B - Le contrôle administratif de la
création d'un commerce de boissons alcoolisées : une mise en
oeuvre difficile de la liberté d'entreprendre
L'hypothèse que nous allons étudier ici est
celle d'un entrepreneur qui souhaite ouvrir (au sens de créer) un
débit de boissons. Nous allons donc montrer dans leur globalité
les principales étapes nécessaire à la création de
cette activité économique.
Ainsi nous ne traiterons que de l'ouverture (création)
et non des hypothèses de mutation (changement de propriétaire ou
de gérant), de translation (changement de lieu du débit de
boissons sur la même commune), et de transfert (changement de lieu du
débit de boissons à l'intérieur d'un même
département), prévues par le CSP. De même, nous ne
traiterons pas des différentes formes de sociétés pouvant
gérer un commerce de boissons alcoolisées, de l'enregistrement au
Registre du commerce et des sociétés, etc.
L'idée directrice de notre démarche est de
montrer qu'il s'agit là d'une activité économique dont
l'accès est strictement encadré par le droit et limitée du
fait de sa nature (la commercialisation de boissons alcoolisées), qui
est susceptible de porter atteinte à la santé des personnes.
En outre, nous relèverons simplement, concernant les
fabriquant et importateurs de boissons alcooliques du troisième, du
quatrième ou du cinquième groupe, que l'article L. 3322-1 du CSP
impose à leur charge d'effectuer une déclaration administrative
préalable à la mise en vente ou l'offre gratuite desdites
boissons. La déclaration doit indiquer le nom et l'adresse du fabricant
ou importateur, le nom de la boisson, sa composition et l'usage,
apéritif ou digestif, auquel elle est destinée.
Dès à présent, nous nous pencherons sur
les limitations à la liberté d'entreprendre des personnes
souhaitant exercer l'activité de débitant de boisson. Nous
verrons successivement les conditions préalables à l'exercice de
la profession inhérentes à la qualité de la personne
(1), la nécessité d'obtenir une licence
(2) et le choix du lieu du débit de boissons
(3).
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1 - Les conditions préalables à
l'exercice de la profession de débitant de boisson inhérentes
à la qualité de la personne
Nous appliquerons à ce « 1 - » la même
remarque que celle faite concernant les conditions préalables à
l'exercice de la profession de débitant de tabac inhérentes
à la qualité de la personne concernant le choix de traiter de ces
éléments dans notre Partie 2. Ces limites tiennent à la
nationalité de la personne (a), à sa
capacité (b) et à sa formation
(c).
a - Nationalité de la
personne
L'art. L. 3332-3 du CSP interdit l'exercice de la profession
de débitant de boissons aux personnes qui n'ont pas la
nationalité français ou la nationalité d'un Etat membre de
l'Union européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace
économique européen. Toutefois, les ressortissants d'Etats ayant
conclu un traité de réciprocité avec la France peuvent
exercer ladite profession (Algérie, Andorre, République
centrafricaine, Congo Brazzaville, États-Unis, Gabon, Mali, Monaco,
Sénégal, Suisse et Togo).
En outre, ces conditions de nationalité ne s'appliquent
pas aux licences restaurant.
b - Compatibilité et capacité de la
personne
Premièrement, seuls les majeurs qui ne sont pas sous
tutelle et les mineurs émancipés peuvent exercer la profession de
débitant de boissons (art. L. 3336-1 du CSP).
De même, sauf exception applicable aux mineurs de plus
de seize ans, il est interdit d'employer ou de recevoir en stage des mineurs
dans les débits de boissons à consommer sur place, à
l'exception du conjoint du débitant et de ses parents ou alliés
jusqu'au quatrième degré inclusivement (art. L. 3336-4 du
CSP).
