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La protection de la santé comme limite à  la liberté d'entreprendre

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par Thomas BERTRAND
Université Montesquieu Bordeaux 4 - Master 2 droit de la coopération économique et des affaires internationales 2012
  

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PREMIÈRE PARTIE
LA PROTECTION DE LA SANTÉ ET LES PERSONNES
UNE LIMITATION FONDÉE SUR LA QUALITÉ DES PERSONNES DANS LE
CADRE DE LEUR PARTICIPATION AUX ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES

Dans le contexte des activités économiques des personnes privées, la protection de la santé justifie de nombreuses restrictions en touchant directement les personnes. Cette variable « personnes » se matérialise à travers l'étude de la qualité de ces dernières. Il pourra s'agir notamment de leur nationalité, leur capacité, leurs diplômes, leur casier judiciaire, leur qualité de professionnel de la santé ou plus largement, leur qualité de personne humaine. Aussi, la participation des personnes aux activités économiques sera ici envisagée sous deux aspects : soit la personne initie ou exerce l'activité économique, soit elle y participe en tant que moyen.

Ainsi, nous verrons en premier lieu que la protection de la santé exigera certaines qualités touchant directement les personnes exerçant certaines professions ou souhaitant y accéder (Chapitre 1er). En second lieu nous verrons que la protection de la sante posera des restrictions dans cadre de la recherche du fait de la qualité de personne humaine du sujet qui s'y prête (Chapitre 2nd).

PREMIER CHAPITRE
LA PROTECTION DE LA SANTÉ COMME FONDEMENT DES LIMITES À
L'EXERCICE D'UNE PROFESSION :
L'EXIGENCE DE QUALITÉS INHÉRENTES AUX PERSONNES

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Mme ARMAOS, en introduisant la question des professions et activités réglementées, nous propose une typologie des limitations d'accès ou d'exercice de certaines professions111 : - Interdictions : elles touchent certaines activités réservées à la puissance publique et d'autres sont contraires à l'ordre public, à la santé et à la salubrité publique ou aux bonnes moeurs. Par ailleurs, des individus sont exclus de l'exercice de certaines activités.

- Incompatibilités : des activités sont incompatibles avec le commerce pour diverses raisons. - Activités réglementés : l'exercice de certaines professions ou activités dites réglementés requièrent des autorisations administratives, des licences ou des agréments et des diplômes.

Ces limitations peuvent être analysées sous l'angle des personnes ou des moyens que ces dernières utilisent pour exercer leurs activités économiques. Parmi ces moyens on trouve les biens et leur commercialisation ; c'est l'objet de notre Partie 2. Nous nous intéresserons donc dans cette Partie 1 aux limites qui sont attachées à la qualité des personnes. Il pourra notamment s'agir de leur statut juridique, de leurs compétences professionnelles ou encore et plus largement de leurs comportements.

Il ne faut pas toutefois confondre les obligations pesant sur la personne (inscription sur le registre du commerce et des sociétés, tenue d'une comptabilité, déclaration fiscale et paiement d'impôts, etc.) et les obligations inhérentes à la qualité de la personne (nationalité, capacité, détention d'un diplôme ou de compétences techniques) dont nous allons traiter.

En outre, lorsque l'activité en cause prend la forme d'une profession de santé, on peut présumer que les limitations qui sont apportées à son accès ou à son exercice sont justifiées par la protection de la santé.

Nous étudierons ainsi, sous le prisme de la protection de la santé, les limites apportées à la liberté d'entreprendre fondées sur les personnes dans un contexte de droit interne (section 1), puis dans un contexte de droit de l'Union européenne avec la liberté économique de circulation des personnes (section 2).

111 ARMAOS A., « Professions et activités réglementées », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, mai 2004

Section 1. Les limitations fondées directement sur les personnes dans le cadre des professions réglementées en droit interne (accès et exercice)

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Au nom de la protection de la santé, l'accès ou l'exercice de certaines professions (en somme la liberté d'entreprendre) peuvent être limités par des considérations inhérentes à la qualité des personnes. Nous analyserons dans une première partie ces limitations d'un point de vue général (I), puis nous concentrerons nos efforts en donnant une illustration globale de ces limitations dans le cadre de la profession de médecin exercée sous forme libérale (II).

I - Les limitations fondées sur la qualité ou le comportement des personnes (professionnels en général)

Certaines activités pouvant dans leur exercice porter atteinte à la santé publique sont soit réservées à certaines personnes en fonction de leurs statuts ou compétences (A) soit interdites à certaines personnes à la suite ou en prévention de leurs comportements (B).

