B - La protection de la santé face à la
libre circulation des personnes
Synthétiquement, la protection de la santé
pourra constituer un motif de restriction des libertés de circulation
des travailleurs, d'établissement ou encore de prestation de services et
plus généralement, limiter le libre exercice d'une
activité économique.
De même, le libre séjour peut connaitre des
limitations justifiées pour des raisons d'ordre public, de
sécurité publique et de santé publique. Par exemple, les
maladies potentiellement épidémiques sont susceptibles de
justifier une interdiction d`entrée sur le territoire d'un Etat membre
ou un éloignement ou encore, sous conditions, la soumission du
bénéficiaire du droit de séjour à un examen
médical gratuit.
Maintenant que nous avons défini et
contextualisé les principales notions attachées à notre
sujet, il est temps de les confronter et de dégager les
problématiques juridiques pouvant en découler.
109 CJCE, 5 mai 1998, Royaume-Uni c/ Commission, aff. C-180/96,
Rec. I. 2265
110 DE GROVE-VALDEYRON N., op. cit. note 107
La protection de la santé comme limite à
la liberté d'entreprendre
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L'intérêt de notre sujet se trouve dans la
protection des droits d'autrui comme justification de limites apportées
à une liberté constitutionnelle. En effet, c'est en remontant
à la source du principe de la liberté d'entreprendre (art. 4 DDHC
de 1789) que l'on comprend la justification de ses limites. On ne peut
comprendre la liberté d'entreprendre sans entrevoir ses limites et parmi
celles-ci, la protection de la santé occupe une place
non-négligeable.
Notre démonstration n'a pas pour ambition de traiter
exhaustivement des aspects liant la liberté d'entreprendre et la
protection de la santé ; il faudrait un ouvrage entier pour approcher
cette exhaustivité. Il s'agira concrètement de dresser un paysage
global des domaines dans lesquels la protection de la santé justifie des
limites la liberté d'entreprendre et comprendre quelle est la logique
juridique qui amène à ces situations.
Notre longue introduction était nécessaire pour
cerner la liberté d'entreprendre, principe non défini
juridiquement, et la protection de la santé. Cela nous a permis de
donner un cadre global à l'analyse qui va suivre quant à la
confrontation de ces deux principes.
Dans un contexte mondial empreint de libéralisme
économique et de libertés individuelles, il est essentiel de
fixer des limites à la liberté d'entreprendre. C'est d'ailleurs
« l'ultra-libéralisme », à savoir la
liberté sans limite et indifférente des droits d'autrui, qui a
tendance à causer le plus de tort au libéralisme. Ainsi, en
limitant au nom de la protection de la santé la liberté
d'entreprendre, on la moralise, on la légitime et ainsi on la renforce.
Il ne s'agit pas de remettre en cause cette liberté dans son principe
mais, pour la rendre effective, de la concilier avec les droits d'autrui et
l'intérêt général. Par ailleurs, la liberté
d'entreprendre des uns peu restreindre la liberté d'entreprendre des
autres. C'est ainsi que le droit de la concurrence vient encadrer les
activités économiques afin de trouver un équilibre entre
les libertés de chacun. Ainsi la puissance publique vient fixer un cadre
juridique à la liberté d'entreprendre permettant de passer d'une
liberté formelle à une liberté réelle, pour tous
les individus.
En tant que limite à la liberté d'entreprendre,
la protection de la santé agit quasi systématiquement selon une
logique préventive : prévenir le dommage, prévenir le
risque. Ainsi, soumettre une profession médicale à l'obtention
d'un diplôme, encadrer la recherche médicale sur les personnes,
requérir une autorisation de mise sur le marché d'un
médicament, interdire le commerce de stupéfiants, contrôler
la qualité des aliments, limiter la publicité de
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l'alcool, etc., suit une logique préventive. Il n'est
pas évident de trouver des limites à la liberté
d'entreprendre fondées uniquement sur l'aspect curatif de la protection
de la santé. La logique globale c'est donc la prévention.
Toutefois, la protection de la santé n'agit-elle pas
sur des variables différentes dans les limitations qu'elle impose aux
activités économiques ? Si on prend comme exemple la
nécessité d'obtenir un diplôme pour exercer la profession
de médecin, c'est bien la qualité de la personne qui est en jeu.
De même, le fait pour un Etat membre de réserver à des
ophtalmologues (qui sont des médecins contrairement aux opticiens) le
droit d'effectuer sur leurs patients certains examens afin de garantir un
niveau élevé de protection de la santé et ainsi limiter la
liberté d'établissement des opticiens étrangers qui, dans
leurs Etats sont autorisés à pratiquer lesdits examens se fonde
encore une fois sur la qualité de la personne qui exerce
l'activité de santé. Ensuite, concernant l'encadrement recherche
médicale sur les personnes, cette fois-ci, c'est le sujet
impliqué dans la recherche qui est la variable sur laquelle la
protection de la santé agit.
