Chapitre 2:
L'ouverture insuffisante à la concurrence du
secteur du nucléaire
Avec l'influence du droit communautaire, va s'opérer dans
le secteur de l'électricité une inévitable ouverture
réglementée du secteur de l'énergie (I). Ce qui est
nécessaire pour permettre la libre concurrence, mais cela va
s'avérer insuffisant et l'ouverture à la concurrence de ce
secteur historique, utilisant principalement le nucléaire va
s'avérer délicate (II). Il semble important d'aborder cette
ouverture réglementée à la concurrence car c'est par ce
biais que le droit interne et communautaire va tenter d'instaurer une
libre-concurrence, nécessaire pour l'apparition de nouveaux
opérateurs, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.
Ces dispositions sont les piliers de l'ouverture à la concurrence et
pourtant cela va s'avérer insuffisant car le monopole aura certaine
difficulté à disparaître. La délimitation de ce
contexte est nécessaire mais c'est parce que cela va avoir certaine
difficultés à fonctionner qu'il est ensuite intéressant de
démontrer l'impact des énergies renouvelables sur le
marché.
I- Une ouverture réglementée du secteur
de l'énergie sous l'influence du droit européen
L'ouverture à la concurrence du secteur de
l'énergie va donc se faire sous l'influence du droit de l'Union
Européenne, imposant de façon croissante de plus en plus
d'exigences, (A), ce qui va se traduire en droit interne par une transposition
fidèle des contraintes imposées par les directives (B).
A- L'ouverture à la concurrence du secteur de
l'électricité encadrée strictement par le droit
européen.
Le droit communautaire a fait pression sur la France en ce qui
concerne ses grands service industriels et commerciaux de réseaux afin
que la situation de monopole cède sa place à la
libéralisation et a strictement encadré cette ouverture par
différentes directives successives.
Les monopoles de service public « peuvent être mis
en cause sur la base de l'effet utile de l'article 86 du traité.
L'article 86 du traité ne condamne que les abus de position dominante et
non la position dominante en elle-même »43 La Cour
de Justice des
43 Jean-Yves Chérot « Droit public économique
» 2007 deuxième édition. Édition économica
P784
15
Communautés Européennes appuie ce point de vue par
trois arrêts de 1991 en considérant que « l'institution
d'un droit exclusif est contraire à l'article 86 dès lors que
l'institution d'un tel droit est à l'origine d'un abus de position
dominante, le provoque, en est la cause »44. C'est pour
éviter ce débordement que le droit communautaire va tenter de
mettre fin aux monopoles. Une situation de marché commun avec une libre
circulation ne doit pas être entravée par ces tendances.
Pour permettre l'ouverture à la concurrence, la
transformation a été opérée sur plusieurs fronts,
avec notamment, une remise en cause des monopoles afin de les dissocier du
service public. Ainsi a été imposée la soumission
quasi-systématique des activités de service public aux
règles de la concurrence. La séparation de l'activité de
monopole et de l'activité en concurrence a été
réalisée en séparant l'infrastructure et le service .
L"institution d'un régulateur « indépendant » a permis
d'assurer la différenciation entre les activités de
réglementation et de prestation de service45. Telles sont les
orientations que le droit communautaire a entendu donner au service public
interne.
À l'origine de cette ouverture à la concurrence
dans les différents secteurs anciennement monopolistiques, il y aurait
eu deux convictions :
L'ouverture à la concurrence « était le seul
moyen de constituer des ensembles européens dans ces domaines et elle
serait bénéfique tant pour le consommateur que sur le plan des
industriels (...) une entreprise en situation de monopole tend en effet
à abuser de son pouvoir de marché, elle est « faiseuse de
prix »; à l'inverse les entreprises en situation de concurrence
pure et parfaite ne sont que « preneuse de prix »,
c'est-à-dire qu'elles n'ont aucune influence sur leur
formation».46
Elle correspondent à cette idée de marché
commun qui veut le respect du droit de la concurrence afin d'assurer une libre
concurrence entre toutes les entreprises des Etats membres. Le modèle
français ne permettait pas cette mise en concurrence. Ainsi le service
public français a inexorablement évolué dans les secteurs
anciennement monopolistiques: les Télécom, le transport
ferroviaire, le secteur postal par exemple ou encore et le secteur de
l'énergie.
Il s'est opéré dans ce secteur une tentative
d'ouverture à la concurrence.
C'est la directive 96/9247 qui a ouvert le secteur de
l'énergie électrique à la concurrence. Le marché
intérieur de l'électricité devait être ouvert
à la concurrence le 19 février 1999. Le législateur
français a transposé cette directive en retard par la loi du 10
février 2000.
C'est donc le droit communautaire qui a influé sur
l'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité.
Cela fait partie des deux facteurs de l'influence du droit de l'union qui
seront propices à l'apparition des énergies renouvelables.
D'abord en influençant sur la notion de service public, et ensuite en
libéralisant le secteur, car le monopole était celui d' EDF
utilisant en majeur partie l'énergie nucléaire. En ouvrant
à la concurrence, cela pouvait permettre aux énergies
renouvelables de se frayer une place.
