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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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4.3.4. Technique de brûlis154 :

Le brûlis s'effectue durant la période la plus sèche de la l'année et de la journée, vers 13 heures, au moment où souffle un vent sec et où les bois abattus seront les plus facilement inflammables. Cela permet au feu de ne durer qu'une petite demi-heure. Traditionnellement, il faut que les champs soient brûler avant le nouvel an lao. Les brûlis ont donc lieu les 10, 11 et 12 avril de chaque année.

Les villageois allument de fines tiges de bambous coupées, longues de 2 à 3 mètres à l'aide d'un briquet et font démarrer les brûlis aux endroits les plus exposés aux vents, où il y a de la pente et du bois très sec. Ils évitent de faire partir les feux sur les herbes afin d'avoir de grandes flammes que le vent attisera rapidement. La direction des flammes, la gestion du brûlis est fonction du vent. Le bois très sec, la pente et le vent créent un impressionnant brasier qui monte très vite dans le versant.

Les villageois ne peuvent que prévoir les départs du brûlis et se préparer à d'éventuels changements de direction du vent en fauchant la végétation périphérique de l'abattis pour créer un couloir de sécurité où les flammes ne pourront brûler quoi que se soit et se propager dans la végétation voisine. Afin de sécuriser le brûlis, les hommes sont nombreux (5 à 6 personnes par parcelle), prêts à éteindre les flammes. Chacun doit être muni d'une machette pour pouvoir couper des branches susceptibles d'être brûlées et s'en servir pour éteindre les flammes indésirables. Ils éloignent tous les produits inflammables qui peuvent se trouver dans les habitations à proximité des brûlis. Des étincelles volent très loin emportées par le vent et peuvent redescendre sur ces produits inflammables. Il n'y a jamais eu d'incendies accidentels à Bouamphanh car les villageois font très attention à la sécurité et surtout à ne pas devoir payer une amende pour avoir incendié des emplacements de forêts protégées.

Pourtant, en périphérie des brûlis sont toujours calcinés les alentours des forêts adjacentes. Olivier Ducourtieux a calculé qu'une bande d'un ou deux mètres sur tout la périphérie des forêts avoisinantes revenait à brûler inutilement 1,3 % de la surface cultivée de chaque parcelle soit pour le village de Bouamphanh : 0,37 ha des 350 ha défrichés chaque année.

Pour que le brûlis soit réussi, «il faut que tous les arbres, herbes et graines soient brûlées » afin d'éviter la repousse des herbes adventices durant les cultures. La qualité des brûlis se jugera au désherbage. Si beaucoup d'adventices sont à éliminer, il existe plusieurs raisons qui peuvent s'associer selon Monsieur Paeng. Le séchage après la coupe n'a pas duré assez longtemps, les arbres n'ont pas été correctement enchevêtrés pour bien sécher puis brûler, les flammes n'ont pas bien brûlé, l'essart prêt à être cultivé n'était pas assez «propre », délesté des masses végétales partiellement brûlées qui favorisent le retour des herbes.

Les femmes et les enfants ne participent pas à ce travail de brûlis. Monsieur Paeng dit que les villageois ont peurs des accidents et que pour cette raison, il n'y a que les hommes qui brûlent les abattis. Les femmes et les enfants restent en arrière pendant les opérations. Les garçons peuvent seulement se rendre dans l'abattis une fois les grandes flammes éteintes. Ils aident à éteindre les dernières braises et ramènent parfois des animaux morts, étouffés ou calcinés. Leurs grands frères s'y rendent aussi accompagnés d'un fusil pour chasser les animaux apeurés.

Si le brûlis est considéré par les villageois comme le travail le plus dangereux, obligeant à être

154 djoud pa en langue lao.

très attentif, il est aussi le plus attendu par les villageois, symbolisant par un feu toujours surprenant mais producteur, le passage de la forêt au champ, de l'anarchie végétale au terrain clair humanisé, le passage de l'état de nature à celui de culture. Ne demandant pas d'achat particulier d'outil et relativement facile et rapide à exécuter, le brûlis est le travail préféré des villageois. Cependant le brûlis est le plus dangereux des travaux, celui dont les paysans ont le plus peur.

