B- Des capacités techniques et économiques
supérieures obligeant à l'intervention de la puissance publique
L'équilibre du marché passe par un système
de libre production et de prix avec adéquation de l'offre et de la
demande. Néanmoins, la position historique d'EDF utilisant
principalement l'énergie nucléaire va engendrer des
difficultés dans l'ouverture à la concurrence des producteurs
utilisant d'autres énergies et ceux tentant d'utiliser le
nucléaire.
Dans l'avis de l'autorité de la concurrence du 17 mai 2010
relatif au projet de loi portant nouvelle organisation du marché de
l'électricité, celle-ci revient sur ces
difficultés.64 Pour cela elle met en exergue les
bouleversements pour le consommateur de cette transition entre monopole et
libéralisation, ce qui influe également sur les
opérateurs.
Le premier bouleversement serait celui du prix qui est
facturé au consommateur qui n'est pas déterminé par le
libre jeu de la concurrence entre tout les opérateurs. Pour
l'autorité de la concurrence: «Sur les marchés de
l'électricité, à court terme, le prix de
l'électricité doit s'aligner sur le coût marginal de
production. Or, l'électricité n'est pas stockable et les
évolutions de la demande impliquent d'appeler un nombre variable
d'unités de production pour la satisfaire. »
L'autorité de la concurrence poursuit plus loin «
Cet effet est particulièrement marqué pour le marché
français, dans lequel la production d'électricité
d'origine nucléaire, qui représente près de 80 % de la
consommation nationale, s'effectue actuellement à des conditions
économiques caractérisées par un coût marginal
significativement inférieur à celui des techniques de production
concurrentes (à l'exception de l'hydraulique " au fil de l'eau ").
Dès lors que les centrales nucléaires sont rarement les
dernières centrales appelées, le prix de marché est
inférieur. » Les différentes productions
d'énergies ne coûtent en effet pas le même prix et cela
entraîne des distorsions dans l'offre et la demande.
Du fait de ces prix supérieurs, les producteurs
d'électricité autres que les énergies renouvelables se
frayent difficile un accès à ce marché et c'est
l'énergie nucléaire qui est utilisée en premier alors
même que l'évolution de la demande impliquerait d'utiliser
d'autres modes de production d'énergie.
EDF serait donc en position de monopole car son prix de
production serait inférieur. La facture du consommateur ne serait alors
pas déterminé par le libre jeu de l'offre et le demande car il
n'y a pas de véritables concurrence entre tout les modes de production,
le nucléaire étant systématiquement choisi du fait de ses
coûts inférieurs. Le coût de la facture étant
conditionné par le coût de production.
63 Décret n° 2000-456 JO du 30 mai 2000 p8102
64 Avis de l'autorité de la concurrence n°10-A-08 du
17 mai 2010 relatif au projet de loi portant nouvelle organisation du
marché de l'électricité dite « loi NOME »
21
Le deuxième bouleversement selon l'autorité de la
concurrence, viendrait de la qualité et de la sécurité de
l'approvisionnement. « Dans un marché libre, la décision
d'investissement est d'une autre nature : elle repose sur un arbitrage
économique dont l'objectif est la rentabilité de
l'investissement. Cette rentabilité suppose que les nouvelles
unités de production répondent à une demande
d'électricité. Dans ce contexte, si la demande rend l'utilisation
effective d'un moyen de production aléatoire, comme c'est le cas pour
les périodes de demande de pointe, un producteur n'est pas incité
à investir. ». Afin de permettre la sécurité
d'approvisionnement, il est plus aléatoire de s'en remettre aux mode de
productions autres que le nucléaire. Le problème de fond est que
l'électricité n'est pas stockable et la quantité varie
suivant le moment dans l'année. Le producteur devra donc prévoir
une capacité matérielle suffisante pour faire face aux
périodes de pointe mais les capacités déployées ne
seront pas toutes utilisées toute l'année65. Comme les
producteurs savent qu'ils devront faire face à cette demande en
électricité mais qu'ils ne sont pas certain d'y parvenir avec
d'autres énergies que le nucléaire, ils préfèrent
alors renoncer à investir. Ils ne s'engagent pas dans un investissement
à perte car ils savent que leur mode de production étant plus
aléatoire, ils ne sont pas sûrs d'être appelés
à produire.
