B - Les principales limites à la liberté
d'entreprendre des médecins libéraux
La liberté d'entreprendre du médecin (ou le
libre exercice de sa profession), trouve des limites à la fois dans le
contrat médical qui le lie à son patient (1) et
à la fois en vertu du principe de la permanence des soins
(2).
1 - Les limitations intervenant directement dans le
contrat médical
La cour de cassation a défini le colloque singulier
liant en médecine libérale le médecin est son patient
comme un contrat médical127. Il s'agit d'un contrat
synallagmatique qui comporte pour le médecin l'obligation d'informer le
malade, de le conseiller, de recueillir son consentement et de lui donner des
soins. Pour le malade il comporte l'obligation de le renseigner sur ses
antécédents et sur son état de santé. Il doit
également lui verser des honoraires. Le médecin est dans ce cadre
soumis en principe à une obligation de moyen et par exception à
une obligation de résultat.128
Liberté de prescription. La
liberté de prescription conférée aux médecins est
un principe général du droit129 essentiel dans
l'exercice de leur profession. Il confère aux médecins la
liberté de prescrire à leurs patients des médicaments ou
soins qui leur semblent les plus appropriées au regard du diagnostic
médical qu'ils ont établi et de la balance
bénéfices/risques
126 CE 2 oct. 2009, Joseph, req. no 309247)
127 Cass. Civ., 20 mai 1936, Dr Nicolas c/ Époux
Mercier, DP 1936. 1. 88, concl. Matter, rapport Josserand, note E. P., S. 1937.
1. 321, note Breton, Gaz. Pal. 1936. 2. 41
128 Cass. Civ. 1re, 15 nov. 1988, Bull. civ. I, n° 319 :
« Si le chirurgien-dentiste est tenu d'une simple obligation de moyens
quant aux soins qu'il prodigue, il est tenu à une obligation de
résultat comme fournisseur d'une prothèse, devant délivrer
un appareil sans défaut »
129 CE 18 févr. 1998, Sect. locale du Pacifique Sud de
l'ordre des médecins, Lebon T. 710 , RFDA 1999. 47, note Joyau
55
au regard de l'acte thérapeutique.130 Cette
liberté n'est toutefois pas sans limites Premièrement, la
prescription de médicaments ne disposant pas d'autorisation de mise sur
le marché est soumise à des conditions restrictives
prévues les textes (autorisation de prescription pour certains
établissements ou certains professionnels.131 Cette
limitation est justifiée par des considérations de protection de
la santé dans la mesure où un médicament n'ayant pas
obtenu d'autorisation de mise sur le marché n'a pas été
soumis à tous les contrôles préventifs de
sécurité prévus par les textes. Deuxièmement, le
médecin ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, formuler des
prescriptions dans les domaines qui dépassent ses connaissances, son
expérience et les moyens dont il dispose.132 Le
médecin ne doit pas de surcroit formuler des prescriptions susceptibles
de faire courir au patient un risque injustifié.133
Troisièmement, les médecins sont tenus d'observer dans leurs
actes de prescription la plus stricte économie compatible avec la
qualité, la sécurité et l'efficacité des soins. Si
l'objectif de cette obligation n'est à première que d'ordre
économique, il est aussi en rapport avec des considérations de
protection de la santé. En effet, le coût exorbitant de la
sécurité sociale est de nature à remettre en cause ce
système et donc par extension le principe de l'accès aux soins,
essentiel en matière de protection de la santé. En outre,
d'autres mesures viennent encadrer la liberté de prescription comme les
références médicales opposables ou autres recommandations
de bonnes pratiques édictées dans un objectif de maîtrise
des dépenses médicales.
Il n'en demeure pas moins que ces limites ne remettent pas en
cause substantiellement la liberté de prescription « qui reste tout
de même assez grande et suffisamment fondamentale dans notre
système de santé »134.
Fixation des honoraires. Partie
intégrante du contrat médical, le médecin libéral a
droit à des honoraires en contrepartie d'un acte réellement
effectué (art. R. 4127-53 à R. 4127-55 CSP). La notion d'acte
réellement effectué implique que le simple avis ou conseil
dispensé à un patient par téléphone ou par
correspondance ne peut donner lieu à aucun honoraire (art. R. 4127-53
CSP).
130 Article R. 4127-8 CSP
131 Article R. 5121-77 CSP
132 Article R. 4127-70 CSP
133 Article R. 4127-40 CSP
134 CHASSANG M., « Brèves réflexions sur
l'avenir de la médecine libérale », Revue de droit sanitaire
et social 2011 p. 7
56
La créance d'honoraire est personnelle au
médecin et son règlement (qui doit être effectué
dès présentation de la créance) est à la charge de
son patient (débiteur), qui ne peut exiger au préalable
l'accomplissement des formalités nécessaires au
remboursement.135 Toutefois, le droit aux honoraires, n'interdit pas
au médecin de donner gratuitement ses soins (Article R. 4127-67 CSP).
