SECOND CHAPITRE LA PROTECTION DE LA SANTÉ
COMME FONDEMENT DES LIMITES À LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE DANS
LA CADRE DE LA RECHERCHE : LE PROBLÈME DE LA QUALITÉ DE
PERSONNE HUMAINE DU SUJET COMME MOYEN DE LA RECHERCHE
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La liberté de la recherche est-elle un corolaire de la
liberté d'entreprendre ? Voici une question délicate à
laquelle nous ne saurons ici définitivement répondre. Pour
autant, les liens entre la liberté de la recherche et la liberté
d'entreprendre sont évidents et nous allons dès à
présent les aborder.
Tout d'abord, il nous faut rappeler une distinction au sein de
la recherche qui est opérée entre la recherche
fondamentale et la recherche appliquée. Le
principal critère de distinction est celui de la finalité de la
recherche. Ainsi, en théorie, la recherche appliquée est
entreprise avec une finalité économique. Toutefois, ce
critère est parfois délicat à mettre en oeuvre car
certaines recherches dites fondamentales peuvent, même si ce n'est pas la
finalité première recherchée, être à terme
valorisées économiquement.
Par ailleurs, si l'on aborde la recherche en tant
qu'activité d'une entreprise, on parlera de recherche et
développement. Il s'agira par exemple pour une entreprise de
créer de nouveaux biens. On peut distinguer au sein de la recherche et
développement trois types d'activités dont nous allons dès
à présent donner les définitions proposées par
l'Organisation de coopération et de développement
économiques et reprises par le Département des études
statistiques du Ministère de l'enseignement supérieur et de la
recherche de la République française.163
- La recherche fondamentale : « Elle
consiste en des travaux expérimentaux ou théoriques (...)
entrepris soit par pure curiosité scientifique (recherche fondamentale
pure), soit pour apporter une contribution théorique à la
résolution de problèmes techniques (recherche fondamentale
orientée). »
163 Site internet du Département des études
statistiques du Ministère de l'enseignement supérieur et de la
recherche, « Méthodologie et définitions - Définition
des activités de R&D »,
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/reperes/telechar/res/res02/rap02ch3.pdf,
page consultée le 6 mai 2013.
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- La recherche appliquée : « Elle
est entreprise, soit pour discerner les applications possibles des
résultats d'une recherche fondamentale, soit pour trouver des solutions
nouvelles permettant d'atteindre un objectif déterminé choisi
à l'avance. Elle implique la prise en compte des connaissances
existantes et leur approfondissement dans le but de résoudre des
problèmes particuliers. (...) La recherche appliquée permet la
mise en forme opérationnelle des idées. Les connaissances ou les
informations tirées de la recherche appliquée sont
généralement susceptibles d'être brevetées ou
peuvent être conservées secrètes. »
- Le développement expérimental :
« C'est l'ensemble des travaux systématiques fondés
sur les connaissances obtenues par la recherche ou l'expérience
pratique, effectués en vue de lancer la fabrication de nouveaux
matériaux, produits ou dispositifs, d'établir de nouveaux
procédés, systèmes et services ou d'améliorer
considérablement ceux qui existent déjà. Il inclut la mise
au point des prototypes et des installations pilotes. »
Ainsi à travers ces définitions, non seulement
les liens entre économie et recherche sont évidents mais de
surcroit, ces recherches sont initiées par une entreprise. N'est-ce donc
pas là une mise en oeuvre de leur liberté d'entreprendre ?
Par exemple, dans le cadre de ses activités de
recherche et développement, un laboratoire pharmaceutique souhaite
élaborer un nouveau médicament. Pour cela, il effectue des
recherches en amont en testant par exemple des molécules, puis en
sélectionnant enfin les médicaments à tester. Ensuite,
arrive la phase de développement préclinique au cours de laquelle
diverses expérimentations seront effectuées comme par exemple sur
les animaux. Enfin, et à ce moment-là il ne reste qu'environ dix
candidats médicaments, arrive le développement clinique au cours
duquel seront mis en oeuvre des essais cliniques sur des personnes humaines
volontaires. Les essais cliniques visent à démontrer
l'efficacité et la sécurité d'un nouveau médicament
et sont obligatoires pour obtenir une autorisation de mise sur le marché
d'un médicament164 (nous reviendrons dans notre Seconde
partie sur les biens). On voit bien ici, que les essais de médicaments
sur les personnes (recherche biomédicale) sont indispensables à
la commercialisation de biens (liberté d'entreprendre).
