II- La reconnaissance et l'enrichissement par le droit
communautaire du service public de l'électricité
Cette confrontation entre droit communautaire et service public
« à la française » a entraîné une
rencontre entre conception interne du service public et conception
européenne. Le droit communautaire va reconnaître une forme de
service public (A). La reconnaissance du service public, permettant la
protection des missions qui lui sont imparties, était impérative.
En effet, en même temps que le droit communautaire reconnaît le
service public, il ouvre de nouvelles perspectives relevant de la protection
32 Alain Mallevre,« L'histoire de l'énergie
nucléaire en France de 1895 à nos jours » tiré de sa
conférence de 2007
33 Déclaration du ministre de l'industrie cité
Pierre Audigier « Bref historique de la libéralisation des
marchés de l'énergie en Europe »
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de l'environnement, ce qui se révèle favorable aux
énergies renouvelables (B). Pour que ce secteur soit lancé, cette
protection était donc nécessaire.
A- La rencontre entre droit communautaire et service public
de l'électricité: une reconnaissance européenne
nécessaire à la poursuite des missions de service public
En droit français apparaît le 10 février
200034 la loi relative à la modernisation et au
développement du service public qui transpose la directive
électricité de l'Union Européenne. Son intitulé
montre que l'interventionnisme de l'État est toujours présent
dans le secteur public de l'électricité puisque aucune
référence à la concurrence ou à la
régulation des marchés n'est à noter alors même que
l'Union Européenne commence à imposer ces notions.
Cela vient du fait que le droit européen a admis qu'il
puisse y avoir un service public. Pourtant au départ le droit
communautaire ne s'intéressait pas à la notion de service public.
Le terme n'était mentionné nul part et la
spécificité des activités d'intérêts
générales était mentionnée dans le traité de
Rome du 25 mars 1957 mais cela n'était pas pas dans l'intention
d'élaborer « un corps de règles autonomes ».
35 Aucune définition du service d'intérêt
économique général n'était donnée alors
qu'il était consacré à l'article 16 du traité de
Rome. Pour la Commission qui parlait au nom de l'Europe, les Etats se
dissimulaient derrière cette notion pour ne pas avoir à respecter
ses obligations. Cela a donné lieu à de vifs débats.
Le Conseil d'État dans son rapport de 1994 va même
jusqu'à dire que « l'Europe ignore largement la notion de
service public »
La notion ne sera finalement définie que dans le livre
blanc de 2004 qui affirme que « les services d'intérêt
économiques généraux (SIEG) sont conçus comme des
services de nature économique que les États membres soumettent
à des obligations spécifiques de service public, en vertu d'un
critère d'intérêt général ». Il y a
donc une certaine prise en compte de la notion de service public qui permet de
se soustraire à une partie des règles du droit de la concurrence.
Cette particularité transparaissait déjà dans
l'arrêt Corbeau36 dans lequel la Cour de Justice des
Communautés Européennes précise que le service
intérêt économique général « permet
aux Etats membres de conférer à des entreprises, qu'ils chargent
de la gestion des services d'intérêt économique
général, des droits exclusifs qui peuvent faire obstacle à
l'application des règles du traité sur la concurrence, dans la
mesure où des restrictions à la concurrence, voire une exclusion
de toute concurrence, de la part d'autres opérateurs économiques,
sont nécessaires pour assurer l'accomplissement de la mission
particulière qui a été impartie aux entreprises titulaires
des droits exclusifs ».
Par exemple, les aides d'État au titre des SIEG peuvent
être autorisées du fait de la compensation de charge
publique.37 Mais pour cela il faut que l'aide réponde
à des critères très précis posés par le
paquet « Altmark »38. Cela comprend le fait que
34 Loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative
à la modernisation et au développement du service public de
l'électricité
35 M.Karpenschif « la spécificité des
activtés d'intérêt générale »
36 CJCE 19 mai 1983 320/91 arrêt « Corbeau »
37 CJCE 24 juillet 2003 Altmark trans GMBH
38 Le paquet « SIEG » est constituée de la
décision de la commission du 28 novembre 2005, concernant l'application
des dispositions de l'art 86 du traité CE (devenu art 106 du TFUE),
l'encadrement communautaires des aides d 'Etat sous forme de compensation de
service, la directive 2005/81/CE
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l'entreprise bénéficiaire ait été
chargée de l'exécution de l'obligation de service public et que
ses obligations aient été clairement définies. Les
paramètres sur la base desquels la compensation a été
calculée doivent été préalablement définis
de façon objective et transparente. Il faut, de même, que la
compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir
tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des
obligations de service public, en tenant compte des recettes. Il n'est
également pas possible d'accepter une compensation dont le montant
serait aggravé par le manque d'efficacité du prestataire.