Deuxièmement, les personnes qui ont été
condamnées à certaines peines notamment pour crime de droit
commun ou proxénétisme (interdiction définitive), ou pour
vol, escroquerie, abus de confiance (l'incapacité peut être
levée au bout de 5 ans) ne peuvent exercer la profession de
débitant de boisson à consommer sur place (art. L. 3336-2 du CSP)
Il s'agit ici d'assainir les professions commerciales afin de protéger
la moralité publique.
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e - Formation de la personne donnant lieu à un
permis d'exploitation
Les articles L. 3331-4 et L. 3332-1-1 prévoient
l'obligation pour toute personne déclarant l'ouverture d'un débit
de boissons à consommer sur place ou d'un établissement pourvu de
la "petite licence restaurant" ou de la "licence restaurant" ou qui souhaite
dans son commerce (autre qu'un débit de boissons à consommer sur
place) vendre des boissons alcooliques entre 22 heures et 8 heures,
l'obligation de suivre une formation spécifique (axée notamment
sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, la protection des
mineurs et la répression de l'ivresse publique). Cette formation donne
lieu à la délivrance d'un permis d'exploitation valable dix
années (renouvelable pour une durée de validité de dix
années sous condition de participer à une formation de mise
à jour des connaissances).
Ces conditions, bien que sévères en soi,
touchent globalement peu de personnes si on prend la France comme contexte.
Elles ne sont qu'un préalable, l'obtention d'une licence étant au
coeur des limitations à l'ouverture d'un commerce de boissons
alcoolisées.
2 - L'obtention obligatoire d'une licence
d'exploitation
Quiconque souhaite ouvrir un établissement qui vend des
boissons alcoolisées sur place ou à emporter doit détenir
au préalable une licence spécifique. Par exception, les
débits de boisson temporaires (foires expositions, fêtes publiques
et enceintes sportives) ne sont pas soumis à licence mais à
autorisation administrative du maire de la commune.
Nous étudierons successivement les différents
types de boissons, d'établissements et de licences (a)
et les conditions d'exploitation ou d'obtention de ces
dernières (b).
a - Les différents types de boissons,
d'établissements et de licences
Classification des boissons. L'art. L. 3321-1
du CSP répartit en cinq groupes les boissons en vue de la
réglementation qui leur sera applicable.
- 1. Boissons sans alcool : eaux minérales ou
gazéifiées, jus de fruits ou de légumes non
fermentés ou ne comportant pas, à la suite d'un début de
fermentation, de traces d'alcool supérieures à 1,2 degré,
limonades, sirops, infusions, lait, café, thé, chocolat;
- 2. Boissons fermentées non distillées
: vin, bière, cidre, poiré, hydromel, auxquelles sont joints
les vins doux naturels bénéficiant du régime fiscal des
vins, ainsi que les crèmes de cassis et les jus de fruits ou de
légumes fermentés comportant de 1,2 à 3 degrés
d'alcool;
- 3.
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Vins doux naturels autres que ceux appartenant au groupe 2,
vins de liqueur, apéritifs à base de vin et liqueurs de fraises,
framboises, cassis ou cerises, ne titrant pas plus de 18 degrés d'alcool
pur;
- 4. Rhums, tafias, alcools provenant de la distillation des
vins, cidres, poirés ou fruits, et ne supportant aucune addition
d'essence ainsi que liqueurs édulcorées au moyen de sucre, de
glucose ou de miel à raison de 400 grammes minimum par litre pour les
liqueurs anisées et de 200 grammes minimum par litre pour les autres
liqueurs et ne contenant pas plus d'un demi-gramme d'essence par litre;
- 5. Toutes les autres boissons alcooliques.
La classification des boissons est liée à la
typologie des licences et établissements.
Typologie des licences et des établissements.
Nous allons dès à présent présenter les
trois groupements de licences existant.
Débit de boissons à consommer sur
place. Premièrement, l'article L. 3331-1 du CSP prévoit
trois licences différentes pour les débits de boissons à
consommer sur place (la licence de 1e catégorie a été
supprimée à compter du 1er juin 2011) :
- La licence de 2e catégorie dite «
licence de boissons fermentées » autorisant la vente pour consommer
sur place des boissons des deux premiers groupes.