Les consommateurs n'ont pas le droit à un marché
libre car pour assurer la qualité et la sécurité de
l'approvisionnement, il faut avantager un moyen de production au
détriment des autres.
A travers le prisme des bouleversements occasionnés chez
le consommateur dans l'ouverture à la concurrence, apparaît en
filigrane la position dominante du nucléaire favorisé du fait de
sa technique, son meilleur coût et sa capacité
d'approvisionnement, ce qui déséquilibre le marché car
l'offre est inégalitaire.
L'autorité de la concurrence développe ensuite sur
les facteurs qui ont empêché l'émergence d'offres
compétitives sur le marché, ce qui rejoint les constatations
qu'elle a émises sur les bouleversements occasionnés chez le
consommateur. Néanmoins, cela permet de mieux saisir la situation de
blocage dans laquelle se trouvait le marché. L'institution s'appuie sur
les constatations qu'elle avait elle-même émises lors d'affaire
dans lesquelles elle a dû se prononcer, lorsque des opérateurs
l'avaient saisi du fait d'atteinte présumée au droit de la
concurrence par EDF.66
Pour l'Autorité, l'utilisation du nucléaire s'est
imposée comme un facteur indispensable à la pratique de prix
compétitifs, de ce fait « la concentration des centrales
nucléaires dans les mains de l'opérateur historique
confère donc à EDF un avantage de coûts vis-à-vis de
concurrents, qui ne disposent pas de ces moyens de production. ». Les
autres moyens de production peuvent alors difficilement s'imposer du fait de
coûts supérieurs. Cela pose un problème
supplémentaire : Dans la vente d'électricité au
consommateur, la moitié du prix correspond au coût de production
de l'énergie or les producteurs qui ne peuvent assurer leur propre
production doivent se fournir en énergie nucléaire mais au prix
de gros. De ce fait, il y avait distorsion des prix entre les producteurs car
le prix de gros ne correspond pas au prix au détail. Le prix au
détail est fixé par l'Etat dans l'optique « de faire
bénéficier la clientèle de masse d'une énergie
électrique relativement
65 Jean-Yves Chérot « Droit public économique
» 2007 deuxième édition. Édition économica.
P843
66 Décisions n° 07MC-01 du 25 avril 2007, relative
à une saisine de la société KalibraXE à l'encontre
des contrats à long terme conclus par EDF avec certains clients, n°
07-MC-04 du 28 juin 2007 et n° 07-D-43 du 10 décembre 2007,
concernant les conditions de concurrence sur le marché des petits
consommateurs
22
bon marché », il est donc beaucoup plus bas.
Une alternative dévellopée plus bas sera alors proposée
par la Commision « Champsaur ».
Pour les concurrents qui n'utilisent pas le nucléaire, ils
deviennent donc finalement tributaires de l'énergie nucléaire et
de son coût. De ce fait, ils ont des difficultés à
émerger et à concurrencer EDF et son monopole du
nucléaire.
La solution pourrait alors être de concurrencer le
nucléaire par le nucléaire mais cela a également
été rendu difficile.
Une barrière économique figurerait à
l'entrée du marché du fait de « l'importance des
investissements requis et l'absence de besoin massif de renouvellement du parc
à court terme. ».
Pour un nouveau producteur, il est difficile de concurrencer un
parc nucléaire implanté depuis de nombreuses années.
