4.4. Les difficultés des travaux :
La plupart des familles ne peuvent pas travailler en
même temps dans leurs différentes exploitations. Ils auraient
pourtant besoin de construire des cabanes à essart et à
rizières irriguées, des barrières de protections des
rizières irriguées, de reconstruire les canaux d'irrigation et
les digues en même temps que de sarcler avant les semis de riz et de
maïs.
Dans ces cas, la main d'oeuvre suffisante et l'entraide
villageoise manquent cruellement.
Selon les villageois, les travaux les plus pénibles
sont les défrichages et sarclages de bambou, épineux,
broussailles et hautes herbes qui poussent très rapidement (1 m de
hauteur en 1 an). Ils sont conscients que ces types de
végétations n'apparaissent qu'avec une friche de courte
durée, trois à cinq ans au plus. C'est essentiellement sur les
essarts-jardins de maïs, coton, tabac, sésame et
légumineuses que l'exploitation est intensive,
sédentarisée sur une même parcelle. Seules les
périodes de soudures (les paysans qui possèdent deux champs par
saison, peuvent choisir de ne rien cultiver sur une des deux parcelles durant
la saison sèche) permettent à la parcelle de se reposer et
à la végétation de friche courte de repousser.
171 Pa lao en langue lao.
172 La biomasse aérienne accumulée pendant la
friche en éléments minéraux est directement exploitables
après brûlis par les cultures, même si une large partie est
perdue avant le développement des cultures. Durant la friche,
l'érosion reste limitée du fait de l'absence de travail du sol,
de la couverture arborée permanente qui protège des pluies et de
l'enracinement profond des arbres qui retiennent les sols. La friche de longue
durée réduit la stock de graines de mauvaises herbes en abaissant
leur pouvoir de germination. La fonction de l'écosystème qu'est
la friche remplace la circulation superficielle de l'eau par une circulation
verticale qui contribue au développement de la biomasse et à la
structuration des sols. O. Ducourtieux 2006 : 36.
173 De Rouw 1995 ; Roder et al. 1997a.
Travailler dans ce type de parcelle est éprouvant.
D'abord pour la chaleur étouffante de cette période sèche
et de l'absence d'ombrage, du manque d'eau potable en quantité
suffisante pour s'hydrater aux champs, mais aussi pour les difficultés
à couper les graminées à raz le sol, à retirer,
sans abîmer le sol, les longs réseaux de racines de surface
inutiles au maintient d'un sol peu friable car peu pentu. Il faut atteindre les
pieds piquants des broussailles pour les sectionner d'un coup de poignet, se
tenir en équilibre avec des nu-pieds sur les parties des pentes friables
où logent parfois des insectes, des fourmis, des serpents...
Le travail se fait assez rapidement pour arriver vite au
sommet de l'essart, se reposer à l'ombre, boire, fumer ou redescendre se
baigner dans la rivière.
Au village, il y aurait beaucoup d'herbes à
jachères174 hautes d'un maximum de 3 mètres.
C'est pourquoi il est important, de désherber avant les
premières pluies du mois d'avril pour ne pas que les herbes
déjà hautes retrouvent une nouvelle vitalité après
la saison sèche et n'obligent à un désherbage
éreintant et long.
Selon le jeune marié, le plus difficile est le
débardage et le brûlis des derniers tas de bois pour faire un
champ propre à la culture.
Le mois le plus pénible en terme de chaleur est le mois
d'avril qui correspond d'ailleurs au débardage, aux derniers
brûlis puis au désherbage.
Dans sa famille, le désherbage s'effectue environ 3
à 4 fois aux mois d'avril (sarclage d'avant semi de riz pluvial qui
s'associe au débardage) de juillet et août (sarclage
d'après semi).
Ils savent bien qu'un désherbage moins fréquent
et rapidement effectué nuirait aux récoltes. Les herbes qui
croient rapidement empêcheraient les plants de voir le soleil et donc de
se développer.
Pour le travail de désherbage la famille ne
possède pas de bêche et faute de posséder des machettes
à lames recourbées spécialement conçues pour le
désherbage, ils utilisent des machettes à lames droites qui
atteignent tout juste sept ans d'utilité, ce qui implique un rachat
fréquent des outils de mauvaises qualités.
Avec les machettes à lames droites le travail de
désherbage devient éreintant sous la chaleur. Les travailleurs
sont obligés de courbés beaucoup plus le dos qu'avec les
machettes à lames courbées. La lame droite doit couper les herbes
le plus bas possible de la tige portant des coups rapides grâce à
un fouetté du poignet. Cette procédure ne peut s'effectuer avec
la machette à lame droite qu'en se baissant pour que la lame puisse
sectionner d'un coup les tiges.
Le travail de déracinement est tout aussi
éprouvant puisqu'il faut couper les racines pour qu'elles meurent. La
lame droite abîme plus le sol que ses cousines à lames
courbées qui coupent les herbes puis les racines en frôlant
parfaitement le sol sans l'abîmer.
