B. LE CADRE JURIDIQUE ET ECONOMIQUE
Au plan juridique, la gestion de la dette publique de l'Etat
met en parallèle d'une part ce dernier, bénéficiant de la
prérogative de puissance publique et débiteur, et d'autres part
ses créanciers, redevables fiscaux. Ce qui confère à la
dette de l'Etat un régime juridique différent de celui de la
dette d'une société anonyme (SA)20 ou de celle d'un
particulier.
En effet, l'Etat ou la « puissance publique
» n'est pas un débiteur ordinaire. Les
rentes21sur l'Etat sont imprescriptives et
insaisissables22. Dès lors, le régime juridique des
dettes de l'Etat sera exorbitant du droit commun. Ainsi donc, la mission
d'intérêt général de l'Etat et surtout la
continuité du service public qu'il assure vont plaider pour une absence
de voie d'exécution23 à son encontre et pour les
déchéances quadriennales24 de toute somme dont
l'administration serait redevable envers un particulier25.
18 Loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant
création et organisation du marché financier.
19 Règlement N°06/03-CEMAC-UMAC du 12 novembre 2003
portant création du Marché Financier de l'Afrique Centrale.
20 NYAMA (JM), cours polycopié de « droit des
sociétés » LIII, FSJP, UY II SOA, 2011, P 127
21 BIDIAS (B), Finances publiques du Cameroun,
2e éd. GB3, Yaoundé, 1982, P 492. GUILLIEN (R),
VINCENT (J) et les autres, Lexique des termes juridiques, op.cit, P.
621.
22 MUZELLEC (R), Finances publiques, Sirey,
14e éd. Paris, 2006, P425
23 GUILLIEN (R), VINCENT (J) et les autres, Lexique des
termes juridiques, op.cit, PP 743-744
24 Ibid. P. 558
25 LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises,
op.cit, PP. 270-274
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intérieure du Cameroun : le cas de la titrisation
Si en droit privé, le créancier peut par voie
d'exécution forcée26 rentrer dans ses droits en
amputant les deniers et les biens de son débiteur qui refuse d'honorer
ses engagements, tel n'est pas le cas du créancier27 d'une
personne publique. Car il serait inconcevable que la force censée
protéger les intérêts de l'Etat se retourne contre lui.
Cependant il en va autrement des personnes publiques infra étatiques
(CTD, Etablissements Publics Administratifs et Entreprises publiques et
parapubliques) dont l'autorité de tutelle28 dispose d'un
pouvoir de substitution pour régler ce genre de problème. Mais
quand il s'agit de l'Etat, le créancier est désarmé. Car
la compensation et l'astreinte comminatoire29 sont impossibles.
L'impossibilité de la compensation découle selon l'auteur de
l'absence de liaison entre la dette et la créance.
La déchéance quadriennale qui est une
prérogative reconnue aux personnes publiques, leur permet de ne pas
payer ce qu'elles doivent, passé un délai. Selon ce principe, le
créancier de l'Etat dispose de quatre ans à partir du
début de l'année budgétaire au cours de laquelle la dette
est née, pour faire valoir ses droits. Il trouve sa justification dans
le fait qu'il a pour but d'imposer un délai rapide d'apurement complet
des comptes publics et de rappeler au créancier de l'Etat qu'une
créance sur l'Etat n'est pas un dépôt à une
« caisse d'épargne
»30.
L'application de ce principe au cas camerounais connaît
des fortunes diverses. « Car les graves déficits
apparus dans l'exécution des opérations financières de
l'Etat à compter de l'exercice budgétaire 1985/86, se sont
traduits par une crise des paiements dont les entreprises et les banques ont
principalement souffert »31. Celle-ci a
entraîné par la même occasion, une crise économique
et une crise de confiance, entre l'Etat et ses créanciers. Ce qui
26 GUILLIEN (R), VINCENT (J) et les autres, Lexique des
termes juridiques, op.cit, P. 743
27 Ibid. P. 215
28 Art. 55 (3) de la loi constitutionnelle n° 2008/001 du
14 avril 2008, portant modification et complétant certaines dispositions
de la loi n°96/66 du 18 janvier 1996 portant révision de la
Constitution du 2 juin 1972.
