1.2. Contexte
socio-économique
La province de l'Extrême-Nord abrite une population de
2556778 habitants (DPS, 1997) avec un taux de croissance estimé à
plus de 3,3% (Fusillier et Bom Kondé, 1996), dépassant largement
la moyenne nationale de 2,8%. La zone se caractérise par une grande
variabilité ethnique et religieuse (animistes, musulmans et divers
groupes chrétiens). Cette région est caractérisée
par une faible disponibilité en terres cultivables, l'insuffisance des
infrastructures socio-économiques et une forte densité de
population (77 habitant/km2). Ce fort taux de croissance est en
partie responsable du fort taux de chômage, de l'exode rural massif et
souvent de la saturation foncière dans cette partie du pays auxquelles
s'ajoutent l'éloignement des marchés importants et l'enclavement,
la disponibilité financière, l'analphabétisme 80% de la
population vit en milieu rural avec tout ce qu'elle connaît comme
difficultés d'accès à la terre et aux ressources. Selon
une étude de la Banque Mondiale, l'indice de pauvreté y est le
plus élevé de tout le pays. En temps normal, 4% des enfants de
moins de cinq ans souffrent de malnutrition sévère et 24% de
malnutrition modérée; la mortalité
infantilo-juvénile de 200/1000 est très supérieure
à la moyenne nationale de 130/1000 (Rapport PAM, 1998).
Les exploitations agricoles ont une structure essentiellement
familiale. Le coton et les céréales restent le pivot de
l'agriculture. La sécurité alimentaire dans cette région
est toujours précaire en raison de l'instabilité de la production
agricole menacée périodiquement par la sécheresse, des
dérèglements pluviométriques, les dégâts
liés à l'invasion d'acridiens, d'oiseaux granivores et de
l'instabilité du marché des céréales...
Sur l'ensemble de la région, les cultures de
céréales sont peu mécanisées, l'irrigation
artificielle est marginale, la fourniture et l'utilisation d'intrants, de
fumures minérales et organiques restent faibles. La recherche agricole
avec tout ce qu'elle comporte comme innovation et amélioration de la
productivité demeure marginale pour la population cible. La
qualité des sols et des semences ne cesse de se dégrader et les
rendements tendent généralement vers la décroissance.
Le secteur productif non agricole est peu
développé et la population rurale ne dispose pas, le plus
souvent, de revenus indépendants et parallèles à leurs
activités agricoles. Les faibles mécanismes de survie consistent
principalement à la vente à vil prix du petit bétail dont
les prix s'effondrent avec la hausse des prix des céréales.
Le phénomène migratoire vers la plaine du
Diamaré et la province du Nord s'amplifie de façon
désordonnée avec tout son corollaire de problème foncier,
d'adaptation et de cohabitation.
La province de l'Extrême-Nord du Cameroun est
particulièrement concernée par le problème de
l'insécurité alimentaire. Chaque année dans cette
région, le mot disette revient dans l'actualité comme un
leitmotiv. Les programmes d'aides d'urgence n'ont que peu d'effets sur le cours
des vivriers et sur la situation alimentaire. Comme toujours dans de telles
situations, de « nombreuses familles se nourrissent d'herbes, de
tourteaux, voire de sons charançonnés » (Teyssier A.,
1999).
L'instabilité des prix des céréales a un
impact considérable sur la sécurité alimentaire, sur le
cours des vivriers, sur la trésorerie des producteurs et des
commerçants. Par exemple, la pénurie alimentaire qui a
sévi à l'Extrême-Nord pendant la période de soudure
de 1998 a été l'occasion pour les spéculateurs de
réaliser de somptueux bénéfices. En 1999, ces mêmes
spéculateurs et quelques groupements de producteurs qui se sont
lancés dans le stockage spéculatif, connaissant mal le
marché des céréales, sont sortis endettés,
ruinés et désillusionnés.
Les prix des céréales sur les marchés de
l'Extrême-Nord du Cameroun connaissent donc des variations inter et intra
annuelles fréquentes. Ainsi en 1998, une disette a sévi dans le
département du Mayo-Danay. Les prix des céréales
atteignaient des records alors qu'il y avait les céréales sur les
marchés. La mercuriale de la Délégation d'Arrondissement
de l'Agriculture a relève jusqu'à 55 000 Fcfa en août 1998
pour un sac de sorgho à Doukoula, alors que le même sac
était de 6 000 Fcfa en août 1999 sur le même marché.
Sur le marché de Bogo (d'après les relevés du DPGT), le
cours du sac de sorgho a atteint 30 000 Fcfa le 12 septembre 1998, alors qu'il
était inférieur à 10 000 Fcfa l'année
d'après à la même époque. En plus, les prix des
céréales diffèrent d'un marché à un autre. A
Doukoula en 1998, le sac de sorgho était de 55 000 Fcfa alors
qu'à Bogo le même sac coûtait 25 000 Fcfa.
Ces illustrations montrent que les flambées des prix
provoquant de graves crises alimentaires sont survenues à
l'Extrême-Nord sans que l'état de disponibilité ne suffise
à les expliquer. Ceci nous amène à nous interroger sur
l'importance de chaque facteur sur l'instabilité du marché des
céréales dans les différentes parties de cette
région. Dans ce climat où règnent le paradoxe et
l'équivoque, une étude minutieuse s'impose pour faire surgir les
multiples paramètres qui interviennent et pour mener à partir
d'eux, de nouvelles lectures de faits sans cesse plus complexes. Les enjeux
sociaux, économiques et politiques du marché des
céréales sont bien trop importants dans cette partie du pays pour
mériter notre motivation à réaliser cette étude.
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