164 Voir en ce sens, « Les grandes étapes de la
vie d'un médicament »,
http://www.leem.org/content/les-grandes-tapes-de-fabrication-dun-m-dicament,
page consultée le 6 mai 2013.
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C'est ainsi que la recherche est une mise en oeuvre de la
liberté d'entreprendre quand elle a une finalité
économique, notamment prédéterminée par
l'entrepreneur. Nous ne traiterons donc pas ici de liberté de la
recherche mais simplement de la recherche comme mise en oeuvre de la
liberté d'entreprendre.
Parce qu'elle touche les personnes humaines qu'elle met au
coeur du processus de recherche et parce que nous avons fait le choix
d'analyser les limites à la liberté d'entreprendre
justifiées par la protection de la santé sous l'angle des
personnes, nous traiterons ici de la recherche biomédicale ou impliquant
la personne humaine.
Comme le disait Kant dans son ouvrage « Fondement de la
métaphysique des moeurs », « Agis de façon telle que tu
traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre,
toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen.
» Or il se trouve que dans le cadre de la recherche impliquant une
personne humaine, cette dernière peut être, au moins
partiellement, utilisée comme un moyen et non comme une fin. En effet,
la finalité dans la recherche biomédicale est principalement le
progrès scientifique. Lorsque les sujets sont impliqués dans la
recherche dans un but thérapeutique, il est vrai que la finalité
scientifique se complète par la finalité curative mais la
personne demeure l'un des moyens de la recherche, à côté
par exemple du médicament testé sur elle.
Or, lorsque la personne est utilisée comme un moyen,
c'est sa dignité qui est en jeu. C'est ainsi que le droit cherche
à créer un équilibre en les droits des personnes
participant à une recherche et l'intérêt
général incarné par le progrès scientifique. La
personne a des droits, elle n'est pas un droit. C'est ainsi que la
participation à une recherche biomédicale ne doit en principe
n'apporter aucune contrepartie financière au sujet parce que la
dignité de la personne humaine est hors commerce. En outre, la personne
est ici certes considérable comme un moyen mais dans une finalité
d'intérêt général et c'est ce dernier point qui nous
pousse à nous demander si l'utilisation d'une personne comme moyen dans
une finalité d'intérêt général est une cause
de rachat de sa dignité. Cela nous semble insuffisant. Sans laisser
totalement en suspend ces questions, nous remarquerons que
l'éventualité d'une atteinte à la dignité de la
personne peut être contredite à la fois par la finalité de
la recherche (intérêt général), par le
nécessaire recueil du consentement du sujet préalablement
à la recherche, et par un encadrement juridique de cette dernière
centré sur la protection des sujets, et tout cela, a fortiori lorsque la
personne se prête à une recherche dans un but curatif.
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Ainsi, la personne est au coeur de la recherche
biomédicale qui elle-même peut être une mise en oeuvre de la
liberté d'entreprendre de celui qui l'initie. La personne, qui ne
participe pas nécessairement pour son propre intérêt
à la recherche, est dans tous les cas un acteur principal de la
recherche. C'est pour toutes ces raisons que nous aborderons la recherche
biomédicale dans le cadre de notre Partie 1 : la variable «
personne » est au coeur de l'encadrement de la recherche
biomédicale.
Les dispositions juridiques encadrant la recherche
biomédicale sont contenues dans les articles L. 1121-1 et s. du Code de
la Santé Publique. Par ailleurs, la Loi n° 2012-300 du 5 mars 2012
est venue modifier substantiellement le régime encadrant la recherche
impliquant les personnes notamment en élargissant la notion de «
recherche biomédicale » par celle de « recherche impliquant la
personne humaine ». Toutefois, la présente loi n'entrera en vigueur
que dès la publication au Journal officiel de ses décrets
d'application. Enfin, cette nouvelle loi ne remettant pas en cause la logique
globale visant à trouver un compromis entre protection des personnes,
morale et progrès scientifique, nous étudierons dans une
première section le cadre général de la
recherche biomédicale sur les personnes en montrant les limites qui sont
apportées à la liberté d'entreprendre, puis nous
présenterons les principaux aspects de la nouvelle réforme dans
une seconde section.