Le principe général en matière
d'honoraires est posé par l'article R. 4127-53 du CSP qui dispose, que
« les honoraires du médecin doivent être
déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la
réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de
circonstances particulières. » Au regard de la complexité et
de l'étendue de la réglementation en vigueur (notamment
concernant l'établissement de différents secteurs auxquels les
médecins sont liés et entre lesquels existent des degrés
différents de contraintes dans la fixation d'honoraires), nous nous
bornerons à n'évoquer que quelques limitations à la
fixation des honoraires par le médecin libéral.
Ainsi par exemple, lorsqu'il est autorisé, le
dépassement des honoraires réglementaires doit être
déterminé avec tact et mesure (critère de
proportionnalité), sous peine de réduction desdits
honoraires.136 Toutefois, la notion de tact et mesure est incertaine
et n'est pas définie par les textes, ce qui permet de la
considérer comme un standard. A titre d'illustration, un rapport de la
CNOM137 voyait dans cette notion la prise en compte de la
notoriété du praticien, le temps passé et la
complexité de l'acte, le service rendu et les possibilités
financières du malade.
Enfin, toujours par exemple, parce que le détournement
de clientèle est interdit (art. R. 412757 CSP), le médecin ne
peut abaisser, dans un but de concurrence, le montant de ses honoraires (art.
R. 4127-67 CSP). Limitant ainsi la fixation des honoraires et la libre
concurrence pour des raisons de santé publique et de déontologie,
cette mesure porte incontestablement atteinte à la liberté
d'entreprendre.
Au-delà du contrat médical, le principe de la
permanence des soins est aussi un fondement à la liberté
d'entreprendre des médecins du fait de leur qualité de
professionnel de santé.
135 PENNEAU J., « Médecine (professions
médicales et auxiliaires médicales) », Répertoire de
droit civil, août 2006 (dernière mise à jour : septembre
2012)
136 CA Versailles, 13 févr. 1987, D. 1987, somm. 417, obs.
J. Penneau
137 CNOM, Le tact et la mesure dans la fixation des honoraires,
1998.
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2 - Les limitations imposées par le principe
de la permanence des soins
La permanence des soins est un principe devant «
permettre un accès aux soins de manière continue. Elle concerne
donc l'ensemble des actes non programmés et, plus spécifiquement,
ceux qui demandent à être réalisés en dehors des
horaires habituels d'ouverture des cabinets de médecine libérale.
»138 Concernant l'accès aux soins, Mme MAURY analyse que
« le jeu de la libre installation et l'institution d'un secteur à
honoraires libres dont bénéficient essentiellement les
spécialistes se conjuguent pour créer des déserts
médicaux en milieu rural et des concentrations de spécialistes
onéreux en milieu urbain, surtout au sud. »139 On
comprend ainsi les enjeux portés par le principe de la permanence des
soins, que nous allons confronter au libre exercice de la profession de
médecin libéral.
Liberté d'installation.
Consacrée pour la première fois par la loi no 71-525 du
3 juillet 1971, la liberté d'installation peut être
analysée comme un principe voisin de la liberté
d'établissement issue du droit de l'UE. Ces deux libertés se
différencient en ce que la première prend forme dans un contexte
national alors que la seconde s'entend sur le territoire de l'UE et concerne
les personnes en mouvement d'un Etat membre à l'autre. La liberté
d'installation consiste principalement en la liberté du choix du lieu
d'exercice de la profession libérale.
En qualité de principe déontologique
fondamental, la liberté d'installation doit respecter les principes
déontologiques directeurs de l'exercice de la profession et notamment
« les règles concernant la confraternité, les règles
relatives aux lieux d'exercice, celle interdisant l'exercice de la
médecine foraine et de respecter les principes généraux du
droit et de respecter les principes généraux du droit, notamment
la clause de non-rétablissement figurant dans un contrat, et de remplir
les conditions d'accès à l'exercice de la profession.
»140 Ainsi par exemple, certaines dispositions ont pu
restreindre la liberté d'installation des médecins en leur
imposant de n'« avoir, en principe, qu'un seul cabinet
».141 D'autre part, toujours à titre d'illustration et
concernant les règles relatives aux lieux d'exercice, l'art. R. 4127-85
du CSP dispose que « le lieu habituel d'exercice d'un médecin est
celui de la résidence professionnelle
138 DEL SOL M., « Médecine libérale et
permanence des soins de ville », Revue de droit sanitaire et social
2004 p. 261
139 MAURY S., « Réhabiliter les soins de
proximité ? », Revue de droit sanitaire et social 2012 p.