Le choix des jours du brûlis se font selon divers facteurs. D'abord, en fonction des voisins akha qui habitent en amont de Bouamphanh. Pour éviter tout feux accidentels venues des parcelles brûlées précocement chez les Akha plus en amont, ainsi que pour éviter toute pollution due aux semences colonisatrices plus précocement plantées chez les Akha, les villageois de Bouamphanh choisiront de brûler leur abattis juste après leur voisin. Ensuite, ils préféreront les jours kaa, Ouaï et Cut de leur calendrier. Ces jours sont bénéfiques, recommandés par la tradition (les anciens, le chamane...), pour les grands et «beaux » brûlis.

Le choix des dates de brûlis se fait aussi selon les conditions météorologiques du moment. En 1995, la pluie arriva plus tôt que prévu (avant le 12 avril, premier jour du nouvel an lao). Personne n'avait alors commencé à brûler et les cultures furent maigres et de très mauvaises qualités.

Pour que le brûlis n'incendient pas les forêts voisines, les paysans débardent et défrichent souvent la périphérie de leur abattis, créant des couloirs coupe-feu de 10 m de largeur. Ces couloirs ne sont pas toujours mis en place. Si la végétation voisine est une friche herbeuse, sèche, il conviendra de faire un couloir. Dans l'autre cas, la végétation arbustive et verte ne pourra pas être incendiée.

A la fin du brûlis, les jeunes vont éteindre les derniers feux et tenter de récupérer ou chasser des animaux morts ou apeurés dans le brûlis.

Après cela, les villageois ne reviennent pas dans les brûlis durant 2 à 3 jours après leurs extinctions.

Selon eux, ils risqueraient d'avoir de mauvais sorts, comme des maladies ou de mauvaises récoltes. Le brûlis récent semble donc symboliser pour eux un lieux où les mauvais sorts pourraient s'abattre.

Noir, noircissant, asphyxiant, chaud, désertique, le brûlis paraît être l'incarnation d'un lieu horrible où tout fut brûler et n'est plus que cendres.

Les paysans interrogés sur les raisons de brûler les jours conseillés par leur calendrier, y voient un signe du pouvoir puissant des ancêtres défunts, de leurs consentements à favoriser les travaux des paysans. Les couleurs du brûlis, la vitesse, les mouvements, la taille du brûlis, sa dangerosité et sa finition sans dommage humains sont autant de justifications pour juger d'un bon brûlis et pour savoir si le village est sous de bons auspices.

4.3.5. L'éclaircissage du brûlis ou le débardage155 s'effectue 4 ou 5 jours après le brûlis. Il faut compter un maximum de 15 jours et un minimum de 7 jours. Les villageois ramènent environ 5 à 7 m cube de bois non consumer du brûlis au village pour s'en servir au foyer. Ils n'en vendent pas aux voisins comme peuvent le faire certaines ethnies pour approvisionner les villes. Les bois non consumés étaient très souvent isolés dans la parcelle brûlée. Ils n'ont donc

155 haa hay ou huu mai en langue lao.

pas été brûlés totalement. Ce travail difficile de débardage montre combien il est important de couper au bon moment pour pouvoir laisser sécher un bon mois avant l'arrivée de la pluie et ainsi pouvoir brûler correctement.

Un débardage de 15 jours raconte aussi que beaucoup de bois n'ont pas brûler, preuve qu'il est important de regrouper les arbres en les faisant tomber les uns sur les autres lors de la coupe afin d'éviter les espaces et un mauvais brûlis.

Type de brûlis trop rapide qui n'a pas bien consumer l'abattis.

Monsieur Paeng doit débarder avec 15 à 20 personnes dont toute sa famille pour faire des allers et venues dans le brûlis. Il n'y a pas de division sexuelle, générationnelle ou particulière du travail comme on peut retrouver pendant d'autres travaux. Ils regroupent les bois, en sélectionnent quelques-uns qu'ils ramèneront et utiliseront au foyer et brûlent par petit tas tout le reste de végétation (herbes, brindilles, jeunes pousses, gros bois) restante. Le débardage commence d'abord par les gros bois qui encombrent le champ et empêchent de débarder les petits bois. Il leur faut 2 km aller et retour pour ramener les bois à la maison.

