PREMIÈRE PARTIE LA PROTECTION DE LA
SANTÉ ET LES PERSONNES UNE LIMITATION FONDÉE SUR LA
QUALITÉ DES PERSONNES DANS LE CADRE DE LEUR PARTICIPATION AUX
ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
Dans le contexte des activités économiques des
personnes privées, la protection de la santé justifie de
nombreuses restrictions en touchant directement les personnes. Cette variable
« personnes » se matérialise à travers l'étude
de la qualité de ces dernières. Il pourra s'agir notamment de
leur nationalité, leur capacité, leurs diplômes, leur
casier judiciaire, leur qualité de professionnel de la santé ou
plus largement, leur qualité de personne humaine. Aussi, la
participation des personnes aux activités économiques sera ici
envisagée sous deux aspects : soit la personne initie ou exerce
l'activité économique, soit elle y participe en tant que
moyen.
Ainsi, nous verrons en premier lieu que la protection de la
santé exigera certaines qualités touchant directement les
personnes exerçant certaines professions ou souhaitant y accéder
(Chapitre 1er). En second lieu nous verrons que la
protection de la sante posera des restrictions dans cadre de la recherche du
fait de la qualité de personne humaine du sujet qui s'y prête
(Chapitre 2nd).
PREMIER CHAPITRE LA PROTECTION DE LA SANTÉ
COMME FONDEMENT DES LIMITES À L'EXERCICE D'UNE PROFESSION
: L'EXIGENCE DE QUALITÉS INHÉRENTES AUX PERSONNES
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Mme ARMAOS, en introduisant la question des professions et
activités réglementées, nous propose une typologie des
limitations d'accès ou d'exercice de certaines professions111
: - Interdictions : elles touchent certaines activités
réservées à la puissance publique et d'autres sont
contraires à l'ordre public, à la santé et à la
salubrité publique ou aux bonnes moeurs. Par ailleurs, des individus
sont exclus de l'exercice de certaines activités.
- Incompatibilités : des
activités sont incompatibles avec le commerce pour diverses raisons. -
Activités réglementés : l'exercice de
certaines professions ou activités dites réglementés
requièrent des autorisations administratives, des licences ou des
agréments et des diplômes.
Ces limitations peuvent être analysées sous
l'angle des personnes ou des moyens que ces dernières utilisent pour
exercer leurs activités économiques. Parmi ces moyens on trouve
les biens et leur commercialisation ; c'est l'objet de notre Partie 2. Nous
nous intéresserons donc dans cette Partie 1 aux limites qui sont
attachées à la qualité des personnes. Il pourra notamment
s'agir de leur statut juridique, de leurs compétences professionnelles
ou encore et plus largement de leurs comportements.
Il ne faut pas toutefois confondre les obligations pesant sur
la personne (inscription sur le registre du commerce et des
sociétés, tenue d'une comptabilité, déclaration
fiscale et paiement d'impôts, etc.) et les obligations inhérentes
à la qualité de la personne (nationalité, capacité,
détention d'un diplôme ou de compétences techniques) dont
nous allons traiter.
En outre, lorsque l'activité en cause prend la forme
d'une profession de santé, on peut présumer que les limitations
qui sont apportées à son accès ou à son exercice
sont justifiées par la protection de la santé.
Nous étudierons ainsi, sous le prisme de la protection
de la santé, les limites apportées à la liberté
d'entreprendre fondées sur les personnes dans un contexte de droit
interne (section 1), puis dans un contexte de droit de l'Union
européenne avec la liberté économique de circulation des
personnes (section 2).
111 ARMAOS A., « Professions et activités
réglementées », Répertoire de droit pénal
et de procédure pénale, Dalloz, mai 2004
Section 1. Les limitations fondées directement
sur les personnes dans le cadre des professions réglementées en
droit interne (accès et exercice)
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Au nom de la protection de la santé, l'accès ou
l'exercice de certaines professions (en somme la liberté d'entreprendre)
peuvent être limités par des considérations
inhérentes à la qualité des personnes. Nous analyserons
dans une première partie ces limitations d'un point de vue
général (I), puis nous concentrerons nos efforts
en donnant une illustration globale de ces limitations dans le cadre de la
profession de médecin exercée sous forme libérale
(II).
I - Les limitations fondées sur la qualité ou
le comportement des personnes (professionnels en général)
Certaines activités pouvant dans leur exercice porter
atteinte à la santé publique sont soit réservées
à certaines personnes en fonction de leurs statuts ou compétences
(A) soit interdites à certaines personnes à la
suite ou en prévention de leurs comportements (B).