- La licence de 3e catégorie dite «
licence restreinte » autorisant la vente pour consommer sur place des
boissons des trois premiers groupes.
- La licence de 4e catégorie dite «
grande licence » ou « licence de plein exercice » autorisant la
vente pour consommer sur place de toutes les boissons dont la consommation
à l'intérieur demeure autorisée, y compris celles du
quatrième et du cinquième groupe.
Restaurant. Deuxièmement, l'art. L. 3331-2 du
CSP prévoit deux licences différentes pour les restaurants qui ne
sont pas titulaires d'une licence de débit de boissons à
consommer sur place mais qui souhaitent vendre des boissons alcooliques,
exclusivement, à l'occasion des principaux repas et comme accessoire de
la nourriture (dans le cas contraire les licences de l'art. L. 3331-1 du CSP
sont requises) :
- La « petite licence restaurant » autorisant la
vente pour consommer sur place de boissons du deuxième groupe.
- La « licence restaurant » autorisant la vente pour
consommer sur place toutes les boissons dont la consommation est
autorisée.
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Débit de boissons à emporter.
Troisièmement, l'article L. 3331-3 du CSP dispose que si les
établissements titulaires d'une licence à consommer sur place ou
d'une licence restaurant peuvent vendre pour emporter les boissons
correspondant à la catégorie de leur licence, les autres
débits de boisson à emporter doivent être pourvus d'une des
deux licences spécifiées :
- La « petite licence à emporter » autorisant
la vente pour emporter des boissons du deuxième groupe.
- La « licence à emporter » autorisant la
vente pour emporter de toutes les boissons dont la vente est
autorisée.
Notons enfin que la vente à distance est
considérée comme une vente à emporter (art. L. 3331-4
CSP). Ainsi quiconque souhaite vendre des boissons alcoolisées sur
internet doit détenir l'une des deux licences évoquées
ci-dessus.
La détention d`une licence n'est cependant pas suffisante
pour exploiter un débit de boissons.
b. Les conditions d'exploitation ou d'obtention de la
licence
Permis d'exploitation. Tout d'abord, est
obligatoire pour obtenir ou exploiter une licence la détention d'un
permis d'exploitation au sens des articles L. 3331-4 et L. 3332-1-1 du CSP.
Déclaration administrative préalable.
Ensuite, les articles L. 3332-3 et L. 3332-4-1 du CSP imposent avant
toute ouverture d'un café, d'un cabaret ou d'un débit de boissons
à consommer sur place, dans lequel de l'alcool sera vendu, d'effectuer
une déclaration administrative préalable à la mairie (ou
à la préfecture de police à Paris) au moins quinze jours
avant l'ouverture de l'établissement.
Fermeture administrative. Enfin et en outre,
l'art. L. 3332-15 du CSP prévoit, à la suite d'infractions aux
lois et règlements encadrant les débits de boisson ou les
restaurants prévus au même code, la possibilité pour le
représentant de l'État dans le département (ou le
préfet de police à Paris) d'ordonner sur motivations et
après avertissement préalable (sauf cas exceptionnels), la
fermeture desdits établissements pour une durée n'excédant
pas six mois.
La fermeture peut aussi être prononcée dans des
conditions similaires pour une durée n'excédant pas deux mois en
cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la
tranquillité ou à la moralité publiques. La durée
de fermeture pourra être réduite lorsque l'exploitant s'engage
à
130
suivre la formation spécifique visée à
l'article L. 3332-1-1 du CSP, ou prolongée (jusqu'à six mois) si
elle est motivée par des certains actes criminels ou
délictueux.
Les difficultés ne s'arrêtent pas là
puisque d'autres mesures viennent encadrer l'obtention d'une licence.