Section 1. Le cadre général actuel de la
recherche biomédicale : un compromis entre liberté
d'entreprendre, progrès scientifique et protection du sujet
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Nous étudierons ici le cadre général de
la recherche biomédicale et les limites qu'il apporte à la
liberté d'entreprendre en adoptant une approche calquée sur la
vie de l'activité de recherche en partant de son entreprise (I)
jusqu'à sa fin (III), et en passant par son
exercice (II).
I - Les conditions préalables à l'entreprise
- limitée - de la recherche biomédicale
Avant d'entreprendre une recherche biomédicale, il faut
d'abord que la démarche entre dans son champ d'application (A)
dans le respect ensuite de certaines conditions (B).
Nous souhaitons montrer à travers le présent contenu que ces
conditions préalables à l'entreprise de la recherche
biomédicale sont parsemées de limitations à la
liberté d'entreprendre de la personne que le CSP nomme le promoteur ;
nous reviendrons sur ce dernier.
A - La délimitation du champ d'application de la
recherche biomédicale
Définir le champ d'application de la recherche
biomédicale nécessite de se demander tout d'abord quel est son
objet afin de la définir (1), et ensuite de se demander
qui en sont les principaux acteurs (2).
1 - La définition de l'objet de la recherche
biomédicale
Nous envisageons donc préalablement de nous demander ce
que recouvre la notion de recherche biomédicale afin de
délimiter son champ d'application Ainsi, l'article L. 11211 du CSP la
définit comme la recherche organisée et pratiquée sur
l'être humain en vue du développement des connaissances
biologiques ou médicales. Nous avons donc un moyen principal
(l'être humain) et une finalité (le progrès scientifique)
dans la recherche biomédicale.
Plus particulièrement, il existe plusieurs
catégories de recherches biomédicales. On peut citer par exemple
celles portant sur un médicament ou celles portant sur un dispositif
médical (art. R. 1121-1 CSP). Les premières sont entendues comme
tout essai clinique d'un ou plusieurs médicaments visant à
déterminer ou à confirmer leurs effets cliniques,
pharmacologiques et les autres effets pharmacodynamiques ou à mettre en
évidence tout effet indésirable, ou à en étudier
l'absorption, la distribution, le métabolisme et l'élimination,
dans le but de s'assurer de
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leur innocuité ou de leur efficacité.
Globalement, ces recherches s'inscrivent dans le cadre de l'élaboration
d'un médicament en vue de sa mise sur le marché. Quant aux
recherches biomédicales portant sur un dispositif médical, elles
sont entendues comme tout essai clinique ou investigation clinique d'un ou
plusieurs dispositifs médicaux visant à déterminer ou
à confirmer leurs performances ou à mettre en évidence
leurs effets indésirables et à évaluer si ceux-ci
constituent des risques au regard des performances assignées au
dispositif.
L'objet de la recherche biomédicale est ainsi
plutôt large puisqu'il va concerner les recherches portant atteinte au
corps humain, même de manière superficielle, qu'il s'agisse par
exemple de la prise d'un médicament, de l'application d'une substance
(cosmétique, etc.), de données recueillies sous une astreinte
particulière (régimes alimentaires, épreuves d'efforts,
etc.) ou encore de l'insertion d'un implant.
En outre, certaines recherches sont exclues du champ
d'application de l'article L. 1121-1 et non constituent donc pas des recherches
biomédicales. Il s'agira globalement des recherches qui
n'altèrent pas l'intégrité physique des personnes qui s'y
soumettent ou ne comportent que des risques et contraintes
négligeables.
Premièrement, il s'agira des recherches visant
à évaluer des soins courant autres que celles portant sur les
médicaments (articles L. 1121-1, 2° et R. 1121-2), lorsque
tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de
manière habituelle mais que des modalités particulières de
surveillance sont prévues par un protocole obligatoirement soumis
à l'avis du Comité de protection des personnes compétent.
En pratique, ces recherches visent à évaluer des actes,
combinaisons d'actes ou stratégies médicales de
prévention, de diagnostic ou de traitement qui sont de pratique
courante, c'est à dire qui ne sont pas innovants ou
considérés comme obsolètes (art. R. 1121-3 CSP).
Deuxièmement, il s'agira des « recherches
non interventionnelles » ou observationnelles (articles L.