A - La protection de la santé comme justification de conditions d'accès à une profession attachées au statut et aux compétences des personnes

Les limitations à la liberté d'entreprendre des personnes peuvent se fonder sur leur statut juridique (1) et sur leurs compétences (2). Il faut noter que la nécessité d'acquérir certaines compétences, parce qu'elle est substantiellement fondée sur le mérite des personnes, est moins restrictive la question du statut juridique, qui dépend bien moins de la volonté des personnes.

1 - Les conditions d'accès à une profession attachées au statut juridique des personnes

Le statut juridique des personnes peut être envisagé sous l'angle de leur nationalité, de leur capacité ou encore de leur qualité de personne de droit privée ou de droit public.

Nationalité. Des conditions de nationalité sont parfois opposées aux personnes pour justifier d'une interdiction d'accès, de création ou d'exercice d'une profession médicale. Généralement, les ressortissants d'un Etat membre de l'UE, d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen sont autorisés à exercer les professions médicales réglementées, sous condition de détenir un titre de formation équivalent à ceux délivrés en

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France. Il en va de même pour les ressortissants d'un Etat ayant ratifié un traité de réciprocité avec la France (voir en ce sens par exemple les articles L. 4111-1 et s. et L. 4221-1 et s. du CSP relatifs aux conditions d'accès aux professions de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme ou pharmacien). La protection de la santé est en l'espèce assurée parce que ces restrictions permettent de contrôler la qualité des praticiens exerçant en France. En effet par exemple, dans certains Etats, les exigences requises pour l'obtention d'un diplôme ouvrant accès à l'exercice de professions médicales n'offrent pas toujours le même gage de qualité que celles qui sont requises France.

En outre, des conditions de nationalité sont aussi imposées concernant des professions autres que médicales comme celles de débitant de tabac (article 5 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010) ou de débitant de boisson (art. L. 3332-3 CSP). Nous reviendrons plus en détails sur ces professions dans notre Partie 2.

Capacité. Généralement, le professionnel devra être majeur non protégé ou mineur émancipé pour exercer. C'est le cas par exemple des débitants de boissons (art. L. 3336-1 du CSP). Concernant les professions médicales toutefois, la durée des formations est telle que la question des mineurs ne se pose pas en pratique. A contrario, on comprend bien qu'au regard du principe de protection de la santé, le statut de majeur protégé puisse justifier des incapacités d'exercice d'une profession médicale

Qualité de personne publique ou privée. Certaines activités économiques faisant l'objet de monopoles publics sont en principe interdites aux personnes de droit privé. Ainsi la distinction opérée entre les personnes publiques et les personnes privées, l'une associée à l'intérêt général et l'autre aux intérêts particularistes, permet de réserver certaines activités économiques à l'une ou l'autre de ces catégories de personne. Nous verrons ici que la qualité de personne publique confère à cette dernière des droits exclusifs de création ou d'exploitation d'activités économiques. C'est ainsi que la qualité de la personne, publique ou privée, peut conditionner l'accès ou l'exercice à des activités économiques. La liberté d'entreprendre n'appartenant qu'aux personnes privées, il nous faudra ainsi analyser ces questions sous l'angle des activités réservées aux personnes publiques. Nous prendrons ici comme exemple le monopole communal de la création et la gestion de crématoriums.

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Autorisée depuis la fin du XIXe siècle, la crémation connait depuis quelques années un succès en constante augmentation. Ainsi, à titre d'illustration, si le nombre de crémations était estimé à 2100 en 1975, il était de 130 163 en 2006 et de 157 649 en 2010.112 Nous sommes ainsi face à une activité lucrative qui pourrait intéresser des entrepreneurs privés.

Toutefois, bien que la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 relative à la législation dans le domaine funéraire ait mis fin au monopole public du service extérieur des pompes funèbres (transport des corps avant et après mise en bière, organisation des obsèques, gestion et l'utilisation des chambres funéraires, fourniture des corbillards et des voitures de deuil, etc.), la création et la gestion de crématoriums sont a contrario aujourd'hui une compétence exclusive des communes et les établissements publics de coopération intercommunale (article L2223-40 CGCT). Ainsi, cette activité est un monopole communal, ce qui implique qu'une personne privée ne peut en principe la créer ou l'exercer. Cependant, la qualité de monopole public n'impose pas aux communes de gérer exclusivement les crématoriums en régie. Elles peuvent ainsi par exemple confier par un contrat de délégation de service public cette gestion à des personnes privées.113

Il n'en demeure pas moins que la qualité de personne privée de l'acteur économique restreint sa liberté d'entreprendre une activité de gestion d'un crématorium, qui est une activité économique. Ainsi, ladite gestion a été qualifiée de service public industriel et commercial par le ministère de l'Intérieur.114 De plus, le succès des délégations de service public en la matière, qui font peser le risque économique d'exploitation sur le délégataire, confirme qu'il s'agit bien d'activités économiques.

