B - Inventaire indicatif des produits dangereux mis
hors du commerce
Nous opérerons une division entre les choses non
consomptibles (1) et les choses consomptibles (2)
afin de faciliter la lecture de cet inventaire. Au-delà de
cette facilité, la distinction peut présenter un
intérêt dans la mesure où les produits consomptibles
présentent généralement la particularité de pouvoir
être source de dépendance. En effet, le danger se présente
souvent à partir d'une certaine fréquence de consommation des
produits en question. Du côté des choses non consomptibles,
l'attitude de l'individu dans l'utilisation du bien influe moins sur sa
dangerosité.
1 - Les produits dangereux non consomptibles : une
dangerosité dans des conditions normales d'utilisation
Textile et vêtements. Un décret
du 24 septembre 1990 interdit « la fabrication, l'importation,
l'exportation, la détention en vue de la vente, la vente et la
distribution à titre gratuit de textiles ou de vêtements
traités à l'oxyde de triaziridinylphosphine ou au
polybromobiphényle. » Au contact de la peau, les vêtements
traités ainsi présentent un danger pour la santé des
personnes quelle que soit leur attitude face à ces biens, leur
interdiction est donc absolue.
Protection de la santé des nourrissons et des
enfants. Le code de la santé publique, dans ses articles L.
5231-1 et s., interdit la fabrication et la distribution de jouets ou
d'amusettes, contenant les substances vénéneuses ou dangereuses,
des biberons à tube, des tétines et sucettes ne répondant
pas aux conditions établies par un décret en Conseil
d'État.
De plus, sans interdire la vente ou l'utilisation de
téléphones mobiles aux enfants de moins de quatorze ans (ce qui
serait difficilement mis en oeuvre), l'article L. 5231-3 interdit toute
publicité ayant pour but de promouvoir la vente, la mise à
disposition, l'utilisation ou l'usage d'un téléphone mobile par
des enfants de moins de quatorze ans.
Enfin, l'article L. 5231-4 confère au ministre de la
santé le droit d'interdire par arrêté la distribution
d'objets contenant un équipement radioélectrique dont l'usage est
spécifiquement dédié aux enfants de moins de six ans afin
de limiter l'exposition excessive des enfants.
La fragilité des nourrissons et des enfants et le
faible degré de responsabilité (au sens courant du terme, non
juridique) que l'on peut leur imputé dans leurs attitudes font que, dans
des conditions normales d'utilisation par des nourrissons et des enfants, ces
biens présentent un danger, sans que l'on puisse l'imputer substantielle
à leur attitude face auxdits biens.
109
2 - Les produits dangereux consomptibles : une
dangerosité dans l'excès de consommation
Boissons interdites. Premièrement,
l'art. L. 3322-3 CSP interdit en France, sauf en vue de l'exportation à
l'étranger, la fabrication, la détention et la commercialisation
ou l'offre à titre gratuit des boissons apéritives à base
de vin titrant plus de 18 degrés d'alcool acquis, des spiritueux
anisés titrant plus de 45 degrés d'alcool et des bitters, amers,
goudrons, gentianes et tous produits similaires d'une teneur en sucre
inférieure à 200 grammes par litre et titrant plus de 30
degrés d'alcool.
Deuxièmement, interdites initialement par la loi du 16
mars 1915188, la fabrication et la vente d'absinthe et des liqueurs
similaires (dont les caractères sont déterminés par
décret) sont aujourd'hui prohibées par l'article 347 du code
général des impôts, reproduit par l'art. L. 3322-4 CSP.
Ainsi, le Décret n°88-1024 du 2 novembre 1988189,
modifié par le Décret n° 2010-256 du 11 mars
2010190, nous donne une définition des liqueurs similaires
à l'absinthe, il s'agit des « boissons alcoolisées produites
à partir des espèces d'Artemisia présentant une
quantité de thuyone supérieure à 35 mg / kg. » C'est
ainsi qu'en deçà de ces seuils, des liqueurs similaires à
l'absinthe pourront être fabriquées en France ou importées.
Par ailleurs, lors de la session plénière du 13 mars 2013, le
Parlement européen a rejeté une première tentative de
définition européenne de l'absinthe (la Commission
européenne devrait prochainement présenter une nouvelle
proposition de définition).