44 CJCE 27 avril 1991 « Hofner », 18 juin 1991
« ERT », 10 décembre 1991 « Merci-Port de Gêne
» cité par J-Y Chérot
45 JP Colson et P. Idoux « Droit public économique
» 6ème édition. Édition LGDJ
46 Marc Chevallier « Électricité,
téléphone: la libéralisation en question »
Alternatives économiques hors série n°72
47 Directive 92/96/ CE du 16 décembre 1996
précitée
16
Des directives communautaires vont influer sur le secteur de
l'énergie, comme elle l'ont fait avec les autres anciens secteurs
monopolistiques, en encadrant cette ouverture de façon croissante.
Comme dans les autres secteurs, la difficulté
réside dans le fait que l'entreprise anciennement monopolistique, une
fois ouverte à la concurrence, conserve une part des activités
qui ne sont pas ouvertes à la concurrence. Elle est une entreprise
verticalement intégrée c'est-à-dire qu'elle est
présente dans plusieurs des activités du secteur, et donc les
entreprises en concurrences sont obligées de faire appel à cette
activité. Concrètement, le fait que EDF dans le secteur de
l'électricité, s'occupait à la fois de la production, du
transport et de la distribution en est l'illustration. L'ouverture à la
concurrence permettait à EDF de conserver la partie transport et
distribution sous la forme de ERDF gestionnaire de réseau. Il est alors
tentant pour le gestionnaire de favoriser EDF au niveau de la production au
détriment des concurrents, puisqu'il s'agit de la même entreprise.
Il peut par exemple lui donner la priorité dans l'accès au
réseau ou lui communiquer des informations sur ses concurrents, qu'il
aurait recueillies dans le cadre de ses activités de gestionnaire de
réseau.48
Afin d'anticiper ces atteintes au droit à la concurrence,
en maintenant l'égalité plusieurs directives ont
été prises. La première fut donc la directive
96/92/CE49. Elle a imposé des obligations en instituant une
séparation fonctionnelle et comptable.
La première obligation tendait à
l'indépendance du fonctionnaire de réseau, au « moins
sur le plan de la gestion. ».
La deuxième obligation était une séparation
comptable entre les activités de production, de transport et de
distribution. Comme si ces activités étaient exercées par
des
« entreprises distinctes ».
La troisième obligation résidait dans l'obligation
de protéger les informations commerciales récoltées dans
le cadre de l'activité de gestion du réseau.
La deuxième directive, marquant une autre étape de
l'influence du droit européen est celle du 23 juin 200350 .
Elle a substitué à un impératif de séparation
fonctionnelle, un impératif de séparation juridique. Elle impose
donc une séparation juridique entre les activités mais cela ne
conduit pas néanmoins à un changement de
propriété.
Enfin, Les directives du Parlement Européen et du Conseil
du 13 juillet
2009 2009/72/CE concernant des règles communes pour le
marché intérieur de l'électricité et n°
2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché
intérieur du gaz naturel 51 ont posé une
nouvelle obligation qui est celle de désigner une autorité de
régulation qui soit indépendante et impartiale. L'objectif est de
«promouvoir (...) un marché intérieur de
l'électricité concurrentiel, sûr et durable pour
l'environnement au sein de la Communauté, et une ouverture effective du
marché pour l'ensemble des clients et des fournisseurs de la
Communauté, et garantir des conditions appropriées pour que les
réseaux d'électricité fonctionnent de manière
effective et fiable, en tenant compte d'objectifs à long
terme» . Dès la directive 93/92/CE , il était cependant
déjà exigé des Etats membres de mettre en place «
des mécanismes appropriés et efficaces de
48 JCP Administratif « Electricité » fasc 154
Yann Simonnet
49 Directive 96/92/CE du 16 décembre 1996 journal officiel
des communautés Européenne 30 janvier 1997
50 Directive 2003/54/CE du 23 juin 2003 journal officiel de
l'Union Européenne 15 juillet 2003
51 Directive 2009/72/CE et 2009/73/CE du 13 juillet 2009 Journal
Officiel de l'union européenne 14 Aout 2009
17
régulation, de contrôle et de transparence afin
d'éviter tout abus de position dominante, au détriment notamment
des consommateurs, et tout comportement prédatoire ».
Également une obligation de séparation de
propriété fut imposée. L'entreprise qui gère le
réseau ne doit pas être contrôlée par une entreprise
qui produit l'électricité ou qui la fournit ou qu'elle-même
contrôle, une entreprise qui produit l'électricité et la
fournit52. Cette dernière directive se montre donc encore
plus exigeante dans les règles de séparation. Alors qu'une
séparation fonctionnelle suffisait au départ pour le droit de
l'Union Européenne, progressivement celui-ci a relevé son niveau
d'exigence.
De nombreuses obligations pour garantir l'égalité
et la transparence vont donc être impulsées par le droit
européen, ce qui va donner lieu en droit interne, à une
transposition des directives qui va bouleverser le secteur de l'énergie
et à plus long terme permettre l'émergence des énergies
renouvelables.
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