Globalement, qu'est-ce qui justifie ce monopole communal ? Nous estimons qu'il existe trois raisons d'intérêt général justifiant ce monopole. Premièrement, l'encadrement juridique de la mort d'un individu est une question sensible qui touche substantiellement à des questions de bonnes moeurs ou, plus généralement, de moralité publique. On peut ainsi comprendre que la personne publique cherche à masquer à travers le statut monopolistique public de cette activité son aspect lucratif. Deuxièmement, des considérations environnementales peuvent justifier ce monopole, qui permet aux personnes publiques de contrôler le nombre de

112 HEDIN B., « La gestion déléguée des crématoriums », AJ Collectivités territoriales 2011 p. 448 ; www.crémation-france-ffc.com, statistiques relatives à la crémation.

113 « La gestion de ces crématoriums (...) est à ce jour assumée à 30 % en régie, la gestion externalisée, principalement les contrats de délégation de service public, représentant 70 % des modes de gestion. », HEDIN B., « La gestion déléguée des crématoriums », AJ Collectivités territoriales 2011 p. 448

114 Circ. n° 97-00211 C du 12 déc. 1997

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crématoriums existant. En effet, la « prolifération de crématoriums pourrait créer un risque environnemental »115 (notamment au regard des pollutions engendrées par ces activités) ; c'est pour cela que l'article L2223-40 du CGCT soumet la création ou l'extension d'un crématorium à une autorisation administrative préalable qui ne peut être accordée qu'après une enquête publique et un avis de la commission départementale compétente en matière d'environnement, de risques sanitaires et technologiques. Troisièmement, ce monopole peut être justifié par des considérations d'hygiène publique, et donc de protection de la santé, appuyées par les différentes normes sanitaires encadrant la gestion des crématoriums. Ainsi, à la fois les considérations environnementales et hygiéniques nous permettent de considérer que ce monopole est en partie justifié par des considérations de protection de la santé publique.

Une fois les précédentes conditions remplies, la personne pourra être amenée à devoir justifier de certaines compétences.

2 - Les conditions d'accès à une profession attachées aux compétences des personnes

Principalement, certaines professions, pour être exercées, requièrent la détention d'un titre de formation, qui doit parfois être suivi de l'inscription à un ordre professionnel.

Titre de formation. Les personnes souhaitant exercer les professions et ainsi obtenir les titre de conseiller en génétique, de médecin, de chirurgien-dentiste, de sage-femme, de pharmacien, de préparateur en pharmacie, d'infirmier d'audioprothésiste, d'opticien-lunetier ou de diététicien (liste non-exhaustive) doivent être titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre de formation (brevet,...) prévus par les textes (notamment, CSP, quatrième partie : « professions de santé », art. L. 4011-1 et s.).

Exercer ces professions sans être titulaire des titres requis constitue un exercice illégal de la profession. A titre d'illustration, l'exercice illégal de la profession de médecin est puni pénalement de 30 000 euros d'amende et de deux ans d'emprisonnement. Des peines complémentaires peuvent être prononcées dont la plus sévère est l'interdiction définitive ou pour une durée de cinq ans au plus d'exercer une ou plusieurs professions médicales (art. L. 4161-5 CSP).

115 LAVROFF D. M., « Domaine de la commune (Biens affectés à l'usage du public) », Répertoire de droit immobilier, Dalloz, mars 2010

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De surcroit, le fait de faire usage sans droit de l'un des titres précités, même en l'absence d'exercice effectif, est pénalement sanctionné au regard de l'infraction d'usurpation de titres (notamment, articles L. 4162-1 CSP et 433-17 Code pénal).

Inscription à un ordre professionnel. Elle est obligatoire pour pourvoir exercer les professions (notamment) de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme ou de pharmacien (art. L. 4111-1 et L. 4221-1 CSP). Le fait d'exercer sans avoir rempli obligation constitue un exercice illégal de la profession.

Par ailleurs, d'autres conditions d'accès sont fondées, non pas sur des compétences mais sur des conditions physiques. Ainsi, pour certaines professions comme celle de débitant de tabac, le professionnel doit justifier de son aptitude physique par un certificat médical pour pourvoir exercer (article 5 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010).

Une fois les conditions d'accès remplies, d'autres limitations à la liberté d'entreprendre pourront être invoquées. Elles se fondent sur le comportement avéré ou prévisible d'une personne.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon