Section 1. L'interdiction de commercialisation
fondée sur la dangerosité du bien pour la santé ou sur sa
provenance d'un corps humain
L'interdiction de commercialisation d'un bien renvoi à
première vue à celle des choses hors du commerce juridique,
c'est-à-dire, selon le Code civil, à des choses qui ne peuvent
pas faire l'objet d'une convention (article 1128), être vendues (article
1598), prêtées (article 1878), et dont la propriété
ne peut s'acquérir par prescription (article 2226).
Toutefois, M. LOISEAU précise sur la typologie des
choses hors du commerce qu' « une chose peut être
écartée des opérations proprement commerciales sans
échapper nécessairement à toute circulation juridique.
»181 C'est ainsi que l'auteur précité
opère une distinction entre les choses hors du commerce juridique et les
choses hors du marché. Selon lui, cette distinction « se
déduit du sens donné au mot commercium, qui ne
désigne pas seulement les opérations commerciales stricto sensu
mais vise le commerce juridique lato sensu, c'est-à-dire l'ensemble des
actes juridiques dont une chose peut être l'objet. »182 L'auteur en
tire comme conclusion que « si une chose hors du commerce est
nécessairement hors du marché, à l'inverse une chose hors
du marché n'est pas forcément hors du commerce si elle peut faire
l'objet de conventions à titre gratuit »183.
Nous reprendrons dans nos développements cette
distinction en nous intéressant d'une part aux biens mis hors du
commerce juridique au nom de la protection de la santé (I)
et, d'autre part, aux biens qui, s'ils ne peuvent eux aussi être
commercialisables, ne sont pas totalement indisponibles ; ils sont alors hors
du marché au nom de la protection de la santé
(II).
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181 LOISEAU G., « Typologie des choses hors du commerce
», RTD Civ. 2000 p. 47
182 Ibidem.
183 Ibid.
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I - La mise hors du commerce juridique des choses
substantiellement caractérisées par leur dangerosité pour
la sécurité et la santé des personnes
Nous allons traiter ici des produits présentant un
danger pour la sécurité ou la santé des personnes et
notamment des consommateurs. Il nous faudra ainsi souvent combiner le Code de
la santé publique et le Code de la consommation. Nous allons nous
interroger tout d'abord sur les principaux fondements des interdictions des
produits dangereux (A), puis nous établirons un
inventaire illustratif d'interdictions des produits dangereux fondées
sur la protection de la santé (B).
A - Les principaux fondements de la mise hors du
commerce des produits dangereux
Avant d'évoquer les principaux fondements des
décisions administratives d'interdiction de choses dangereuses
(3) et l'obligation générale de
sécurité à la charge du professionnel
(2), nous traiterons en avants propos du cas particulier des
produits falsifiés (1).
1 - La falsification d'un produit comme source de
dangerosité du bien
Concernant le droit de la consommation, il faut évoquer
en avant-propos le cas particulier de l'interdiction des produits
falsifiés. En fait, le Code de la consommation interdit dans ses
articles L. 213-3 et s. la falsification des denrées alimentaires
(destinées à l'homme ou à l'animal), des boissons
(alcoolisées ou non) et des produits agricoles ou naturels
destinés à être vendus ainsi que leur exposition ou leur
mise en vente ou leur détention. De même les articles
précités interdisent les « produits, objets ou appareils
propres à effectuer la falsification » ainsi que leur
commercialisation. Enfin, ces articles ajoutent que « Si la substance
falsifiée ou corrompue est nuisible à la santé de l'homme
ou de l'animal, l'emprisonnement sera de quatre ans et l'amende de 75 000
euros. » On voit très bien ici, qu'avec la protection du
consommateur, la protection de la santé vient servir de base à
ces dispositions.
Quels sont les éléments constitutifs de cette
infraction ? Au niveau matériel, la falsification consiste en la
fabrication d'un produit dans des conditions non conformes à la
réglementation en vigueur. Au niveau de l'élément moral,
l'auteur doit avoir eu connaissance de la falsification du produit, qui doit
être destiné à la vente. Ainsi le consommateur
altère lui-même le produit en vue de le consommer, il n'est pas
concerné par ces dispositions.