84
140 PENNEAU J., Médecine (professions médicales
et auxiliaires médicales), Répertoire de droit civil, août
2006 (dernière mise à jour : septembre 2012)
141 Article 63 du décret du 28 juin 1979 portant code de
déontologie médicale (abrogé)
58
au titre de laquelle il est inscrit sur le tableau du conseil
départemental. » Ainsi, une fois le lieu habituel établit,
ce n'est que par exception que le médecin pourra, sur autorisation du
conseil départemental, exercer son activité sur un ou plusieurs
sites distincts. C'est par exemple le cas en cas de carence ou une insuffisance
de l'offre de soins dans le secteur géographique considéré
ou encore lorsque les investigations et les soins qu'il entreprend
nécessitent un environnement adapté, l'utilisation
d'équipements particuliers, la mise en oeuvre de techniques
spécifiques ou la coordination de différents intervenants (art.
R. 4127-85 CSP).
Toutefois, les principales mesures prises en contradiction
à la liberté d'installation ne sont généralement
qu'incitatives, dépendent de a libre volonté du médecin et
prennent souvent la forme d'aides financières. On pourra alors parler de
libres autolimitations de la liberté d'installation par leurs
bénéficiaires, qui ne sont pas ainsi de véritables limites
à la liberté d'entreprendre.
Nous limiterons notre développement à
l'évocation d'un dispositif légal incitatif récent : le
contrat d'engagement de service public.142 Ce contrat, conclu sur la
base du volontariat entre un étudiant de médecine (de la
deuxième année d'études à la dernière
année d'internat) et le CNG143, propose à
l'étudiant de bénéficier d'une allocation mensuelle de
1200 € bruts en contrepartie d'un engagement de leur part d'exercer
à titre libéral ou salarié dans une zone «
sous-dotée » (ou « désert médical »)
à la fin de leur formation. D'un minimum de deux années, cet
engagement sera d'une durée équivalente à celle du
versement de l'allocation. Malheureusement, pour des raisons multiple que nous
ferons l'économie d'évoquer, ce dispositif ne connait aujourd'hui
qu'un faible succès.144 De notre point de vue, l'un des
freins au succès de cette mesure peut être lié à la
difficulté de se constituer une clientèle. On peut comprendre
qu'un médecin, lorsqu'il entre sur le marché économique
après plus de dix années d'études, ne souhaite pas
s'installer provisoirement dans un désert médical pour devoir se
reconstituer une clientèle quand il retournera en ville à la fin
de ses obligations de service public.
142 Article 46 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009
portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la
santé et aux territoires, dite « HPST »
143 Centre National de Gestion des praticiens hospitaliers et
des personnels de direction de la fonction publique hospitalière
144 Pour aller plus loin, voir ROUSSET G., « La lutte
contre les « déserts médicaux » depuis la loi HPST :
entre désillusions et espoirs nouveaux », Revue de droit
sanitaire et social 2012 p. 1061
59
Organisation de l'activité libérale.
Dans l'exercice de ses fonctions et dans l'organisation de son
activité économique, le médecin libéral pourra
être sujet de manière volontaire ou contrainte à remplir
des obligations d'intérêt générale notamment
fondée sur le principe de la permanence des soins (accès et
continuité). Le principe est posé par l'article R. 6315-4 du CSP
qui dispose que les médecins participent à la permanence des
soins sur la base du volontariat. Comment est mis en oeuvre le volontariat ?
Principalement, les professionnels libéraux qui le souhaitent doivent
soit se porter volontaires auprès du conseil départemental de
l'Ordre afin d'être inscrits sur le tableau de permanence, soit accepter
de répondre positivement à une demande du conseil tendant
à compléter ledit tableau. Ce tableau établit la liste des
médecins de garde qui se sont portés volontaire pour intervenir
en dehors des horaires d'ouverture des cabinets médicaux ; on parle
alors d'astreinte réalisée par le médecin. Naturellement,
des incitations financières sont mises en place pour encourager les
médecins à se porter volontaires.
Toutefois, le principe du volontariat n'est pas absolu. En
effet, des réquisitions préfectorales sont prévues par
l'article R. R6315-4 lorsque le tableau de permanence demeure incomplet
permettant à l'autorité administrative de contraindre certains
médecins à participer à la permanence des soins qui est
une mission d'intérêt général. Mme DEL SOL nous dira
qu' « il s'agit là d'une garantie d'effectivité de cette
continuité qui suppose d'exercer une contrainte de puissance publique
sur un certain nombre de médecins. »145
Maintenant que nous avons étudié les limites
à l'accès ou à l'exercice d'une profession dans une
approche de droit interne, il nous faut évoquer les
spécificités du droit de l'Union européenne, qui pose le
cadre de la libre circulation économique des personnes en mouvement d'un
Etat membre à un autre dans le cadre de leurs activités
économiques
145 DEL SOL M., « Médecine libérale et
permanence des soins de ville », Revue de droit sanitaire et social 2004
p. 261
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