29 L'"astreinte" est une somme d'argent qu'une personne
débitrice d'une obligation de faire ou de ne pas faire, doit payer au
créancier de la prestation jusqu'à ce qu'elle se soit
exécutée. Le montant de la contrainte est fixée
généralement pour chaque jour de retard. L'obligation accomplie,
si le juge a décidé que la contrainte aurait un caractère
définitif, le créancier récupère le montant
accumulé de la contrainte ; Si, en revanche, le juge a
décidé qu'elle serait seulement comminatoire, la contrainte ne
présente alors qu'un caractère provisoire, et, dans ce cas, le
créancier doit faire liquider par le juge le montant définitif de
sa créance.
GUILLIEN (R), VINCENT (J) et les autres, Lexique des termes
juridiques, op.cit, PP. 67-68
30 LEKENE DONFACK, Finances publiques camerounaises,
op.cit, P. 274.
31 Rapport non publié du secrétariat d'Etat du
MINFI sur la stratégie de traitement de la dette intérieure
du Cameroun, op.cit., P. 06.
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Les mécanismes de gestion de la dette publique
intérieure du Cameroun : le cas de la titrisation
a davantage rendu difficile le processus d'apurement du
passif, de l'Etat. C'est en cela que la titrisation consacrée par le
décret n° 94/611/PM du 30 décembre portant
réglementation de l'émission et de la gestion des effets publics
négociables, trouve sa justification dans le contexte camerounais. En
effet, elle a été retenue, par les autorités publiques
comme moyen privilégié de traitement des arriérés
intérieurs32 du pays à côté d'autres
mécanismes. Elles ont donc proposé aux créanciers de
l'Etat l'échange des créances que détenaient les
opérateurs économiques sur l'Etat ou garanties par lui contre des
titres33 négociables sur les marchés monétaires
et financiers. En cela, la titrisation est assimilable à
l'émission d'un emprunt public.
Or en droit camerounais, l'émission d'un emprunt public
est assujettie à une autorisation légale. La loi en la
matière est une loi d'habilitation qui fixe également les
modalités de remboursement du capital et des intérêts qui
en résultent34. Le régime financier de l'Etat du
Cameroun dispose à cet effet que : « ...la loi de
finances autorise l'Etat à prendre en charge les dettes des tiers, dans
la limite des plafonds qu'elle détermine, à constituer tout autre
engagement correspondant à une reconnaissance unilatérale de la
dette, et fixe le régime de cette prise en charge ou de cet engagement
»35. La loi de finances36 de chaque
année, accorde une place de choix au règlement de la dette
publique. Jusqu'en 2007, le Cameroun ne connaissait pas le principe de la
limitation du plafond de la dette publique37.
32 CAA, Marché des effets publics
négociables, revue de la procédure des transactions et
élaboration des procédures d'utilisation des titres,
octobres 1999, P. 18
33 Le lexique des termes juridiques appréhende la
notion de titre de plusieurs manières. Dans un premier sens, le titre
est un acte juridique producteur, d'effets juridiques. En droit commercial, le
titre est une valeur mobilière lorsqu'il est au porteur, il ne mentionne
pas le nom de son titulaire, mais porte seulement un numéro d'ordre.
Lorsqu'il est nominatif, le nom de son titulaire y est mentionné et sa
négociabilité s'effectue par la formalité dite du
transfert sur les registres de la société. Le titre participatif
quant à lui est un titre négociable à revenu variable,
susceptible d'être émis par les sociétés par actions
du secteur public et les sociétés anonymes
coopératives.
34 BIDIAS (B), Finances publiques du Cameroun, op.cit,
P. 492.
35 Art. 18 (3)6 de la loi n°2007/006 portant régime
financier de l'Etat.