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On notera enfin que des dispositions spécifiques
encadrent l'interdiction de la falsification de médicament à
usage humain.184
A titre d'illustration, la Cour de cassation a pu condamner
sur ce fondement la falsification d'un vin d'appellation d'origine
contrôlée qui avait été enrichis par du sucre afin
d'augmenter son titre alcoométrique, en violation de la
réglementation applicable à ce vin pour la récolte
incriminée.185 La même solution a été
donnée quant à l'incorporation de douelles ou de copeaux de
chêne dans les cuves pour donner au vin en question un goût
boisé.186
In fine, si les produits falsifiés sont effectivement
des biens interdits de commercialisation, il n'est pas évident qu'ils
appartiennent en soi à la catégorie des biens hors commerce. En
effet, c'est d'avantage les conditions et méthodes de fabrication du
bien qui constituent l'élément déclencheur et non la
nature du bien en soi. Il n'en demeure pas moins qu'étant interdits de
commercialisation notamment pour des motifs de santé publique, les
produits falsifiés ont toutes leur place dans notre développement
sur les produits dangereux si tant est que nous n'en traitons qu'en
avant-propos et non au coeur de notre développement pour les raisons que
nous venons d'évoquer.
2 - L'obligation générale de
sécurité à la charge du professionnel
Premièrement, l'article L. 221-1 du code de la
consommation dispose que « Les produits et les services doivent, dans des
conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement
prévisibles par le professionnel, présenter la
sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre
et ne pas porter atteinte à la santé des personnes. ». Cet
article pose ainsi une obligation générale de
sécurité attendue du professionnel et il s'agira d'un
régime de responsabilité sans faute. Si la lettre de la loi
n'évoque pas en soi une interdiction de commercialisation de produits
dangereux, son application amène au même résultat. On peut
retrouver d'ailleurs l'esprit de cette loi dans l'article 1er
(abrogé) de la loi n°78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et
l'information des consommateurs de produits et de services
184 Ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012
relative au renforcement de la sécurité de la chaîne
d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente
de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification
de médicaments
185 Crim. 17 déc. 1997: Bull. crim. no 433; RTD com. 1998.
698, obs. Bouloc
186 Crim. 6 févr. 2001: Bull. crim. no 37; JCP 2001. IV.
1661; Dr. pénal 2001. Comm. 37, obs. J.-H. Robert.
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qui dispose : « Les produits, objets ou appareils dont
une ou plusieurs caractéristiques présentent, dans des conditions
normales d'utilisation, un danger pour la santé ou la
sécurité des consommateurs sont interdits ou
réglementés dans les conditions fixées ci-après.
»
A titre d'illustration, la jurisprudence a
considéré comme responsable sans faute un laboratoire fabriquant
le médicament Distilbène (défectueux en l'espèce)
qui, inhalé par une femme enceinte, a provoqué l'apparition d'une
tumeur cancéreuse chez l'enfant exposé in utero.187
3 - Le pouvoir d'interdiction de commercialisation de
l'administration
Code de la consommation. Tout d'abord,
l'article L. 221-3 du code de la consommation prévoit en effet la
possibilité d'interdire, par décret en Conseil d'Etat, la
fabrication, la vente, l'offre à titre gratuit, etc. de produits qui sui
sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou
à la santé des personnes.
Code du travail. De même,
évoquons l'article L. 231-7 du code du travail qui dispose que «
Dans l'intérêt de l'hygiène et de la sécurité
du travail, peuvent être limitées, réglementées ou
interdites la fabrication, la mise en vente, la vente, l'importation, la
cession à quelque titre que ce soit ainsi que l'emploi des substances et
préparations dangereuses pour les travailleurs. »
Code de la santé publique. Enfin, les
dispositions d'interdiction contenues dans le code de la santé publique
sont assez diverses et on peut noter par exemple l'article L. 5132-8 qui soumet
la commercialisation et la détention des plantes, substances ou
préparations classées comme vénéneuses à des
conditions définies par décrets en Conseil d'Etat (les articles
R. 5132-84, R. 5132-87 rendent possible une interdiction de ces produits par
arrêté du ministre chargé de la santé).
Dès à présent, nous allons dresser un
inventaire non exhaustif d'illustrations de choses qui sont interdites au nom
de la protection de la santé publique.
187 TGI Nanterre, 24 mai 2002: D. 2002. IR 1885; RTD civ. 2002.
527, obs. Jourdain
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