Pour le travail d'éclaircissage du champ qui évoque soit un débardage, soit un sarclage soit les deux combinés, Monsieur Paeng utilise des machettes à lame droite et courbées ainsi que des pioches pour ratisser les herbes et plants encore vivants. Les machettes à lame courbées coûtent aussi entre 10.000 et 20.000 kips, selon les qualités. Ils ne déracinent pas mais bêchent à 2 ou 3 cm en profondeur. Le sol calciné s'érode facilement devenant poussière. Les racines permettent de tenir la terre dans certains versants. Ils ne déracinent donc pas les racines serpentants en surfaces, mais devront désherber intensivement lorsque les racines auront redonné des adventices.

Les difficultés de ce travail sont dues à la sécheresse. La chaleur oblige bien souvent les travailleurs à ne travailler que le matin et à pêcher, préparer les haies et cabanes de champs, rester aux travaux du foyer ou se reposer l'après-midi. Le combat contre la chaleur déséquilibre celui contre le temps. Un travail qui prenait normalement entre 7 et 15 jours pleins devient un travail de longue haleine de plus d'une vingtaine de demi-journées. Le risque est de se

rapprocher trop près de la période des premières pluies et ainsi de ne pas avoir le temps de sarcler les dernières herbes, de les faire sécher et des les brûler avant que les pluies ne ressourcent les adventices qui en quelques jours redeviennent de véritables prédateurs de cultures. Un sarclage et un débardage trop lent par la faute de la chaleur peuvent obliger à un second sarclage après le passage de premières pluies. Lorsque l'on sait qu'il faut entre 15 et 20 personnes à salariés 10.000 kips la journée par personne, un second salariat ou un travail solitaire très lent et pénible de sa part deviendraient presque dramatiques pour ses cultures et la survie de sa famille. C'est pourquoi Monsieur Paeng a demandé à 4 élèves de venir l'aider une journée dans son essart. Sa femme a réussi à persuader les enfants d'aller aider son mari.

Il faut ajouter aussi que les paysans peinent vite sous le soleil. Ils gardent des gants, des manches longues, des chapeaux et parfois même des foulards pour ne pas que leur peau brunisse au soleil. La valeur qu'ils accordent à la peau blanche est plus importante que l'on croit. Etre brun de peau signifie être un paysan, un pauvre. Les villageois souhaitent restés blanc de peau et rendent le travail au champ encore plus pénible qu'il ne l'est déjà. Il faut souffrir pour être beau. Les femmes et les filles sont les plus attentives à ne pas brunir. Certains hommes, surtout mariés, ne font plus d'efforts pour se protéger du soleil, étant conscients qu'il s'agit de beaucoup d'effort pour quelques futilités esthétiques.

selon le jeune marié, certaines espèces de bambous et de bois doux, abattus, calcinés en partie puis débardés des champs sont utilisés pour les cabanes et les barrières de protections des champs. Si il en reste encore, ils seront utilisés pour rénover des parties de l'habitation principale ou seront vendus aux voisins, mais seront très rarement utilisés pour le feu. La vente des espèces de bois mai craa, mai say, mai couang deng156 (en langue lao) trouve essentiellement une clientèle lao venant des villages installés à des altitudes plus basses. Les prix de ses espèces varient de 2500 à 3000 kips pour 5 mètres cube en moyenne, mais peu atteindre 15.000 kips pour la même quantité s'il s'agit de bois rares et robustes comme le mai sao157, utilisés pour les pilotis ou les poteaux centraux des maisons.

Tous les bois restant après brûlis ne sont pas débardés. Ils laissent en place les souches enracinées (ne dessouchent que pour construire des rizières irriguées ou des bassins piscicoles) et des troncs entiers en travers du versant pour favoriser la germination et la qualité des plants. Ils plantent à proximité de ces bois fertiles essentiellement des légumes. Ces troncs allongés et les souches enracinées permettent aussi un bon retour des arbrisseaux de jachères.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo