B - La protection de la santé comme
justification d'interdictions d'exercice d'une profession attachées au
comportement des personnes
D'une part, il est interdit de cumuler certaines professions
qui sont considérées comme incompatibles pour des raisons de
moralité et des risques de voir certains professionnels
privilégier l'économie sur la santé (1).
D'autre part, dans leur vie ou, plus particulièrement, dans l'exercice
de leur profession, certaines personnes adoptent des comportements susceptibles
de conduire à des condamnations d'interdiction d`exercice d'une
profession (2).
1 - Les interdictions d'exercice cumulatif de
certaines professions du fait de leur incompatibilité et en
prévention du comportement des professionnels : la question de
l'indépendance des personnes et des professions
Selon M. GUIBAL, « ce système est justifié
par la volonté de protéger l'indépendance et
l'originalité des professions ou des situations que les textes
considèrent comme incompatibles avec les activités commerciales
ou industrielles. »116 L'interdiction de cumuler certaines
activités touche à la fois certains fonctionnaires (par exemple :
fonctionnaires publics, y compris les magistrats et les militaires) et certains
libéraux (par exemple : dentistes, sages-femmes et médecins,
architectes, pharmaciens d'officines, avocats). Ces interdictions peuvent
être justifiées par la protection de la santé.
Ainsi, à titre d'illustration, l'exploitation d'une
officine pharmaceutique est incompatible avec l'exercice d'une autre
profession, notamment avec celle de médecin, vétérinaire,
sage-femme, dentiste, même si l'intéressé est pourvu des
diplômes correspondants (article L. 5125-2). Il s'agit ici
d'éviter que la logique commerciale l'emporte sur la logique qualitative
de soin et, en somme, de la protection de la santé. On comprend qu'il
serait tentant pour un médecin de prescrire tel ou tel médicament
en fonction des objectifs économiques qu'il aurait en vertu de son
activité complémentaire d'exploitation d'une officine
pharmaceutique.
Enfin, toujours à titre d'illustration, il est interdit
de cumuler les activités d'exploitant d'officine pharmaceutique et de
distributeur en gros de médicament au regard du rapprochement des
articles L. 5125-1 et L. 5124-1 du CSP. Le Conseil d'Etat a
considéré que cette interdiction ne porte pas une atteinte
disproportionnée à la liberté d'entreprendre au
116 GUIBAL M., « Commerce et industrie »,
Répertoire de droit commercial, Dalloz, février 2003
(MAJ octobre 2010)
50
regard de l'exigence constitutionnelle de protection de la
santé publique117. Ainsi, le Conseil évoquera dans
cette décision que cette incompatibilité avait pour objectif
(entre autres) d'assurer « la prévention de conflits
d'intérêts susceptibles d'altérer la neutralité et
la qualité de la délivrance des médicaments au public.
»
Par ailleurs, des condamnations sont susceptibles de comporter
des interdictions d'exercice.
2 - Les interdictions d'exercice d'une profession
résultant de condamnations disciplinaires ou pénales des
professionnels
Ces condamnations peuvent émaner d'une juridiction
disciplinaire (a) ou être prises en applications de
dispositions pénales (b).
a - Les interdictions d'exercice prononcées
par une juridiction disciplinaire ordinale
Les chambres disciplinaires de l'ordre des médecins
(par exemple) peuvent prononcer des sanctions à l'encontre d'un
médecin ayant failli à ses obligations professionnelles.
L'article L. 4124-6 du CSP énonce l'éventail des peines
disciplinaires que la chambre disciplinaire de première instance peut
appliquer ; il pourra s'agir d'un avertissement, d'un blâme, d'une
interdiction temporaire avec ou sans sursis ou permanente d'exercer partielle
(interdiction par exemple d'une des différentes activités du
praticien) ou totale et enfin, de la radiation du tableau de l'ordre. Il faut
préciser que l'exercice de l'action disciplinaire ne fait pas obstacle
notamment à une poursuite du ministère public, à une
action civile en réparation d'un délit ou d'un
quasi-délit, à une action disciplinaire devant l'administration
dont dépend le praticien (article L. 4126-5 CSP). La protection de la
santé et la défense de l'honneur des professions médicales
est au coeur de ce dispositif dont nous donnerons une illustration de sa mise
en oeuvre. Nous ferons toutefois le choix de ne pas traiter des conditions
procédurales de mise en oeuvre de ce dispositif ainsi que du
contrôle opéré par le Conseil d'Etat des décisions
prises par les instances juridictionnelle ordinales.
Ainsi, à titre d'illustration, la Chambre disciplinaire
nationale de l'ordre des médecins a prononcé la radiation d'un
médecin pour avoir induite en erreur l'une de ses patientes quant
à la gravité de sa maladie (cancer) et de l'avoir, de ce fait,
détournée de soins appropriés et ce,
117 CE, 15 septembre 2010, décision n° 340570,
340571
51
en violation entre autres des dispositions de l'article R.
4127-32 du CSP qui dispose que « Dès lors qu'il a accepté de
répondre à une demande, le médecin s'engage à
assurer personnellement au patient des soins consciencieux,
dévoués et fondés sur les données acquises de la
science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers
compétents. »118 Comme nous le disions, cette
décision a donc pour fondement à la fois la protection de la
santé et la défense de l'honneur et de la réputation des
professions médicales.
b - Les interdictions d'exercice prononcées
par une juridiction en application de dispositions
pénales
On s'éloigne ici de la protection de la santé
qui ne sera que l'accessoire de préoccupations de moralité. Ainsi
comme le rappelle M. GUIBAL, « ce qui est en cause ici, c'est bien la
moralité des industriels et commerçants eux-mêmes, et non
les risques que les activités commerciales ou industrielles pourraient
faire courir à la moralité publique. »119 A titre
d'illustration, certaines condamnations pénales
(proxénétisme, escroquerie, etc.) conduisent à
l'interdiction d'accéder aux professions de débitant de tabac ou
de boissons alcoolisées (cf. Partie 2). Quelle est la place de la
protection de la santé dans ces hypothèses ? Par exemple, on peut
imaginer qu'une personne condamnée pour proxénétisme
pourrait présenter plus de risque qu'un citoyen lambda d'avoir ou
d'avoir eu des liens avec le trafic de drogue et serait ainsi susceptible
d'utiliser un débit de boisson comme moyen d'activités illicites
de ce type et ainsi participer à la commercialisation de choses
dangereuses pour la santé des personnes. Nous ne nous étendrons
pas sur ces interdictions du fait de leur principale justification morale, qui
nous éloigne de notre sujet.
Suite à cette analyse générale, nous
prendrons l'exemple de la médecine libérale pour montrer comment
la protection de la santé peut justifier des limitations dans l'exercice
de cette profession.
118 Chambre disciplinaire nationale de l'ordre des
médecins, 22 avril 2010, Mme Inès R contre Mme
Hélène O., sanction confirmée par le Conseil d'Etat dans
une décision n° 339496 du 30 mai 2011.
119 GUIBAL M., « Commerce et industrie »,
Répertoire de droit commercial, Dalloz, février 2003 (MAJ octobre
2010)
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