B- L'intervention historique de la puissance publique dans
le service public de l'électricité
C'est à la fin du 19ème que sont apparues les
premières distributions publiques de l'énergie afin d'assurer le
service de l'éclairage public. À ses débuts,
l'électricité n'était qualifiée de service public
que lorsque sa distribution était assurée par le concessionnaire
de l'éclairage au gaz26. Le législateur intervient
ensuite pour la première fois en 1882 en instaurant un régime de
permission de voirie, ce qui donna naissance à la première loi
sur l'électricité27. La distribution de
l'électricité prend ensuite rapidement la forme d'un service
public communal. L'approvisionnement sera alors réglementé sous
forme de circulaire du ministre des transports publics afin de surveiller d'une
part les conditions d'attribution des concessions et pour édicter
d'autre part des règles de sécurité pour la production et
le transport de l'électricité. Mais ce régime de
concession laisse vite la place à une régie directe des communes,
qui prend une telle ampleur que le Conseil d'État doit dès lors
encadrer ce régime avec l'arrêt « Commune de Saint
Léonard » du 6 avril 1900.
Ainsi, l'intervention de la puissance publique dans le secteur de
l'énergie s'est faite de façon rapide en réglementant la
sécurité des approvisionnements en électricité et
dès lors ce domaine devint un domaine d'intérêt
général28.
Dès que ces concessions dépassent le territoire de
la commune, elles seront attribuées à l'État or les
contrats de concession contiennent des prérogatives exorbitantes de
droit commun. Ce régime juridique amène alors très
tôt une concentration des activités de transport et de production
d'énergie dans les « mains de quelques groupes privés
» 29.
Finalement, au lendemain de la seconde guerre mondiale, «
quelques grandes entreprises privées concentraient l'essentiel des
moyens de production ainsi que les compétences techniques dans le
domaine de l'énergie électrique. La volonté politique de
permettre l'accès de l'ensemble de la population à
l'énergie électrique à des conditions
économiquement et socialement acceptables, ainsi que le souci de
pérenniser la sécurité des approvisionnements sur
l'ensemble du territoire justifièrent l'immixtion totale des pouvoirs
publics dans l'organisation du secteur électrique
».30 Cette immixtion s'est traduite avec l'adoption de la
loi du 8 avril 1946 dite "loi de nationalisation de l'électricité
et du gaz"31. Par cette loi « la production, le transport,
la distribution, l'importation et l'exportation d'électricité
» étaient nationalisés et la gestion était
confiée à EDF par la voie d'une concession nationale de service
public.
26 Géraldine Chavrier « le service public de
l'electricité est-il menacé? » droit administratif
n°10, octobre 2002 chronique 18
27 JC.Colli « Cent ans d'électricité dans les
lois » numéro spécial du bulletin d'histoire de
l'électricité 1986
28 CE « theron » 4 mars 2010 s'appuie sur le lien entre
concession et service public pour la première fois
29 Nadia Chebal Horstman « La régulation du
marché de l'électricité: concurrence et accès au
réseau » éditions l'Harmattan octobre 2006
30 Jcp Administratif fasc 154 « Électricité
» yann Simonnet
31 JO 9 avril 1946
9
Le secteur de l'électricité était ainsi sous
le joug de l'État qui en nationalisant l'érigeait au rang de
service public et en définissait ses composantes.
L'attachement de la France au secteur de
l'électricité est donc historique et montre que très
tôt les pouvoirs publics se sont immiscés dans ce secteur car
considéré comme relevant de l'intérêt
général. Aussi, cette situation de nationalisation et de monopole
public fut-il profondément ancré, et difficile à remettre
en question malgré la pression du droit communautaire.
Le secteur de l'électricité s'est heurté
très tôt à la difficulté d'approvisionner
suffisamment la population toute entière. Ainsi, à la fin de la
seconde guerre mondiale, la France en reprenant possession de son territoire a
été désireuse d'obtenir l'autonomie électrique. Le
nucléaire s'est alors imposé comme la solution pouvant permettre
l'autonomie en électricité du pays. Cela a permis à la
France de produire sa propre électricité. Les premiers pas du
nucléaire eurent lieu entre 1945 et 1949 et sa mise en place entre 1950
et 1958. Finalement le déploiement s'est fait entre 1958 et
197032. Le nucléaire a donc été choisi dans
l'intervention de la puissance publique dans le secteur de l'énergie
comme solution pérenne à l'approvisionnement de la population.
Le nucléaire était alors le gage de pouvoir remplir
les missions de service public. Dès lors le secteur de
l'électricité englobait inévitablement le nucléaire
et service public de l'électricité et nucléaire furent
consubstantiellement liés. D'où la difficulté sous-jacente
qui apparaîtra plus tard de passer par une autre énergie.
Cette intervention historique de la personne publique dans le
secteur de l'électricité du fait de sa reconnaissance en tant
qu'activité relevant de l'intérêt général est
le symbole de l'ancrage certain de ce secteur dans les prérogatives de
puissance publique, qui est passé par l'utilisation du
nucléaire.
De ce fait, cette activité est restée dans le giron
de l'État par une conception du service public très
française. Le ministre de l'industrie dans les années 90 à
propos du processus de libéralisation des services proclamait d'ailleurs
«introduire la concurrence, c'est comme introduire le renard dans le
poulailler33». La France était réfractaire
à l'idée de toucher à ces services.
Néanmoins, cette vision a trouvé ses limites dans
l'approche européenne de service public.
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