Enfin, évoquons le cas intéressant d'une boisson
(non alcoolisée) dénommée « Security Feel Better
» mise sur le marché depuis 1996 (proposée dans la grande
distribution depuis 2005) et présenté par le fabriquant au public
comme ayant pour effet diminuer instantanément le degré
d'imprégnation alcoolique, créant un sentiment erroné de
sécurité au volant. Par un arrêté du 24
février 2006, le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie a, pour une durée d'un an, suspendu la mise sur le
marché et ordonné le retrait de ladite boisson en ce qu'elle
induirait chez le consommateur « des comportements dangereux et des
risques pour la santé :
188 Loi du 16 mars 1915 relative à l'interdiction de la
fabrication, de la vente en gros et au détail, ainsi que de la
circulation de l'absinthe et des liqueurs similaires
189 Décret n°88-1024 du 2 novembre 1988 portant
application de la loi du 16 mars 1915 relative à l'interdiction de
l'absinthe et des liqueurs similaires, fixant les caractères des
liqueurs similaires de l'absinthe
190 Décret n° 2010-256 du 11 mars 2010 modifiant
le décret n° 88-1024 du 2 novembre 1988 portant application de la
loi du 16 mars 1915 relative à l'interdiction de l'absinthe et des
liqueurs similaires, fixant les caractères des liqueurs similaires de
l'absinthe
110
incertitude du taux réel d'alcool, sentiment de fausse
sécurité, incitation à la consommation d'alcool avant la
conduite qui va à l'encontre de la politique de prévention de la
sécurité routière actuellement menée ;
»191 Mais le Conseil d'Etat192 a jugé que, si
le produit en question présentait un danger grave et immédiat en
matière de santé, l'arrêté constitue une mesure
excessive et disproportionnée au regard des risques que
présentent sa commercialisation. Le Conseil d'Etat fonde son
raisonnement sur le fait que le produit, « compte tenu de sa composition,
n'est pas par lui-même dangereux » mais que c'est la
présentation faite au public qui pouvait constituer un danger, et
qu'ainsi, permettait la prise de mesures proportionnées tel qu'imposer
la diffusion de mises en garde ou de précautions d'emploi à la
charge du fabriquant. Ce qui est intéressant dans ce cas c'est que ce
n'est pas la nature du produit qui présente un danger pour la
santé mais ses conditions d'utilisation et en d'autres termes, les
raisons pour lesquelles et le contexte dans lequel ce produit est
consommé. Ainsi, si l'atteinte à la liberté d'entreprendre
a en l'espèce été considérée par le juge
comme excessive au regard de l'objectif de protection de la santé, des
atteintes proportionnées auraient pu être envisagées. Cela
démontre que le champ des mesures restrictives à la
liberté d'entreprendre prises en application de la protection de la
santé sur des biens est étendu de la nature dangereuse du bien
à ses conditions d'utilisation, en l'absence même de toute nature
dangereuse du bien. C'est ainsi, sous l'influence de la présentation des
effets du produit par le fabriquant, c'est le consommateur qui fait la
dangerosité du produit pour la santé et non l'inverse.
Certains produits du tabac à usage oral.
L'art. L. 3511-2 du CSP interdit la fabrication, la vente, la
distribution ou l'offre à titre gratuit des produits destinés
à usage oral (à l'exception de ceux qui sont destinés
à être fumés ou chiqués) constitués
totalement ou partiellement de tabac, sous forme de poudre, de particules fines
ou toutes combinaisons de ces formes, notamment ceux qui sont
présentés en sachets-portions ou en sachets poreux, ou sous une
forme évoquant une denrée comestible.
Les produits dits « poppers ». Le
cas des produits dits poppers est intéressant, notamment au regard du
contentieux dont leur interdiction a pu faire objet. Tout d'abord,
définissons ce qu'est un produit dit « poppers ». Un auteur
nous dit que « Poppers » est la désignation
191 Arrêté du 24 février 2006 portant
suspension de la mise sur le marché de la boisson « Security Feel
Better »
192 CE, 7 février 2007, décision n° 292615
111
courante d'un liquide vendu en flacons dans les sex-shops,
boîtes de nuit et sur internet, sous diverses dénominations et
qualifications, dont les utilisateurs inhalent par le nez l'effluve aux vertus
euphorisantes (usage en discothèque et rave party) et aphrodisiaques.
»193 De plus, le même auteur nous explique que « le
poppers peut provoquer nausées, vomissements, hypotension, tachycardie,
irritations, convulsions ou encore troubles sanguins sérieux.
Associé à l'alcool, des médicaments, d'autres stimulants
sexuels ou des drogues, le poppers a pu provoquer des comas, voire des
décès. Dans certaines discothèques, le poppers serait
diffusé à l'insu des clients en guise de désodorisant.
