SECOND CHAPITRE LA LIMITATION DU COMMERCE DE BIENS
DANS LE CONTEXTE DE LA LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES : L'EXEMPLE DES
PRODUITS DESTINÉS À LA SANTÉ DES PERSONNES
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Le marché intérieur, mis en oeuvre par la libre
circulation des marchandises, est, au même titre qu'un acquis social pour
un salarié, un acquis économique pour une entreprise ou un
professionnel. La libre circulation est devenue la référence, le
principe fondamental en matière de commerce de biens au sein du
marché intérieur. De ce constat, sans pour autant confondre
liberté d'entreprendre et libre circulation des marchandises, toute
atteinte à la libre circulation est susceptible de constituer une limite
au libre exercice d'une activité économique, composante de la
liberté d'entreprendre. Ainsi, lorsqu'un Etat prend une mesure
protectrice de la santé ayant pour effet de restreindre la libre
circulation des marchandises, il limite le champ spatial d'application de la
liberté d'entreprendre des acteurs économiques.
Par ailleurs, si l'harmonisation communautaire de certains
secteurs économiques impose entre autres des contraintes normatives aux
entreprises dans l'exercice de leurs activités économiques, elle
permet, in fine, de faciliter la libre circulation des marchandises. En effet,
les normes contraignantes deviennent les mêmes d'un Etat membre à
l'autre, et même si l'adaptation des entreprises à ces normes peut
rendre plus difficile dans un premier temps l'exercice de leurs
activités économiques, elles facilitent dans un second temps
l'extension du champ spatial de leurs activités dans toute l'Union
européenne. Ainsi, les entreprises n'auront plus à se soucier
d'adapter leurs normes en fonction de l'Etat dans lequel elles exportent.
Nous verrons donc en premier lieu que la libre circulation des
marchandises a pu être restreinte par des exigences de protection de la
santé qui vont ainsi limiter la liberté d'entreprendre des
acteurs économiques (section 1). En second lieu, nous
verrons que les règlementations issues de procédés
d'harmonisations communautaires encadrant le commerce de biens de santé
destinés à l'homme imposent des contraintes aux acteurs
économiques ayant pour effet de limiter leur liberté
d'entreprendre (section 2).
Nota bene. Nous ne traiterons pas, avec
regrets, des importations parallèles de médicaments et des
règles spécifiques applicables aux autorisations de mise sur le
marché de médicaments génériques, la
démonstration en deviendrait trop longue.
Section 1. La protection de la santé comme motif
effectif de dérogation à la libre circulation des
marchandises
Comme nous le disions précédemment, l'Union
européenne interdit les mesures d'effet équivalent à des
restrictions quantitatives à l'importation et à l'exportation de
marchandises.220 Cette notion de mesure d'effet équivalent
à des restrictions quantitatives a été définie par
la jurisprudence de la Cour de Justice, il s'agit de « toute
réglementation commerciale des Etats membres susceptible d'entraver
directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce
intracommunautaire. »221 La Cour précisera que cette
entrave peut résulter d'une action ou d'une inaction d'un
Etat.222
Cette règle a toutefois été assouplie par
la jurisprudence Cassis de Dijon de la Cour de Justice223 ainsi que
par l'article 36 TFUE et l'application du principe de précaution. Ainsi,
les Etats membres, sous certaines conditions, ont la possibilité
d'édicter des mesures dérogeant au principe de libre circulation
des marchandises. De plus, ces mesures peuvent porter sur un objectif de
protection de la santé. Nous verrons ainsi quels sont les fondements
jurisprudentiels et textuels de ces dérogations (I) et
nous en donnerons quelque illustrations en nous référant à
la jurisprudence de la Cour de Justice (II).
I - Les fondements des dérogations
générales à l'interdiction de mesures d'effet
équivalent à des restrictions quantitatives
D'une part, nous évoquerons les exigences
impératives d'intérêt général (A)
et d'autre part, nous évoquerons les dérogations issues
de l'article 36 TFUE et le principe de
précaution(B).