Parfois, pour éviter de se fatiguer à des
tâches de déracinement, ils laissent les animaux (chèvres
et bovidés) entrer dans les parcelles désherbées pour les
laisser manger les restes de racines et d'herbes.
Ils pensent perdre du temps lorsqu'ils ont beaucoup de travaux
à faire en même dans une courte période avant les pluies et
les dates traditionnelles. Selon le jeune marié, ils perdent du temps
à cause d'un manque de main d'oeuvre, d'un manque d'entraide, d'un
manque de moyens extérieurs aux techniques locales, des mauvaises
prévisions météorologiques et de l'histoire de
174 mai hoc en langue lao.
l'essart qui a rendu la terre infertile et ne laisse
désormais pousser que des herbes hautes difficiles à
maîtriser, demandant un long travail pénible qui empêche
pendant ce temps de construire les cabanes d'essarts, les barrières de
champs, la rénovation des digues et canaux d'irrigation des
rizières...
Monsieur Paeng pense ne pas perdre de temps. S'il en perd,
c'est qu'il doit parfois attendre les changements météorologiques
durant les périodes climatiques extrêmes, en cas d'insuffisance ou
de surabondance de pluie.
Selon lui la météorologie est le facteur
primordial jouant sur la réussite des récoltes. Malgré la
possession de bonnes terres, la gestion réussi des travaux, « nous
dépendons trop de la nature ». Le second facteur se trouve
être la qualité des semences. Monsieur Paeng dit que les semences
qui viennent de l'étranger ne sont pas de bonnes qualités.
Pour vaincre ces problèmes, il prévoit dans les
années à venir de préparer le sol, chose qu'il n'a jamais
faite, afin de ne plus dépendre de la nature pour vivre.
Si Monsieur Paeng avait à recommencer sa vie, il
choisirait de cultiver des rizières et de planter des arbres pour la
rente. Il dit être disponible pour changer de pratique agricole mais
attend que les autorités proposent des alternatives.
Les risques les plus fréquents pour sa famille sont de
perdre les récoltes pendant la saison des pluies. Après neuf mois
de saison sèche étouffante et asséchante, la pluie tombe
durant trois mois, en grosse quantité, délavant les sols,
créant une érosion régulière sur tout le territoire
et emportant les cultures dans des coulées de boues, obligeant
très souvent à replanter des semences. Le manque de soleil
précédent un trop plein de pluies durant les mois de juillet et
août, le climat ne permet pas aux cultures d'essarts de s'épanouir
convenablement. Si depuis cinq ans, chaque année, la saison des pluies
est en retard, il arrive aussi que des pluies surviennent trop tôt,
humidifiant les abattis qui séchaient, ne permettant plus de pouvoir
brûler en temps voulu.
Un autre risque provient des animaux domestiques errants sur
le territoire à la recherche de quelques plantes comestibles
accessibles. Une perte de temps dans une étape du procès agricole
ne permet pas de confectionner les protections (barrières,
pièges...) contre les animaux en temps voulu. Heureusement pour la
famille interrogée, leurs champs se situant à 50 minutes du
village, ils sont peu confrontés aux dégradations animales
provenant du village trop éloigné. S'ils ne trouvent pas le temps
de construire leurs barrières, ils ne les construisent pas.
L'élevage est aussi touché par les risques. Les
animaux s'endorment au milieu de la piste ou traverse à n'importe quel
moment provoquant ainsi des accidents. Depuis 1995, 11 buffles ont
été tués par accidents.
Toujours selon le jeune marié de mauvais outils (la
lame qui se détache fréquemment du manche, qui se casse
facilement sur du bois dure ou des cailloux pendant le désherbage et qui
oblige à l'aiguiser toutes les deux heures) font perdre de la main
d'oeuvre qui n'a plus d'outils pour travailler et qui doit utiliser parfois des
branches pour ratisser et des machettes à lames droites pour
désherber ou rentrer à la maison.
Après observations, la santé des travailleurs
paraît être un facteur important de la main d'oeuvre. Un manque
d'accès aux soins peut être à l'origine d'un manque de main
d'oeuvre
valide, d'une perte de temps sur le calendrier agricole et donc
d'une récolte très mauvaise. 5. Synthèse :
Le bon fonctionnement du système agraire villageois ne
semble pas être d'actualité.
Les savoirs et savoir-faire locaux qui semblent adaptés
aux conditions climatiques du milieu175 et respecter les forces
naturelles auxquelles sont soumis les villageois176 ne
résistent pas sous les pressions politiques et
socio-économiques177.
La zone d'étude est l'illustration d'un village
ciblé pour son développement par les autorités laotiennes
qui ont y relocalisé des familles depuis plus de 10 ans.
Comme très souvent deux analyses se confrontent.