»194
Quel est le droit applicable en matière de fabrication
et de commercialisation du poppers ? Tout d'abord, l'auteur
précité nous informe qu'un décret du 26 mars 1990 avait
interdit les poppers à base de certaines composantes, en somme, il
s'agissait d'une interdiction relative de fabrication et commercialisation.
C'est ainsi que les fabricants de poppers ont continué à
commercialiser ce produit sous d'autres formes et avec d'autres composantes,
respectant ainsi le décret précité.
Ensuite, un décret du 20 novembre 2007195
pris notamment en application de l'article L. 2213 du code de la consommation
est venu modifier le décret de 1990 et interdire les produits contenant
des nitrites d'alkyle aliphatiques, cycliques ou hétérocycliques
(poppers). Il faut noter que l'article L. 221-3 précité dispose
que des décrets en Conseil d'Etat « fixent, en tant que de besoin,
par produits ou catégories de produits, les conditions dans lesquelles
la fabrication, l'importation, l'exportation, l'offre, la vente, la
distribution à titre gratuit, la détention, l'étiquetage,
le conditionnement, la circulation des produits ou le mode d'utilisation de ces
produits sont interdits ou réglementés ; ». Toutefois, le
Conseil d'Etat196 est venu annuler de décret en
considérant que s'il était établit que le poppers
présentait un risque sanitaire grave, son interdiction était
« excessive et disproportionnée eu égard au risque »
qui n'était établit qu'en cas « d'usages anormaux »,
à savoir haute dose ou en association avec d'autres produits. Cette
fois-ci la liberté d'entreprendre a prévalu sur la police de la
sécurité des consommateurs et sur la protection de leur
santé.
193 MARKUS J.-P., « Police de la sécurité
des consommateurs : l'interdiction des produits dits « poppers » est
illégale », AJDA 2009 p. 1668
194 Ibidem.
195 Décret n°2007-1636 du 20 novembre 2007 relatif
aux produits contenant des nitrites d'alkyle aliphatiques, cycliques,
hétérocycliques ou leurs isomères destinés au
consommateur et ne bénéficiant pas d'une autorisation de mise sur
le marché.
196 CE, 15 mai 2009, décision n° 312449
112
Enfin, en réponse à cette décision
juridictionnelle, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé,
par arrêté du 29 juin 2011197, revient à la
charge et interdit encore une fois le poppers. Cette fois-ci, le texte est
fondé sur le code de la santé publique et notamment sur l'article
L. 5132-8 que nous avons évoqué précédemment. A ce
jour, le poppers demeure interdit en France.
Stupéfiants. Les stupéfiants
font partie de la catégorie des substances vénéneuses et
sont encadrés par le code de la santé publique dans ses articles
L. 5132-7, L. 5132-8, L. 3421-1 et L. 3421-4. Ainsi l'article L. 342-1 dispose
que « L'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées
comme stupéfiants est puni d'un an d'emprisonnement et de 3750 euros
d'amende. » Toutefois, les dispositions principales encadrant
l'interdiction des stupéfiants sont contenues dans le code pénal.
Ainsi les articles 222-34 et s. du code précité disposent que
sont interdites l'importation, l'exportation, la production, la fabrication, le
transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi
illicites de stupéfiants, même en vue de la consommation
personnelle d'une personne.
Le terme illicite est très important car il est
possible de se procurer légalement des stupéfiants pour des
raisons médicales. A ce propos, l'article R5132-29 CSP interdit la
prescription et la délivrance « des substances classées
comme stupéfiants lorsqu'elles ne sont pas contenues dans une
spécialité pharmaceutique ou une préparation. » Mais,
afin d'éviter toute dérive, l'article 222-37 al. 2 du code
pénal interdit le fait de faciliter « l'usage illicite de
stupéfiants, de se faire délivrer des stupéfiants au moyen
d'ordonnances fictives ou de complaisance, ou de délivrer des
stupéfiants sur la présentation de telles ordonnances en
connaissant leur caractère fictif ou complaisant. » Ainsi les
stupéfiants sont des choses dangereuses généralement hors
commerce mais dans certains cas à commercialité
limitée.
Moins restrictive que la mise hors du commerce juridique, la
mise hors du marché a pu être décidée au nom de la
protection de la santé pour certaines choses. Il s'agit notamment des
éléments et produits du corps humain.
197 Arrêté du 29 juin 2011 portant application
d'une partie de la réglementation des stupéfiants aux produits
contenant des nitrites d'alkyle aliphatiques, cycliques ou
hétérocycliques et leurs isomères
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