A - Les exigences impératives
d'intérêt général issues de la jurisprudence de la
Cour de Justice
Dans sa jurisprudence Cassis de Dijon, la Cour de Justice
énonce qu'en l'absence de réglementation commune sur la
commercialisation et la production d'un bien, chaque Etat membre est
compétent pour réglementer ces éléments sur son
territoire. La Cour précise que le champ d'application d'une telle
réglementation ne peut être étendu des produits
nationaux
220 Cf. supra : Prolégomènes, section 1, IV, B.
221 CJCE, 11 juillet, 1974, Dassonville
222 CJCE, 9 décembre 1997, Commission c/ France [«
Guerre des fraises »]
223 CJCE, 20 février 1979, Rewe c/ Bundesmonopolverwaltung
für Branntwein [Cassis de Dijon]
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aux produits importés d'autres Etats membres qu'en
considération d'une exigence impérative d'intérêt
général tenant notamment à l'efficacité des
contrôles fiscaux, la protection de la santé publique, la
loyauté des transactions commerciales et la défense des
consommateurs. A défaut d'une exigence impérative, tout produit
ou toute marchandise légalement produit et commercialisé dans un
Etat membre doit pouvoir être introduit dans tout autre Etat membre ;
c'est le principe de reconnaissance mutuelle. Derrière ce principe,
l'idée sous-jacente est la confiance mutuelle entre Etats membres :
à partir du moment où un produit est légalement
commercialisé dans un Etat membre (il a donc passé les
contrôles), il ne peut pas faire l'objet d'un autre contrôle dans
un autre Etat membre. Avec ce principe, on présume que toutes les normes
et contrôles ayant lieu dans l'Union européenne sont
équivalents. C'est une révolution car il ne serait plus
nécessaire d'établir de règlementations communes dans ce
contexte.
Ainsi, au nom de la protection de la santé, les Etats
membres peuvent individuellement restreindre la libre circulation des
marchandises en imposant leurs règlementations nationales aux
entreprises des Etats tiers, relativisant ainsi leur liberté
d'entreprendre. A titre d'illustration, prenons comme exemple une entreprise
qui commercialise des produits dans un Etat en respectant la
réglementation nationale. Si cette entreprise, au nom de sa
liberté d'entreprendre et de la libre circulation des marchandises,
souhaite exporter ses produits vers un autre Etat membre mais que ce dernier
pratique une réglementation plus contraignante, elle devra s'y
soumettre. Le respect d'une réglementation différente de celle de
son Etat d'origine peut avoir des conséquences économiques si
lourdes pour l'entreprise qu'elle pourrait renoncer à exporter ses
produits ; ce qui, dans le cadre du marché intérieur et donc de
la libre circulation des marchandises, limite l'exercice de son activité
économique. Il faut bien garder à l'esprit que dans le cadre du
marché intérieur, la libre circulation est aujourd'hui le
principe et l'invocation d`exigences impératives l'exception.
Quelles sont les conditions pour que les Etats puissent invoquer
les exigences impératives ? Tout d'abord, l'Etat doit apporter la preuve
que sa réglementation poursuit un objectif légitime (comme par
exemple la protection de la santé) et qu'il y a un défaut
d'harmonisation communautaire complète.
Ensuite, il faut que la mesure soit indistinctement applicable
aux produits nationaux et aux produits importés (interdiction des
discriminations).
Enfin, il faut que la mesure respecte le principe de
proportionnalité, qui se caractérise par trois
éléments. Premièrement, la nécessité : il
faut qu'il y ait une relation étroite de cause à effet
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entre la réglementation protectrice et
l'intérêt général que l'Etat veut protéger.
Deuxièmement, la proportionnalité au sens strict : les atteintes
à la libre circulation ne doivent pas être excessives.
Troisièmement, la substitution ou entrave minimale : une mesure
nationale doit toujours être la moins nocive possible pour atteindre la
protection recherchée.
En complément des exigences impératives, le
Traité apporte un deuxième fondement aux dérogations
à l'interdiction des mesures d'effet équivalant.
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