Par ailleurs, qu'est-ce qui justifie une différence de
traitement dans l'encadrement de la mise sur le marché d'un
médicament et d'un cosmétique ? Les contraintes ne sont en effet
pas les mêmes entre une autorisation de mise sur le marché pour
les premiers et une simple déclaration préalable pour les
seconds. N'est-ce pas la nature du bien ou encore sa destination qui vont
conditionner son régime de commercialisation ?
Mais alors, si la protection de la santé agit à
la fois sur la variable bien et à la fois sur la variable personne, les
conséquences des limitations de la liberté d'entreprendre
sont-elles fonction des variables utilisées ? On a vu que la
liberté d'entreprendre peut être limitée dans tous les
aspects de la vie de l'activité économique, de la création
à la fin, en passant par l'exercice. Si on regarde la variable personne,
si la personne ne satisfait pas aux exigences imposées par la protection
de la santé, l'activité ne peut pas être exercée :
pas de médecin sans diplôme, pas de déplacement dans un
autre Etat membre sans équivalence professionnelle, etc. Si la personne,
sujet dans la recherche n'est pas disponible, la recherche ne peut pas avoir
lieu. Sans les personnes, l'ensemble de l'activité est remis en cause.
Elle ne peut avoir lieu : pas de création, pas d'accès et donc
pas d'exercice de l'activité.
Concernant la variable bien, si le bien ne satisfait pas aux
exigences imposées par la protection de la santé, sa
commercialisation n'est pas possible. Dans ce cas ce n'est pas l'ensemble de
l'activité qui est mise en cause mais une de ses mises en oeuvre (la
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commercialisation) et dans cette mise en oeuvre, un bien. La
nature du bien (produit dangereux, produit alimentaire, médicament,
etc.) conditionnera le régime de commercialisation applicable
(interdiction, déclaration préalable, contrôles de
sécurité, autorisation de mise sur le marché, etc.).
L'objectif est la sécurité sanitaire et donc la protection de la
santé publique. Ces différents régimes de
commercialisation conditionnent le degré de liberté
d'entreprendre des acteurs économiques via les contraintes qu'il leur
impose.
Dans le cas des personnes, l'activité n'existe pas
encore. Ce sont les personnes qui créent les activités.
Même si une profession préexiste à la volonté d'un
individu d'y accéder (exemple : pharmacien), l'absence de qualification
ne permet pas d'y accéder et donc de créer l'activité
économique découlant de l'accès à cette
profession.
Dans le cas des biens, l'activité existe
déjà. C'est dans la mise en oeuvre, dans l'exercice de
l'activité que les limites vont se poser. L'activité globale
n'est pas remise en cause.
Plus généralement, que ça soit pour les
personnes ou les biens, c'est la nature de l'activité en cause, sa
complexité, les risque qu'elle peut présenter pour la
santé des personnes qui impose que des diplômes, des
qualifications, des autorisations de mise sur le marché, etc. soient
requis. Pour les personnes, on devra combiner la nature de l'activité et
la qualité de ces premières et dans cette qualité, parfois
même leur comportement. Par exemple, même avec les qualifications
requises, une personne devra obtenir une autorisation pour créer un
laboratoire d'analyse de biologie médicale (article L. 6211-2 du Code de
la santé publique).
Pour les biens en revanche, il semble que la nature des biens
transcende la nature de l'activité. En effet, par exemple, l'article L.
5432-1 du Code de la santé publique interdit la fabrication et la vente
de jouets dangereux. C'est bien plus la nature du bien que la nature de
l'activité qui est en cause. Il ne faudra pas oublier de surcroit de se
demander quelle est la destination du bien et qui en sont les destinataires.
Ainsi par exemple, les médicaments ont pour destination le soin et pour
destinataires soit les personnes humaines, soit les animaux.
Enfin, les personnes et les biens sont liés, il y a une
continuité. Par exemple, un médicament légalement
commercialisé pourra être prescrit par un médecin qui, dans
le cadre de la pharmacovigilance, devra signaler tout effet secondaire
observé sur un médicament, pouvant ainsi remettre en cause sa
commercialisation. Globalement, la création de l'activité
économique précède le commerce de biens. C'est pour cela
qu'il sera méthodologiquement plus pertinent de traiter des personnes
avant de traiter des biens.
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Ainsi suivant ces précédentes
considérations, nous nous demanderons quelles sont les variables sur
lesquelles la protection de la santé agit principalement pour limiter la
liberté d'entreprendre ? Par quels procédés la protection
de la santé vient limiter la liberté d'entreprendre ? Les
conséquences des limitations de la liberté d'entreprendre
sont-elles fonction des variables utilisées ? Plus
généralement, comment, au nom de la protection de la
santé, la liberté d'entreprendre telle que nous l'avons
défini, peut-elle être limitée ?
Nous verrons ainsi que la protection de la santé est la
source de limites à la liberté d'entreprendre en étudiant
dans une première partie les limites fondées sur la
qualité des personnes dans le cadre des activités
économiques et dans une seconde partie, les limites fondées sur
la nature et la destination des biens dans le cadre de leur
commercialisation.
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