D'abord donc par le coût engendré par les installations
nucléaires. EDF a pu progressivement implanter et financer son parc
nucléaire. Un nouvel opérateur pour s'imposer sur le
marché devrait faire face à un financement économique
majeur s'il veut avoir ses chances de disposer des mêmes capacités
de production qu'EDF. Ensuite parce qu'il n'y a pas besoin de nouveaux parcs de
productions. Thierry Thuot conforte ces positions, il estime que «
L'investissement est extraordinairement coûteux et le
développement d'un parc permettant de concurrencer EDF supposerait des
investissements nucléaires massifs pouvant escompter des coûts de
production encore plus bas grâce aux gains de productivité
»67. C'est-à-dire que pour escompter produire de
l'électricité à un coût plus bas qu'EDF,
l'investissement des opérateurs devra être encore plus important
qu'un investissement a minima dans un parc nucléaire et le coût
sera bien trop important pour qu'ils puissent y faire face.
Il paraît donc extrêmement difficile de concurrencer
EDF dans son propre secteur. Comme il n'y avait pas non plus de
possibilité de concurrencer EDF par d'autres énergies, la
situation paraissait bloquée.
L'autorité de la concurrence a donc pointé du doigt
les facteurs techniques qui conduisent à une difficulté de
l'émergence d'offres concurrentes viables. Afin de débloquer la
situation, la loi NOME en s'appuyant sur le rapport de novembre
200868 de la commission présidée par M. Paul
Champsaur, va tenter de remédier à ces difficultés. Ce
rapport avait conclu que « sans régulation de la base produite
par le parc historique, les fournisseurs concurrents d'EDF n'ont pas les moyens
de concurrencer l'opérateur historique par des offres
compétitives aux consommateurs finals. Une régulation
spécifique sur le marché de la production en base est donc
nécessaire afin de garantir l'égalité de tous les
fournisseurs et le développement effectif de la concurrence sur le
marché de la fourniture ». Pour cela, il préconise un
certain nombre de réformes qui seront reprise sous la forme d'objectifs
par la loi NOME69, celui de « préserver les tarifs
réglementés de vente de l'électricité
(dénommés « tarifs bleus ») pour les ménages et
les petites entreprises », c'est-à-dire un tarif avec un cout
garanti moins élevé.
Mais également « assurer le financement du parc
de production existant et favoriser les nouveaux investissements
conformément aux engagements pris lors des négociations
«
67 Thierry Tuot « nouvelle organisation du marché
électricité- à propos de la loi NOME du 7 décembre
2010 La Semaine Juridique Edition Générale n° 10, 7 Mars
2011, doctr. 283
68 Rapport de novembre 2008 d'une commission
présidée par M. Paul Champsaur, qui avait la charge de faire des
propositions d'organisation du marché de l'électricité
demandé conjointement par le ministre de l'écologie, de
l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du
territoire, et la ministre de l'économie, de l'industrie et de
l'emploi
69 Loi n°2010- 1488 du 7 décembre 2010
23
Grenelle » sur l'environnement ». Dans ces
propositions, apparaît donc le fait de favoriser les nouveaux
investissements en faveur de la protection de l'environnement puisque c'est ce
que propose les loirs Grenelle I et II. En réponse au blocage, il y a
donc l'aide à l'émergence des énergies renouvelables.
De même, le rapport propose de « favoriser la
concurrence par un dispositif de régulation qui permettra à tous
les fournisseurs d'électricité en France de s'approvisionner
auprès d'EDF aux conditions économiques du parc nucléaire
historique. La dynamique du marché en résultant permettra la
disparition des tarifs réglementés pour les grands clients en
2015, et la concurrence fera émerger des offres innovantes, en
particulier en ce qui concerne l'amélioration de la gestion de la
demande d'électricité ». En effet, « La
libéralisation complète du marché de la fourniture
d'électricité au 1er juillet 2007 n'a pas remis en cause
l'existence des tarifs
réglementés. En effet, l'article 3.2 de la
directive électricité du 26 juin 2003 reconnaît aux
États la possibilité d'imposer des obligations de service public
aux fournisseurs d'électricité, pouvant notamment prendre la
forme d'une réglementation des prix de vente au consommateur.
