ensemble du territoire, ce qui limite la
liberté contractuelle des fabricants dans leurs relations avec leurs
clients.
Une fois ces obligations respectées, les produits sont
livrés directement ou indirectement au commerçant. Quelles sont
les obligations de ce dernier ?
2 - Les obligations à la charge du
commerçant
Il s'agit globalement de répondre aux questions
suivantes : où, comment et à qui peut-on commercialiser les
produits du tabac et de l'alcool ? Nous avons déjà en partie
répondu à ces questions concernant la création d'un
commerce de tabac ou de boissons alcoolisées. Ici, nous allons nous
interroger sur les obligations du commerçant tenant au mode et au lieu
de commercialisation des produits (a) et à la
détermination du prix de vente et à la vente à
crédit (b). Enfin, nous montrerons que la
qualité de l'acheteur des produits en question est susceptible de
justifier des interdictions de commercialisation (c).
a - Les obligations tenant au mode et au lieu de
commercialisation des produits
Outre évidemment les règles relatives notamment
à l'ouverture d'un débit de boisson ou de tabac que l'on a
déjà étudié, certains modes de commercialisation,
parfois associés à des critères spatiaux-temporaires, sont
frappés d'interdictions.
Interdictions de modes de commercialisation
associées à des critères spatiaux-temporaires
Premièrement, les articles L. 3511-2 et L. 3322-8 du
CSP interdisent respectivement la vente de produits du tabac et la
délivrance de boissons alcooliques au moyen de distributeurs
automatiques. Ces interdictions constituent une limite absolue à la
liberté de choix du mode de commercialisation d'un produit et, le cas
échéant, à la liberté de choix du lieu de
commercialisation (par exemple, installation d'un distributeur dans la rue).
135
Deuxièmement, l'article 568 ter du CGI interdit la
commercialisation à distance de produits du tabac manufacturés.
Est ainsi notamment interdit le commerce électronique du tabac.
Troisièmement, l'art. L. 3322-9 du CSP interdit la
vente de boissons alcooliques réfrigérées dans les points
de vente de carburant (limite tenant au lieu et au mode de commercialisation).
De même, l'article précité interdit la vente de boissons
alcooliques à emporter, entre dix-huit heures et huit heures, dans les
points de vente de carburant (limite tenant au lieu et à l'horaire de
commercialisation). Ces limitations, outre la protection de la santé,
sont essentiellement fondées sur un motif de sécurité
routière.
Quatrièmement, l'art. L. 3322-6 interdit la vente au
détail par un marchand ambulant de boissons des quatrième et
cinquième groupes. Il s'agit là d'une limite à la
liberté d'entreprendre dans le choix du lieu, et dans ce cas
précis, de l'absence de lieu fixe, pour l'exercice de l'activité
économique.
Les obligations en matière de présentation
du bien
Tabac. L'article 46 du décret n°
2010-720 du 28 juin 2010 interdit aux revendeurs de produits du tabac d'exposer
dans leur établissement les tabacs à la vue de leur
clientèle, de leurs usagers et de leur personnel. De plus, ils ne
peuvent modifier la composition ou la présentation des tabacs
manufacturés qu'ils revendent.
Boissons alcoolisées. L'article L.
3323-1 du CSP impose dans tous les débits de boissons, la mise en place
à la vue du public d'un étalage des boissons non
alcoolisées mises en vente dans l'établissement. Cet
étalage doit être séparé de celui des boissons
alcoolisées et doit être installé en évidence dans
les lieux où sont servis les consommateurs. Ainsi, la loi impose aux
débitants des modalités d'organisation de leur commerce
vis-à-vis de la présentation de leurs produits, qui n'est donc
pas totalement libre.
Les limites en matière de choix des produits
à vendre
L'article 46 du décret n° 2010-720 impose aux
revendeurs de proposer à la clientèle, aux usagers et au
personnel de leur établissement des tabacs manufacturés d'au
moins trois fabricants de leur choix. En somme, ils ne peuvent passer un
contrat d'exclusivité avec un fabricant ou un fournisseur de tabacs
manufacturés.
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b - Les obligations tenant à la
détermination du prix de vente et à la vente à
crédit
Tabac. L'art. L. 3511-3 interdit la
distribution gratuite ou la vente du tabac à un prix inférieur
à celui mentionné à l'article 572 du code
général des impôts qui dispose d'ailleurs que le prix est
unique pour l'ensemble du territoire comme nous l'avons évoqué
ci-dessus et qu'il est homologué dans des conditions définies par
décret en Conseil d'État.
Boissons alcoolisées. L'art. L. 3322-9
du CSP interdit de vendre au détail à crédit des boissons
des 3e, 4e et 5e groupes à consommer sur place ou
à emporter et des boissons du 2e groupe à consommer sur place. De
plus, l'article précité interdit (sauf dans le cadre de
fêtes et foires traditionnelles autorisées ou de
dégustations en vue de la vente) d'offrir gratuitement à
volonté des boissons alcooliques dans un but commercial ou de les vendre
à titre principal contre une somme forfaitaire. Enfin, l'article 3323-1
du CSP impose au débitant qui propose des boissons alcoolisées
à prix réduit pendant une période restreinte
d'également proposer à prix réduit les boissons non
alcoolisées tels que par exemple les jus de légumes ou l'eau
minérale (l'article précité établit une liste de
ces boissons).
c - Les interdictions de commercialisation tenant
à la qualité de l'acheteur
Interdictions tenant à la qualité de
personne extérieure à l'établissement de l'acheteur.
L'article 46 du décret n° 2010-720 prévoit que les
revendeurs ne sont autorisés à vendre des tabacs qu'aux seuls
clients et usagers de leur établissement, au titre d'un service
complémentaire à l'activité principale de cet
établissement, ainsi qu'à leur personnel. Ainsi, en
théorie, le client ne peut entrer dans ce type d'établissement
dans le seul but d'acheter du tabac. Cette activité commerciale est
obligatoirement l'accessoire de l'activité principale du
commerçant. Ces restrictions sont une conséquence du monopole
étatique de la vente au détail du tabac, qui nous permet
d'analyser l'autorisation de la revente comme une tolérance.
Interdictions tenant à la qualité de
mineur de l'acheteur. Tout d'abord, les articles L. 3511-2-1 et L.
3342-1 du CSP interdisent respectivement la vente ou l'offre à titre
gratuit de produits du tabac et de boissons alcoolisées à des
mineurs.
Ensuite, l'art. L. 3342-3 du CSP interdit dans les
débits de boisson l'entrée de mineurs de moins de seize ans s'ils
ne sont pas accompagnés de leur père, mère, tuteur ou
toute autre personne de plus de dix-huit ans en ayant la charge ou la
surveillance. Naturellement et
137
toutefois, les mineurs de plus de treize ans, même non
accompagnés, peuvent entrer dans les débits de boissons ne
vendant pas d'alcool (assortis de l'ex licence de première
catégorie). On voit très bien ici que la protection des mineurs,
sous couvert de protection de la santé, est motif d'interdiction absolue
de commercialisation du tabac et des boissons alcoolisées.
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