4.3.2. Technique de coupe152 :
Selon Monsieur Paeng, la coupe des grands arbres est
pratiquée en faveur d'une bonne récolte. Il vaut mieux couper
tous les arbres, n'en garder aucun.
Chaque année, durant 10 à 15 jours, il a besoin
de salarier 25 à 30 personnes pour la coupe. D'habitude il commence le
premier mars de chaque année parce qu'il doit brûler son champ
avant le nouvel an lao (du 12 au 16 avril).
Cette année, les autres villageois avaient
déjà défriché lorsque Monsieur Paeng
commença a défricher une semaine avant le nouvel an. Il ne fit
donc pas comme ses voisins, mais cela s'explique par la nature de la friche
d'essart-jardin à couper. Cette dernière était
âgée d'un an, ne possédant qu'une végétation
herbacée. L'herbe coupée juste avant la limite acceptable du
nouvel an, fut donc rapidement sèche et brûla le 11 avril, la
veille du Jour de l'An lao. Cependant, cette action signa la
marginalité, l'individualisme de Monsieur Paeng, qui ne faisait pas
comme ces voisins et risquait de s'approcher temporairement trop près
des premiers orages interdisant tout brûlis, de chevaucher les dates
limites traditionnelles et d'une certaine façon les habitudes
respectueuses des traditions, des esprits et de leurs sentiments vis à
vis des mauvaises façons de faire. Monsieur Paeng ne s'en souciait pas,
au contraire de ses voisins. Il réussit le tour de force de gérer
lui-même le choix de la date de défrichage, sans le calendrier
traditionnel et avec ses connaissances et adaptations personnelles
limitée de la météorologie.
Il n'y a pas de répartition du travail. Tout le monde
travaille ensemble, en ligne, du bas vers le haut de l'essart, coupant
partiellement trois arbres en montant, puis un arbre entièrement qui
s'écroule sur les autres et fait tout tomber comme des dominos. Les
travailleurs suivent les choix du propriétaire qui choisit souvent de
commencer la coupe dans le bas de l'essart à un endroit où il y a
le moins d'arbres à couper, pour pouvoir commencer doucement la
coupe.
Le travail dans son essart n'est pas ressenti comme
énormément éprouvant car il y fait frais grâce
à l'humidité des ruisseaux proches et aux grands arbres, et les
déplacements sont faciles grâce à la présence des
grands arbres et non des herbes.
Les difficultés des travaux de coupe viennent des
dangers que l'on doit éviter en portant des chaussures et des gants sous
une chaleur de saison sèche, déséquilibré par une
pente parfois très raide et circulant dans une végétation
parfois épineuse, augmentant encore la pénibilité du
travail.
Monsieur Paeng comme d'autres villageois parlent souvent de la
fatigue153, de la pénibilité du
152 thang pa en langue lao.
153 muai lai en langue lao.
travail. Leurs objectifs quotidiens sont de travailler rapidement
à leurs activités puis de rentrer se reposer, manger et passer
une bonne soirée entre amis.
Seuls les enfants ne participent pas à la coupe, trop
dangereuse pour eux. Il y a 19 ans, une jeune fille de 6 ans se trouvait dans
un essart en train d'être coupé et reçu un tronc qui
s'abattit sur sa tête. Elle tomba longtemps dans le coma et devint sourde
et muette. Aujourd'hui Mademoiselle Sang ne vit plus au village. Elle a
déménagé en ville et revient quelques jours par an voir sa
mère, seule avec les cadets. Mademoiselle Sang n'apprécie
guère le milieu rural dans lequel elle est née mais a, par-dessus
tout, peur de se rendre en forêt. Les travaux de coupe sont donc
considérés comme dangereux, essentiellement pour les enfants,
mais un manque de main d'oeuvre et d'engins mécaniques les oblige
à aider leurs parents.
Tout le monde amène sa machette à lame droite.
Un villageois se propose d'aiguiser les lames les jours
précédents la coupe. Ses parents Il recevra pour une
journée de travail, environ 3000 kips. Aux champs, les travailleurs
aiguisent leurs outils à peu près toutes les heures et demies.
Une machette de mauvaise qualité (environ 10.000 kips) peut ne
s'utiliser que 5 jours après avoir été endommagé
durant la coupe. Les meilleures machettes à lames droites doivent,
selon
Monsieur Paeng, avoir 4 cm de large, 35 à 40 cm de long
et 1.3 cm d'épaisseur. Le manche oàest fourré
la lame doit être en bambou et non en bois. Ces machettes de
qualité proviennent de
Thaïlande, coûtent 20.000 kips et les machettes de
qualités moyenne coûtent 18.000 kips et viennent de Chine comme
les outils de mauvaise qualité. Ces prix élevés pour des
villageois khamou obligent souvent à préférer acheter des
machettes à 10.000 kips de mauvaises qualités. Tous les
villageois utilisent pratiquement les mêmes machettes, s'approvisionnant
dans les marchés locaux.
La coupe ou le défrichage de parcelles correspond au
premier travail du paysan. Cette première étape
déterminera l'évolution des travaux. Le choix des dates de coupe
sont fonctions de multiples aléas. D'abord fonction des obligations
traditionnelles : les jours de coupe ne coïncident-ils pas avec le jour
des parents défunts et le jour de l'hommage aux esprits du village,
dates auxquelles tout travail est interdit ?, les aléas sociaux : la
main d'oeuvre est-elle disponible aux bons moments ?, le paysan respecte t-il
le milieu traditionnel dans lequel il vit et travaille ?, a t-il
l'expérience de la coupe, du terrain ? Il faut absolument couper les
arbres de manière à ce qu'ils se chevauchent les uns sur les
autres et qu'il n'y est pas d'espaces vides. Toute la parcelle doit être
un amas de bois, de feuilles et d'herbes. Dans ces conditions, le feu
d'après séchage consumera de façon régulière
l'abattis et ne laissera pas de bois seuls à rebrûler.
Pour faire chevaucher les arbres de l'abattis, les paysans
commencent toujours par couper les arbres de bas de la parcelle pour remonter
vers le haut. Ils ne coupent pas tous les arbres entièrement. Ils
attaquent à 1 m-1,40 m les deux cotés des troncs de 3 arbres qui
se superposent et coupent entièrement le quatrième qui tombe sur
les trois du dessous. Les paysans conservent ainsi leur énergie pour les
longues journées dans l'abattis.
4.3.3. Le séchage prend, selon
Monsieur Paeng, entre 30 et 40 jours. Durant cette période, les
villageois préparent des herbes à paillotes pour construire une
cabane dans chaque champ et préparer des bois pour faire des haies de
champs protectrices des prédateurs.
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