II - Les limites à la libre circulation
économique sous le prisme de la qualité des personnes
La libre circulation économique n'est, comme toute
liberté, ni générale ni absolue. C'est Ainsi le droit
l'Union européenne ouvre des situations dans lesquelles les
libertés de circulations peuvent être limitées.
Après avoir posé le cadre des justifications de ces limitations
(A), nous donnerons en donnerons des illustrations
jurisprudentielles (B).
A - Les justifications des limites à la libre
circulation économique des personnes
Le droit de l'Union européenne oppose à la libre
circulation économique des personnes quatre situations dans lesquelles
les Etats membres pourront y justifier des restrictions. Les deux
premières sont d'origine textuelle et les deux dernières sont
d'origine jurisprudentielle.
Premièrement, certaines activités
professionnelles qui participent à l'exercice de
l'autorité publique peuvent être réservées
aux nationaux.153 Il pourra s'agir par exemple des
emplois dans l'administration publique154 ou de certaines
professions indépendantes (comme les professions d'huissier ou de
garde-chasse). Analysée sous le prisme des personnes, cette
justification est fondée sur leur qualité d' «
étrangers » à l'Etat dans lesquels ces activités sont
exercées. Toutefois, les aspects d'une profession qui participent
à l'exercice de l'autorité publique n'entrent pas dans le cadre
de la liberté d'entreprendre car cette dernière ne s'applique
qu'aux activités économiques privées. Ainsi, selon la
théorie de la détachabilité, l'Etat ne peut
réserver aux nationaux que les seuls aspects de l'activité qui
participent directement à l'exercice de la puissance publique.
Deuxièmement, des raisons d'ordre public, de
sécurité publique ou de santé publique invocables
par les Etats membres peuvent justifier qu'ils appliquent des régimes
spéciaux pour les ressortissants étrangers.155 Ainsi
la protection de la santé publique peut constituer une justification de
restrictions à la liberté d'entreprendre dans le cadre de la
libre prestation de service ou de la liberté d'établissement.
Toutefois, ces raisons ne sont pas invocables en cas
153 Article 51 TFUE
154 Article 45§4 TFUE
155 L'article 45§3 TFUE fait référence
à ces raisons dans le cadre de la libre circulation des travailleurs.
Les articles 52§1 et 62 TFUE autorisent, dans le cadre
des libertés d'établissement et de prestation de service, la mise
en place d'un régime spécial pour les ressortissants
étrangers justifié par des raisons d'ordre public, de
sécurité publique et de santé publique
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d'harmonisation complète du secteur concerné.
Analysée sous le prisme des personnes, cette justification est
fondée sur leur qualité d' « étrangers », qui
peut être combinée à leurs compétences. En effet, la
qualité d' « étrangers » des personnes ne permet pas
toujours de connaitre ou d'évaluer leurs compétences.
En résumé, dans les deux premières
situations, c'est la qualité de ressortissants d'un autre Etat membre
des personnes combinée à la nature des activités ou
à des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de
santé publique qui justifient ces interdictions.
Troisièmement, des raisons impérieuses
d'intérêt général156 vont
permettre de justifier des restrictions aux libertés de prestation de
service et d'établissement. Ces raisons doivent s'appliquer de
manière non-discriminatoire, être nécessaires à
assurer l'objectif qu'elles poursuivent et être proportionnées au
regard de cet objectif. Ainsi, a contrario des raisons d'ordre public,
de sécurité publique ou de santé publique
précédemment évoquées, ces restrictions doivent
être indistinctement applicables aux nationaux et aux ressortissants d'un
autre Etat membre.
Quatrièmement, une dernière raison
d'intérêt général peut justifier des restrictions
aux libertés d'établissement et de prestation de service ; il
s'agit de l'abus de droit (utilisation abusive par des
personnes de la libre prestation de service ou de la liberté
d'établissement). Ainsi les Etats peuvent dans ce cas « prendre des
mesures destinées à empêcher qu'à la faveur des
facilités créées en vertu du traité, certains de
ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l'emprise
de leur législation nationale. »157 Ici, c'est le
comportement des personnes qui est en cause et qui va justifier les mesures
restrictives des Etats membres.
Maintenant que nous avons dressé le tableau
général des justifications à des mesures restrictives aux
libertés économiques de circulation des personnes, nous allons
donner quelques illustrations jurisprudentielles pour appuyer notre
démonstration.
156 Elles sont l'équivalent, en matière de libre
circulation des marchandises, des exigences impératives de la
jurisprudence « Cassis de Dijon », que nous étudierons dans
notre Partie 2
157 DE GROVE-VALDEYRON N., « Prestation de services »,
Répertoire de droit communautaire, déc. 2011
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