Officiellement, les déplacements ont été
volontaires, l'entraide entre les différents groupes ethniques a
fonctionner, aucun conflit n'a eu lieu, le village de Bouamphanh se serait
développé avec des conditions de vie meilleures que dans les
villages de départs, des terres fertiles seraient encore libres
d'être exploitées, les villageois coopéreraient en grande
majorité aux réformes agroforestières et les responsables
agroforestiers seraient très tolérants vis à vis des
défriches illégales.
Le diagnostic entrepris montre une autre facette de ce beau
tableau.
Les aléas climatiques et la géomorphologie des
terrains n'offrent aucune garantie aux paysans pour avoir de bonnes
récoltes.
La pression démographique n'est pas prise en compte par
les autorités qui poursuivent les pressions pour éradiquer les
pratiques d'abattis brûlis (1 ha d'essart par famille). Les villageois
commencent à ressentir l'éloignement des champs,
l'épuisement des ressources forestières et le manque de parcelles
fertiles à cause d'une réduction des temps de friches (4 ans en
moyenne) et d'une augmentation des temps et des surfaces de culture de
maïs.
Des tensions apparaissent avec les écarts sociaux qui
grandissent178 et un manque d'intégration des populations
allogènes aux prises avec des ségrégations
ethniques179.
Le village de Bouamphanh ne semble pas s'être
développé au regard des données statistiques de 2001 et
des données économiques de 2006.
Malgré la densité démographique, la
quantité de travail par actif ne permet pas d'assurer les travaux
agricoles. Ce paradoxe s'explique par un assolement dispersé, une
volonté politique d'adapter les cultures paysannes aux besoins du
marché libéral en privatisant le foncier, en développant
une culture de rente de maïs et d'arbres destinés à la
vente, accroissant le salariat intra-villageois qui amenuise l'entraide
villageoise et ne permet plus aux familles d'avoir assez
175 Voir les sous chapitres : << Choix des parcelles :
Appréciation de leur qualité », << L'itinéraire
techniques », << Le riz et le maïs », << la
météo comme instrument de travail ».
176 Voir les sous chapitres : <<La religion »,
<< les tabous alimentaires », << le calendrier agricole
»,
177 Voir les chapitres : << L'environnement
socio-économique », << Les raisons du résultat
négatif de l'allocation des terres », << Les
conséquences de la loi d'allocation des terres », <<
L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi
d'allocation des terres », << La situation de Bouamphanh »,
<< L'affaiblissement de l'entraide »,
<< Les outils ».
178 Les nouveaux arrivants sont défavorisés par
rapport à leur inexpérience du finage, à leur
inaccessibilités aux meilleurs parcelles par rapport aux familles
héritières du village ainsi qu'aux familles liées aux
autorités.
179 Illustrations des préjugés et
ségrégations ethniques dans les sous chapitres : << la
langue », << les mariages »,
<< localisation sociale au village », << les
élections », << L'organisation du travail : Affaiblissement
de l'entraide »...)
de main d'oeuvre disponible pour leurs travaux. Ce manque de
main d'oeuvre se ressent essentiellement durant la période des pointes
de travail (d'avril à juillet) qui densifie le calendrier agricole et
illustre la limite de l'efficacité du système.
Les mauvais résultats de l'allocation foncière,
les statistiques laotiennes peu sérieuses et leurs analyses rapides, les
changements de termes pour qualifier les mêmes pratiques d'abattis
brûlis, la poursuite des coupes massives illégales mais
organisées, illustrent les paradoxes politiques dont font preuves les
autorités laotiennes. Les premières motivations louables
d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis et de développer
les zones rurales ressemblent désormais à « l'arbre qui
cache la forêt >>. Le gouvernement laotien souhaite libérer
des zones forestières de leurs habitants pour exploiter plus librement
les forêts national. Il est aussi très probable que les
déplacements de populations montagnardes soient motivées par la
volonté d'en faire des citoyens laotiens soumis aux lois nationales. La
réduction des pratiques sacrificielles et la fréquentation des
chamanes en sont des illustrations. Une perte des particularismes ethniques est
en train de s'opérer pour les bienfaits de quelques laotiens au
pouvoir.
Ces déplacements près des routes permettent
d'amortir les frais d'infrastructures sanitaires et sociales et surtout de
mieux contrôler les surfaces défricher.
Les bailleurs de fonds internationaux attendent des
résultats de l'économie laotienne et le gouvernement laotien
tente de les atteindre rapidement, trop peut être.
Des études récentes commandées par ces
organismes d'aides financiers commencent à montrer l'échec des
politiques libérales dans un pays longtemps habitué à la
gouvernance socialiste, majoritairement agricole et où vivent de
nombreux groupes ethniques montagnards.
Il semble que la situation de crise économique et
sociale actuelle déteigne sur le milieu naturel local. Les paysans
touchés par des pressions foncières importantes se retrouvent
avec moins de ressources pour vivre et « apparaissent comme des
concurrents des espaces forestiers. La forêt apparaît comme un
obstacle au développement agraire et les arbres comme des reliques
forestières et des signes de manque d'intensification agricole
>>180.
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