II - Les limitations fondées sur la qualité
de professionnel de la santé (médecins libéraux en
particulier)
Ces limites seront envisagées sous l'angle de la
qualité de professionnel de santé du médecin et des
obligations d'intérêt général qui y sont
associées.
Il serait tentant de penser que l'interdiction de pratiquer la
médecine comme un commerce120 exclue du champ de la
liberté d'entreprendre la médecine libérale. En effet, on
pourrait considérer que par analogie avec la liberté du commerce
et de l'industrie, la liberté d'entreprendre ne concernerait que les
activités commerciales et industrielles. En réalité, comme
nous l'évoquions dans notre définition de la liberté
d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie, il ne
faut pas se limiter à une interprétation terminologique de ces
principes visant à les limiter aux notions d' « entreprendre
», de « commerce » et d' « industrie ». Ainsi
au-delà des activités commerciales, la liberté
d'entreprendre doit s'entendre comme étant attachée aux
activités lucratives privées dont la médecine
libérale fait partie. Mais que recouvre cette notion d'activité
libérale ? Quelle forme prend-elle dans la profession de médecin
? Que recouvre le principe de la liberté d'entreprendre dans la
médecine libérale ? Nous répondrons à ces questions
en évoquant la place de la liberté d'entreprendre dans la
médecine libérale (A) pour ensuite
étudier les limites qui luis sont apportées
(B).
A - La place particulière de la liberté
d'entreprendre au sein de la médecine libérale
La directive 2005/36/CE du Parlement européen et du
Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des
qualifications professionnelles définit les professions libérales
comme « toute profession exercée sur la base de qualifications
professionnelles appropriées, à titre personnel, sous sa propre
responsabilité et de façon professionnellement
indépendante, en offrant des services intellectuels et conceptuels dans
l'intérêt du client et du public. » Il s'agit donc en somme
d'une activité professionnelle indépendante privée de
prestations de services. Dès à présent, nous devons nous
demander comment se définit la médecine sous forme
d'activité libérale.
120 Article R. 4127-19 CSP
53
L'actuel Président de la Confédération
des syndicats médicaux français, M. CHASSANG, définit la
médicine libérale au regard de ses différentes
caractéristiques.121 L'auteur évoque ainsi trois
caractéristiques principales attachées à la
médecine libérale ; il s'agit de la liberté de choix du
médecin par son patient (limitée par la notion de médecin
traitant), la liberté de prescription et la liberté
d'installation. L'auteur évoquera par la suite la fixation des
honoraires par le médecin, le secret professionnel (qui concerne aussi
la médecine hospitalière et toute forme de médecine et qui
est mis en oeuvre pour protéger le patient) et le contrôle des
médecins par eux-mêmes (limité par les caisses d'assurance
maladie). De ces précédentes considérations l'auteur
dégage enfin trois caractéristiques globales attachées
à la médecine libérale qui sont la liberté de
choix, la liberté d'entreprendre et l'indépendance
professionnelle. Ainsi, nous ne traiterons de la médecine en
hôpital, bien qu'elle puisse en partie s'exercer sous forme
d'activité libérale. Quelle forme prend alors la liberté
d'entreprendre lorsqu'elle est appliquée à la médecine
libérale ?
La liberté d'entreprendre des médecins
libéraux prend forme selon nous dans ce que le législateur nomme
la « liberté d'exercice et l'indépendance professionnelle et
morale des médecins » qui en est une mise en oeuvre ; elle est
assurée selon le législateur conformément aux principes
déontologiques fondamentaux (qui en sont ses composantes) qui sont le
libre choix du médecin par le patient, la liberté de prescription
du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires
par le malade et la liberté d'installation du
médecin122
Par ailleurs, le Conseil d'État, n'accorde au «
principe de l'indépendance professionnelle et morale des médecins
» qu'une valeur législative123, bien que M. GENEVOIS se
demande, sans toutefois trancher la question, si cette décision n'a pas
conféré une valeur de principe général du droit au
principe précité.124 A ce titre, le Tribunal des
conflits a consacré, en tant que principe général du droit
« l'indépendance professionnelle dont bénéficie le
médecin dans l'exercice de son art. »125 On peut
s'interroger sur la pertinence de voir coexister deux principes qui semblent
être identiques si ce n'est dans leur terminologie.
121 CHASSANG M., « Brèves réflexions sur
l'avenir de la médecine libérale », Revue de droit
sanitaire et social 2011 p. 7
122 Article L. 162-2 Code de la sécurité sociale
123 CE, 20 avril 1988 Conseil national de l'ordre des
Médecins, Lebon 146
124 GENEVOIS B., « Principes généraux du droit
», Répertoire de contentieux administratif, Dalloz
125 Tribunal des Conflits, 14 févr. 2000, Ratinet, req.
n° 02929, cité par GENEVOIS B., « Principes
généraux du droit », Répertoire de contentieux
administratif, Dalloz
54
Nonobstant ces précédentes
considérations, on peut donner une illustration de la mise en oeuvre de
ce principe. Ainsi, le principe de l'indépendance professionnelle des
médecins, interdit à un directeur d'établissement de
subordonner à une autorisation préalable d'un chef de service,
l'accomplissement d'actes médicaux par un médecin exerçant
au sein de son établissement.126
Il est temps d'étudier les limites opposables à la
liberté d'entreprendre des médecins libéraux.
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