Le droit européen a donc pris en compte l'exception du
service public mais c'est le droit interne qui doit répondre aux
exigences posées par le droit européen. Ainsi tout ce qui est
considéré comme un service public en droit français ne
sera pas forcément un SIEG et toutes les aides aux services publiques ne
seront donc pas légales.
L'Union Européenne n'a donc pas été
insensible à la conception française de service public. D'autant
que dès 1994, la Cour de Justice des Communautés
Européennes a rendu un arrêt concernant le secteur public de
l'électricité. C'est l'arrêt commune d'Almelo de
199439 dans lequel la Cour de Justice des Communautés
Européenne a indiqué que « des restrictions à la
concurrence de la part d'autres opérateurs économiques doivent
être admises, dans la mesure où elles s'avèrent
nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle
mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci. A
cet égard, il faut tenir compte des conditions économiques dans
lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle
doit supporter et des réglementations, particulièrement en
matière d'environnement, auxquelles elle est soumise. » Cela
concernait une entreprise régionale de distribution
d'électricité aux Pays-Bas. Celle-ci disposait d'une clause
d'achat exclusif qui interdisait à un distributeur local d'importer de
l'électricité destinée à la distribution
publique.
Également, il y a eu création du service universel,
notion issue du droit dérivé de l'Union européenne et qui
concerne un nombre restreint de services, principalement le courrier et les
communications électroniques. C'est un service de base, sorte de
sous-ensemble des SIEG. Cela permet un régime dérogatoire au
droit de l'Union Européenne. Le service universel prend en France dans
le secteur de l'électricité la forme du « tarif bleu ».
C'est le service de base de l'électricité pour les clients dont
la puissances est inférieure ou égal à 36 kilowatts.
Cette reconnaissance du service public par le droit Communautaire
est importante car elle permet de poursuivre les objectifs de service public.
Le droit communautaire va permettre l'élargissement des missions du
service public de l'électricité en instaurant un terrain propice
aux énergies renouvelables. En l'absence de la reconnaissance de service
public par le droit communautaire, il n'y aurait pas de possibilité de
poursuite des obligations de service public de l'électricité.
C'est pourtant ce qui va aider les énergies renouvelables à
s'épanouir. Cette reconnaissance était donc indirectement
nécessaire.
C'est la directive 96/9240 qui a permis l'ouverture
à la concurrence du secteur de l'électricité mais
également qui a défini les missions de service public de
l'électricité, tel
modifiant la directive 80/723/CEE relative à la
transparences des relations financières et les entreprises publiques
ainsi qu'à la transparence financière dans certaine entreprise.
Source: Euopean competitons public consultations.
39 CJCE 27 avril 1994 commune d'Almelo C393/92
40 Directive 96/92 du 16 décembre 1996 concernant les
règles communes pour le marché intérieur de
l'énergie journal officiel des Communautés Européennes 30
janvier 1997
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qu'admis sous la forme de SIEG. « C'est finalement
l'Union Européenne qui est à l'origine d'une loi qui ouvre
à la concurrence le secteur électrique tout en consacrant
législativement et par réaction le service public
»41.
La directive de 96 fait une sorte de synthèse entre la
conception française de service public et la conception
européenne. La directive reconnaît le secteur de
l'électricité comme relevant des services économiques
d'intérêt général mais également comme
service public. Dans son 9ème considérant, il est utilisé
pour la première fois en droit communautaire le terme «
d'obligation de service public ». La directive explique au 13ème
considérant que « l'imposition d 'obligations de service public
peut être nécessaire pour assurer la sécurité
d'approvisionnement, la protection du consommateur et la protection de
l'environnement que, selon eux, la libre concurrence, à elle seule, ne
peut pas nécessairement garantir ».
L'activité de production est intégrée dans
ces nouvelles perspectives de service public. Dans l'article 2 de la loi du 10
février 2000, transposant la directive de 1996 la loi indique que «
les producteurs, et notamment EDF contribuent à la
réalisation de ces objectifs. Les charges qui en découlent,
notamment celles résultant des articles 8 et 10, font l'objet d'une
compensation intégrale dans des conditions prévues au I de
l'article 5 ». L'article 8 permet un appel d'offre lorsque la
production nationale d'électricité est insuffisante. Celles qui
sont retenues seront alors considérées comme contribuant au
service public de l'électricité.
Le droit communautaire a donc permis une certaine reconnaissance
de la notion de service public de l'électricité. Si cela a tant
d'importance c'est que dès lors que cette spécificité est
prise en compte, cela permet un régime dérogatoire, notamment aux
aides d'États. De ce fait les missions relevant de
l'intérêt général peuvent plus facilement être
exercées.
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