1121-1, 1° et R. 1121-2), c'est à dire des recherches dans
lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés
de manière habituelle et sans aucune procédure
supplémentaire ou inhabituelle de diagnostic ou de surveillance. En
pratique dans ce cas, « des groupes de personnes sont soumis à
observation pendant plusieurs années, sans qu'aucun geste médical
ne soit pratiqué. »165
165 LEROYER A.-M., « Recherches sur la personne humaine -
Autorisation - Protection - Examen caractéristiques
génétiques », RTD Civ. 2012 p. 384
Ainsi, ce large champ d'application permettra d'appliquer
à grand nombre de situations un régime protecteur pour les sujets
et contraignant pour les acteurs de la recherche. En outre, nous venons de
répondre à la question : « Quoi ? » ; il nous faut
maintenant nous demander : « Qui ? ».
2 - La définition des principaux acteurs de la
recherche biomédicale
Il existe principalement trois acteurs de la recherche
biomédicale : le promoteur et l'investigateur décrits à
l'art. L. 1121-1 du CSP (1) et le sujet impliqué dans
la recherche (2).
a - Le promoteur et l'investigateur entreprenant et
mettant en oeuvre la recherche
Promoteur. Obligatoirement établi dans
l'Union européenne, le promoteur est la personne physique ou morale qui
prend l'initiative de la recherche, qui en assure la gestion et le financement.
En pratique, le promoteur pourra être un établissement public ou
privé ayant une mission de soin (hôpital,...) ou un industriel
(laboratoires pharmaceutiques,...).
C'est lui qui recueille l'avis du Comité
compétent et l'autorisation de l'ANSM préalablement à
toute entreprise de recherche ou en cas de modification substantielle de
celle-ci. De surcroit, le promoteur est la personne responsable des
éventuelles conséquences dommageables de la recherche
biomédicale pour la personne qui s'y prête.
Ainsi, lorsqu'il est une personne privée, c'est lui qui
est le bénéficiaire de la liberté d'entreprendre, qu'il
met ici en oeuvre via l'entreprise de la recherche en tant que préalable
au développement d'un produit, d'une technique, etc. qu'il valorisera
économiquement par la suite (dépôt d'un brevet,
commercialisation, etc.).
Investigateur. L'investigateur est la
personne physique qui dirige et surveille la réalisation de la recherche
sur un lieu. Il faut noter qu'en cas de pluralité des investigateurs, le
promoteur devra désigner, parmi les investigateurs, un coordinateur.
L'investigateur doit être un médecin justifiant d'une
expérience appropriée. De plus, il doit se faire assister par des
spécialistes dans certains domaines comme l'odontologie (médecine
dentaire) ou la maïeutique (art de l'accouchement).
Parce qu'il agit pour le compte du promoteur, l'investigateur
n'est donc pas un bénéficiaire de la liberté
d'entreprendre telle que nous l'avons défini.
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En outre, la recherche biomédicale se réalise via
une personne humaine ; qui est-elle ?
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b - Le sujet impliqué dans la
recherche
Le sujet impliqué dans la recherche est en principe
tout être humain consentant, qu'il s'agisse d'un volontaire « sain
» ou d'un patient. Par exception, certaines personnes en situation de
fragilité, de vulnérabilité ne pourront être
impliquées dans la recherche que sous certaines conditions posées
par les articles L. 1121-5 et s. du CSP.
Ainsi les femmes enceintes, les parturientes, les mères
qui allaitent ou encore les personnes privées de liberté par une
décision de justice et les personnes faisant l'objet de soins
psychiatriques ne pourront être sollicitées pour se prêter
à des recherches biomédicales que dans certaines conditions
fondées notamment sur la balance bénéfice/risque.
De plus, les mineurs et les majeurs protégés ne
peuvent être sollicités pour se prêter à des
recherches biomédicales que si des recherches d'une efficacité
comparable ne peuvent être effectuées sur une autre
catégorie de la population et dans certaines conditions fondées
sur la balance bénéfice/risque.
Enfin, l'article L. 1121-14 du CSP interdit les recherches
biomédicales sur une personne décédée, en
état de mort cérébrale, sans son consentement
exprimé de son vivant ou par le témoignage de sa famille.
Ainsi, le sujet étant indispensable, l'exclusion de
certaines personnes, bien que largement justifiée par la protection de
la santé, limite toutefois les possibilités d'entreprendre une
recherche.
Nous avons maintenant défini la recherche
biomédicale et les acteurs qu'elle implique, mais qu'elles sont les
conditions permettant de la mettre en oeuvre ? Il s'agit de répondre
à la question : « Comment ? ».
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