»70 Or comme il a déjà été
évoqué, les prix trop bas pratiqués par EDF du fait de la
réglementation ne permettent pas de concurrencer cette ancienne
entreprise monopolistique.
Ce qu'il est donc préconisé c'est de remplacer les
tarifs réglementés faisant barrière à
l'introduction du marché, par une possibilité ouverte aux
producteurs de s'approvisionner auprès d'EDF pour compléter leur
production mais à des coûts accessibles. De ce fait leur
production sera moins chère du fait du rachat à un prix moins
élevé et il sera moins difficile économiquement d'assurer
la production car ils pourront compléter la leur à un prix
moindre. Cela devrait donc avoir pour conséquence de mieux
équilibrer le marché. Il est donc conseillé d'aider les
nouveaux producteurs que sont notamment les producteurs d'énergies
renouvelables.
Dans sa décision n° 07-D-43, l'autorité de la
concurrence a suivi le rapport instaurant au profit des fournisseurs
concurrents, une possibilité d'achat de l'énergie
nucléaire au prix de détail pour les petits fournisseurs
concurrents. « Pour mieux éviter ce paradoxe qui consiste
à lier ouverture effective des marchés et hausse des prix, le
Conseil de la concurrence s'est engagé dans une autre voie. Il entend
faire échapper les concurrents d'EDF à un « effet de ciseau
» sur certaines offres du marché de détail, et cela par la
baisse des prix de gros. »71
Dans cette situation de blocage, ce rapport fait donc
paraître la nécessité de l'intervention publique en aide
aux nouveaux producteurs pour pallier aux carences. Cette situation de monopole
du fait de qualités techniques et nucléaires suffisantes ne
pouvait être débloquée seule.
Et de même, le fait de permettre l'accès au
nucléaire au prix du marché est dans l'intention de permettre
l'émergence « d'offres innovantes ». Ce rapport
préconise donc une alternative au nucléaire. En permettant
l'accès moins cher à la production de nucléaire, cela
permet aux producteurs de compléter leur offre parfois insuffisante pour
le marché et de ce fait en palliant à leur carence, ils
deviennent enfin des concurrents viables sur le marché. Des prix trop
haut et une insuffisante de production par rapport au nucléaire
étant les principaux facteurs empêchant leur émergence.
70 Avis de l'autorité de la concurrence n°09-A-43
du 27 juillet 2009 relatif à un projet de décret concernant les
tarifs réglementés de l'électricité.
71 Martine Lombard « L'État face à l'ouverture
des marché de l'électricité et du gaz: un pompier
pyromane? » RJEP n°646 octobre 2007 repère 3
24
Puisqu'elles ne peuvent émerger toute seule et que la
concurrence par le nucléaire n'est pas possible, du fait de
capacités techniques et économiques supérieures,
l'alternative qui voit alors le jour est donc entre autres celle de favoriser
l'émergence de d'autres opérateurs et notamment ceux utilisant
les énergies renouvelables puisqu'il est difficile de concurrencer le
nucléaire par le nucléaire.
Des difficultés techniques ont donc appuyé le
monopole d'EDF et notamment du nucléaire. Il semble dès lors que
la meilleur façon de permettre un marché concurrentiel soit
l'aide à une autre forme d'énergie. L'insuffisance de l'ouverture
à la concurrence s'explique également par un certain choix du
gouvernement. Cette ouverture à la concurrence qui a été
fortement influencée par le droit communautaire, ne va donc pas
fonctionner sans l'aide de la puissance publique. Cette intervention dans le
secteur de l'énergie est historique et il semble qu'elle tende à
pallier les insuffisances du marché qui seul ne peut
s'équilibrer.
La reconnaissance d'une forme de service public de
l'électricité par le droit communautaire a été
majeure car c'est pas ce biais que la puissance publique va pouvoir poursuivre
son action et promouvoir les énergies renouvelables. Elle va pouvoir
proposer ce qui semble être une alternative au nucléaire et
peut-être un moyen de véritablement ouvrir à la concurrence
ce secteur.
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