Très sommairement, la licence peut soit être créée
(nouveau débit de boisson), soit être achetée ou
transférée dans le respect de la réglementation.
Toutefois, l'article L. 3332-2 interdit l'ouverture d'un nouvel
établissement de 4e catégorie et ainsi, interdit la
création d'une licence 4 (qui ne peut donc qu'être achetée
ou transférée). Enfin, la licence est susceptible d'expirer en
cas de non utilisation pendant trois ans (art. L. 3333-1 du CSP).
Nous n'irons pas plus loin dans ces développements mais
nous allons dès à présent étudier les restrictions
relatives à la localisation du débit.
3 - Les restrictions relatives à la
localisation du débit
Concernant ces restrictions spatiales, le CSP va soit imposer
des restrictions légales (a), soit laisser le choix au
représentant de l'Etat dans le département
(b).
a - Les limitations légales du nombre de
débits de boissons imposées par le CSP
L'art. L. 3332-1 du CSP interdit l'ouverture d'un débit
de boisson de 2e ou 3e catégorie dans les communes
où le total des débits de boissons atteint ou dépasse la
proportion d'un débit pour 450 habitants. Il est donc impossible
d'obtenir une licence pour l'ouverture d'un établissement situé
dans une commune où le nombre de débits a atteint la limite
précitée.
De même, sans que le CSP parle expressément de
zone protégée, son article L. 3335-4 interdit la vente et la
distribution de boissons alcoolisées au sein des établissements
d'activités physiques et sportives. Toutefois, des dérogations
peuvent être accordées par arrêté des ministres
chargés du tourisme et de la santé pour des installations
situées dans des hôtels classés de tourisme ou des
restaurants. Il s'agit en tous cas d'une interdiction légale.
b - La création de zones
protégées par le représentant de l'Etat dans le
département
Les articles L. 3335-1 et s. du CSP confèrent la
possibilité au représentant de l'Etat dans le département
de créer des zones protégées dans lesquelles un
débit de boissons à consommer sur place ne peut être
établit. La zone devra se situer autour des édifices et
établissements limitativement énumérés par le
code.
Il s'agit des édifices consacrés à un
culte, des cimetières, des établissements de santé,
maisons de retraite et tous établissements publics ou privés de
prévention, de cure et de soins comportant hospitalisation ainsi que les
dispensaires départementaux, des établissements d'instruction
publique et établissements scolaires privés ainsi que tous
établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse, des stades,
piscines, terrains de sport publics ou privés, des établissements
pénitentiaires, des casernes, camps, arsenaux et tous bâtiments
occupés par le personnel des armées de terre, de mer et de l'air
et des bâtiments affectés au fonctionnement des entreprises
publiques de transport.
Il s'agit bien évidemment de limitations à la
liberté d'entreprendre concernant le lieu d'établissement du
débit de boisson et donc de commercialisation des biens en question.
C'est ici la nature de l'activité qui est en cause : le commerce de
biens susceptibles de créer des dépendances présentant un
danger pour la santé et la sécurité des personnes.
La jurisprudence a d'ailleurs précisé que les
facultés constituent des établissements
protégés205. On imagine, sans préjuger des
risques pour la santé des usagers des établissements
d'enseignement supérieur, qu'une mesure d'interdiction en ce sens aurait
pour conséquence de voir s'envoler l'opportunité de créer
des activités a priori plutôt lucrative. Enfin et naturellement,
un préfet ne peut créer des établissements
protégés qui ne figureraient pas dans la liste
précitée.206
Une fois le commerce ouvert légalement, le
commerçant va pouvoir vendre du tabac ou des boissons alcoolisées
mais cette activité fait toutefois l'objet de nombreuses limitations
légales.
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205 Crim. 4 nov. 1971: Bull. crim. no 299
206 Montpellier, 30 oct. 1951: Gaz. Pal. 1952. 1. 117
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