A - La protection de la santé comme
justification de conditions d'accès à une profession
attachées au statut et aux compétences des personnes
Les limitations à la liberté d'entreprendre des
personnes peuvent se fonder sur leur statut juridique (1) et
sur leurs compétences (2). Il faut noter que la
nécessité d'acquérir certaines compétences, parce
qu'elle est substantiellement fondée sur le mérite des personnes,
est moins restrictive la question du statut juridique, qui dépend bien
moins de la volonté des personnes.
1 - Les conditions d'accès à une
profession attachées au statut juridique des personnes
Le statut juridique des personnes peut être
envisagé sous l'angle de leur nationalité, de leur
capacité ou encore de leur qualité de personne de droit
privée ou de droit public.
Nationalité. Des conditions de
nationalité sont parfois opposées aux personnes pour justifier
d'une interdiction d'accès, de création ou d'exercice d'une
profession médicale. Généralement, les ressortissants d'un
Etat membre de l'UE, d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace
économique européen sont autorisés à exercer les
professions médicales réglementées, sous condition de
détenir un titre de formation équivalent à ceux
délivrés en
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France. Il en va de même pour les ressortissants d'un
Etat ayant ratifié un traité de réciprocité avec la
France (voir en ce sens par exemple les articles L. 4111-1 et s. et L. 4221-1
et s. du CSP relatifs aux conditions d'accès aux professions de
médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme ou pharmacien). La protection
de la santé est en l'espèce assurée parce que ces
restrictions permettent de contrôler la qualité des praticiens
exerçant en France. En effet par exemple, dans certains Etats, les
exigences requises pour l'obtention d'un diplôme ouvrant accès
à l'exercice de professions médicales n'offrent pas toujours le
même gage de qualité que celles qui sont requises France.
En outre, des conditions de nationalité sont aussi
imposées concernant des professions autres que médicales comme
celles de débitant de tabac (article 5 du décret n° 2010-720
du 28 juin 2010) ou de débitant de boisson (art. L. 3332-3 CSP). Nous
reviendrons plus en détails sur ces professions dans notre Partie 2.
Capacité. Généralement,
le professionnel devra être majeur non protégé ou mineur
émancipé pour exercer. C'est le cas par exemple des
débitants de boissons (art. L. 3336-1 du CSP). Concernant les
professions médicales toutefois, la durée des formations est
telle que la question des mineurs ne se pose pas en pratique. A contrario, on
comprend bien qu'au regard du principe de protection de la santé, le
statut de majeur protégé puisse justifier des incapacités
d'exercice d'une profession médicale
Qualité de personne publique ou privée.
Certaines activités économiques faisant l'objet de
monopoles publics sont en principe interdites aux personnes de droit
privé. Ainsi la distinction opérée entre les personnes
publiques et les personnes privées, l'une associée à
l'intérêt général et l'autre aux
intérêts particularistes, permet de réserver certaines
activités économiques à l'une ou l'autre de ces
catégories de personne. Nous verrons ici que la qualité de
personne publique confère à cette dernière des droits
exclusifs de création ou d'exploitation d'activités
économiques. C'est ainsi que la qualité de la personne, publique
ou privée, peut conditionner l'accès ou l'exercice à des
activités économiques. La liberté d'entreprendre
n'appartenant qu'aux personnes privées, il nous faudra ainsi analyser
ces questions sous l'angle des activités réservées aux
personnes publiques. Nous prendrons ici comme exemple le monopole communal de
la création et la gestion de crématoriums.
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Autorisée depuis la fin du XIXe siècle, la
crémation connait depuis quelques années un succès en
constante augmentation. Ainsi, à titre d'illustration, si le nombre de
crémations était estimé à 2100 en 1975, il
était de 130 163 en 2006 et de 157 649 en 2010.112 Nous
sommes ainsi face à une activité lucrative qui pourrait
intéresser des entrepreneurs privés.
Toutefois, bien que la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993
relative à la législation dans le domaine funéraire ait
mis fin au monopole public du service extérieur des pompes
funèbres (transport des corps avant et après mise en
bière, organisation des obsèques, gestion et l'utilisation des
chambres funéraires, fourniture des corbillards et des voitures de
deuil, etc.), la création et la gestion de crématoriums sont
a contrario aujourd'hui une compétence exclusive des communes
et les établissements publics de coopération intercommunale
(article L2223-40 CGCT). Ainsi, cette activité est un monopole communal,
ce qui implique qu'une personne privée ne peut en principe la
créer ou l'exercer. Cependant, la qualité de monopole public
n'impose pas aux communes de gérer exclusivement les crématoriums
en régie. Elles peuvent ainsi par exemple confier par un contrat de
délégation de service public cette gestion à des personnes
privées.113
Il n'en demeure pas moins que la qualité de personne
privée de l'acteur économique restreint sa liberté
d'entreprendre une activité de gestion d'un crématorium, qui est
une activité économique. Ainsi, ladite gestion a
été qualifiée de service public industriel et commercial
par le ministère de l'Intérieur.114 De plus, le
succès des délégations de service public en la
matière, qui font peser le risque économique d'exploitation sur
le délégataire, confirme qu'il s'agit bien d'activités
économiques.