36 Projet de loi n° 897/PSL/AN portant loi de
finances de la république du Cameroun pour l'exercice 2012 dispose que:
« le service de la dette publique est évalué à 287
milliards contre 370 milliards en 2011, en diminution de 83 milliards »
37 BIDIAS (B), Finances publiques du Cameroun, op.cit,
P. 683
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Les mécanismes de gestion de la dette publique
intérieure du Cameroun : le cas de la titrisation
Au plan économique, le Cameroun, comme la plupart des
pays en voie de développement a une histoire économique assez
révélatrice et fondatrice du visage actuel de ses finances
publiques. Il peut s'analyser sur deux plans : national et international.
Sur le plan national, à la fin des années 1985,
la situation économique paraissait plutôt favorable, mais deux ans
plus tard, tout s'est effondré38. Le second choc
pétrolier des années 1980, la chute des cours des principaux
produits de rente et la détérioration des termes de
l'échange ont plongé le Cameroun dans une période de
récession de laquelle le Cameroun a eu du mal à
sortir39 jusqu'à l'atteinte du point d'achèvement en
faveur des Pays Pauvres et Très Endettés en 2007. En plus de ces
facteurs, la baisse du revenu national, l'appauvrissement des
populations40, le manque de ressources et les besoins toujours
croissants des populations ont conduit, voire obligé l'Etat à se
tourner vers l'aide financière internationale41 qui bien
sûr ne va pas sans conséquence probante dans le système
juridique du Cameroun. En effet, toute crise économique transforme le
système juridique en vigueur et se présente ainsi comme un
puissant facteur de remise en cause de l'ordre établi42.
De manière générale, l'évolution
de la politique économique du Cameroun est marquée par un
changement de fondement doctrinal. Des plans quinquennaux à l'initiative
des Pays Pauvres Très Endettés, le Cameroun est passé du
libéralisme planifié au libéralisme communautaire
aboutissant à l'ultralibéralisme imposé par les
institutions de Bretton Woods en l'occurrence43. En recourant
à cette aide, les Etats demandeurs s'engagent à respecter un
certain nombre d'exigences imposées par les bailleurs de fonds, qui sont
regroupées généralement sous le label de
« conditionnalités ».
L'ultralibéralisme imposé par ces institutions est
en fait la mise en oeuvre du « Consensus de Washington
» selon lequel le
38 AERTS (J.J) COGNEAU (D), HERRERA (J), de MORCCHY
(G) et Rob AUD (F), l'Economie Camerounaise : un espoir évanoui,
KARTALA, Paris, 2000, P. 31
39 Ibid., PP. 32-49
40 Rapport non publié du secrétariat
d'Etat du MINFI sur la stratégie de traitement de la dette
intérieure du Cameroun, Mars 1992.
41 MANGA (P), cours polycopié de Finances publiques au
Cameroun,Université de Yaoundé FSJG, 1991-1992.
42 ONDOA (M), « Le droit public des Etats africains sous
ajustement structurel : le cas du Cameroun » in, mondialisation,
exclusion et développement africains : stratégies des acteurs
publics et privé » sous la direction du Pr. BEKOLO EBE Bruno
Afriédit, Paris, tome 2, 2006, P. 375.
43 TOUNA MAMA, l'économie Camerounaise : pour un
nouveau départ, Afrédit, Paris, 2008, P. 187
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intérieure du Cameroun : le cas de la titrisation
marché constitue le meilleur moyen de
résoudre les problèmes économiques des pays en
développement44. Il s'agit là de l'objet
principal des P.A.S dont l'objectif ultime et fondamental semble être la
conformation des économies en développement à la logique
libérale de la mondialisation. Le cadre communautaire, qui, à
travers ses règles et principes, a de plus en plus un mot à dire
dans la construction du Droit national des Etats membres.45
C'est dans ce contexte juridico-politique et économique
que cette étude se déploie. Toutefois, ce point contextuel en
appelle un autre, celui de la définition des termes de ce
thème.
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