Globalement, qu'est-ce qui justifie ce monopole communal ?
Nous estimons qu'il existe trois raisons d'intérêt
général justifiant ce monopole. Premièrement,
l'encadrement juridique de la mort d'un individu est une question sensible qui
touche substantiellement à des questions de bonnes moeurs ou, plus
généralement, de moralité publique. On peut ainsi
comprendre que la personne publique cherche à masquer à travers
le statut monopolistique public de cette activité son aspect lucratif.
Deuxièmement, des considérations environnementales peuvent
justifier ce monopole, qui permet aux personnes publiques de contrôler le
nombre de
112 HEDIN B., « La gestion déléguée
des crématoriums », AJ Collectivités territoriales
2011 p. 448 ;
www.crémation-france-ffc.com,
statistiques relatives à la crémation.
113 « La gestion de ces crématoriums (...) est
à ce jour assumée à 30 % en régie, la gestion
externalisée, principalement les contrats de délégation de
service public, représentant 70 % des modes de gestion. », HEDIN
B., « La gestion déléguée des crématoriums
», AJ Collectivités territoriales 2011 p. 448
114 Circ. n° 97-00211 C du 12 déc. 1997
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crématoriums existant. En effet, la «
prolifération de crématoriums pourrait créer un risque
environnemental »115 (notamment au regard des pollutions
engendrées par ces activités) ; c'est pour cela que l'article
L2223-40 du CGCT soumet la création ou l'extension d'un
crématorium à une autorisation administrative préalable
qui ne peut être accordée qu'après une enquête
publique et un avis de la commission départementale compétente en
matière d'environnement, de risques sanitaires et technologiques.
Troisièmement, ce monopole peut être justifié par des
considérations d'hygiène publique, et donc de protection de la
santé, appuyées par les différentes normes sanitaires
encadrant la gestion des crématoriums. Ainsi, à la fois les
considérations environnementales et hygiéniques nous permettent
de considérer que ce monopole est en partie justifié par des
considérations de protection de la santé publique.
Une fois les précédentes conditions remplies, la
personne pourra être amenée à devoir justifier de certaines
compétences.
2 - Les conditions d'accès à une
profession attachées aux compétences des
personnes
Principalement, certaines professions, pour être
exercées, requièrent la détention d'un titre de formation,
qui doit parfois être suivi de l'inscription à un ordre
professionnel.
Titre de formation. Les personnes souhaitant
exercer les professions et ainsi obtenir les titre de conseiller en
génétique, de médecin, de chirurgien-dentiste, de
sage-femme, de pharmacien, de préparateur en pharmacie, d'infirmier
d'audioprothésiste, d'opticien-lunetier ou de diététicien
(liste non-exhaustive) doivent être titulaires d'un diplôme,
certificat ou autre titre de formation (brevet,...) prévus par les
textes (notamment, CSP, quatrième partie : « professions de
santé », art. L. 4011-1 et s.).
Exercer ces professions sans être titulaire des titres
requis constitue un exercice illégal de la profession. A titre
d'illustration, l'exercice illégal de la profession de médecin
est puni pénalement de 30 000 euros d'amende et de deux ans
d'emprisonnement. Des peines complémentaires peuvent être
prononcées dont la plus sévère est l'interdiction
définitive ou pour une durée de cinq ans au plus d'exercer une ou
plusieurs professions médicales (art. L. 4161-5 CSP).
115 LAVROFF D. M., « Domaine de la commune (Biens
affectés à l'usage du public) », Répertoire de
droit immobilier, Dalloz, mars 2010
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De surcroit, le fait de faire usage sans droit de l'un des
titres précités, même en l'absence d'exercice effectif, est
pénalement sanctionné au regard de l'infraction d'usurpation de
titres (notamment, articles L. 4162-1 CSP et 433-17 Code pénal).
Inscription à un ordre professionnel.
Elle est obligatoire pour pourvoir exercer les professions (notamment)
de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme ou de pharmacien (art. L.
4111-1 et L. 4221-1 CSP). Le fait d'exercer sans avoir rempli obligation
constitue un exercice illégal de la profession.
Par ailleurs, d'autres conditions d'accès sont
fondées, non pas sur des compétences mais sur des conditions
physiques. Ainsi, pour certaines professions comme celle de débitant de
tabac, le professionnel doit justifier de son aptitude physique par un
certificat médical pour pourvoir exercer (article 5 du décret
n° 2010-720 du 28 juin 2010).
Une fois les conditions d'accès remplies, d'autres
limitations à la liberté d'entreprendre pourront être
invoquées. Elles se fondent sur le comportement avéré ou
prévisible d'une personne.
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