4.3. L'itinéraire technique148 :
4.3.1. Le choix des parcelles : Appréciation de
leurs qualités :
Le sommet des reliefs est parfois cultivé selon la
qualité des sols. Les villageois n'ont pas fait de
références à la présence ou non d'esprits à
ne pas déranger comme on peut le rencontrer chez d'autres groupes
ethniques. Les essarts pluviaux n'étant pas payants, une fois les
décisions connues du conseil des anciens à propos des zones du
finage où il n'est pas possible de cultiver cette année, chaque
chef de famille juge si il est convenable de cultiver une parcelle plutôt
qu'une autre. Chacun se fie aux indices de la friche qui lui permettent de
prendre la décision de la cultiver ou non.
Le jeune marié pense que son essart pluvial est de bonne
qualité.
Il est fait d'un sol de couleur noir, de terre
argileuse-sableuse. Cela lui paraît convenable pour planter du riz.
Son essart-jardin est selon lui de bonne qualité
puisqu'il est composé d'une terre de couleur rouge faite d'argile et
d'une végétation épineuse qui y pousse. Tout cela est
compatible avec la plantation de sésame149 et de
maïs.
Beaucoup de terres à Bouamphanh sont argileuses, rendant
les villageois heureux d'avoir des parcelles fertiles, mais dangereuses pour
les risques de leur friabilité régulière.
Selon le jeune marié il n'y aurait plus beaucoup de
terrains fertiles disponibles pour de nouveaux arrivants. Toutes les bonnes
terres sont désormais occupées du fait de la réduction des
surfaces autorisées à être cultivées.
Le jeune marié souhaiterait que le village soit encore
plus étendu qu'il ne l'est aujourd'hui. Les nouveaux arrivants n'ont
désormais plus de rizières irriguées disponibles ni
d'essarts à moins d'une heure des maisons, ce qui les obligent à
dormir dans leurs cabanes pour chaque travail à y effectuer.
Le jeune marié ajoute ensuite que coule un ruisseau au
pied de ses essarts, ce qui permet à ses champs d'être
relativement plus humides que d'autres champs sans eaux à
proximités.
Les meilleurs champs sont d'ailleurs toujours à
proximité des cours d'eau, mais ils appartiennent aux habitants
originaires de la localité et qui ont hérité de ces bons
emplacements.
Ses essarts sont exposés à l'Est. Il pense aussi
que cette exposition est bénéfique pour avoir une chaleur et une
lumière matinale dans ses champs et des orages l'après-midi.
147 O. Ducourtieux, 2006.
148 « La suite logique et ordonnée
d'opérations culturales appliquées à une espèce
végétale cultivée permettant de faire la part vis à
vis d'un rendement de ce qui provient des techniques et de ce qui
résulte du milieu et de ses interactions avec les techniques ».
Sébillotte 1990 : 166.
149 mac mangua en langue lao.
Les sols exposés à l'Ouest auraient le soleil plus
asséchant l'après-midi accompagné d'orages en fin de
journées qui lessivent les sols et créent l'érosion
très fréquente dans la localité.
Une bonne terre est symboliquement ce qu'il nomme une
«terre froide >>, un emplacement dans un vallon, à
proximité de l'eau, ayant un soleil plus fort le matin que
l'après midi pour ne pas assécher la terre et les cultures.
Monsieur Paeng se rappelle lorsqu'il était petit qu'il
voyait ses parents travailler la terre, mais il n'est pas lui même un
agriculteur expérimenté. Depuis son mariage il n'avait pas encore
eu le temps d'exploiter ses parcelles comme il le voulait, mais depuis octobre
2005 il a acheté une rizière irriguée à un
héritier de Bouamphanh et il l'exploite toute l'année.
Il pense que la terre de Bouamphanh est bonne à
cultiver. Il est très content de ses parcelles qui sont selon lui
très fertiles pour les cultures du riz et du maïs de saisons
sèche et des pluies et qui sont près du village (5minutes). Il ne
souhaite pas en changer car il ne les a que depuis 8 mois (octobre 2005) et n'a
pas encore cultivé de riz irrigué dessus. Il souhaite donc
essayer, voir si ses prévisions heureuses sont justifiées.
Selon Monsieur Paeng et d'autres villageois, le meilleur champ
du village est une rizière. Elle se situe près du cours d'eau
Houay sang. La composition de son sol est une terre de couleur noire ayant un
mélange d'argile un peu jaunâtre. L'absence de pierres est
favorable à la culture du riz et des arbres fruitiers.
Cependant sa réelle spécificité est que ce
soit une rizière localisée à l'Ouest du territoire. Pour
lui, «les meilleurs champs n'ont pas de pentes >> et sont donc des
rizières irriguées.
Selon lui, un champ laisser sans culture plus d'un an est une
friche.
Après plus de trois ans la friche peut être
considérée comme une forêt. Cependant il existe
différentes forêts définit selon leurs
végétations : forêts de bambou, forêts d'arbustes,
forêts de grands arbres. Sa conception d'une forêt rejoint toujours
celle des autorités laotiennes qui considèrent qu'un friche
devient une forêt à protégée après 4 ans de
recrû forestier.
Dans les forêts de ses essarts, il existe environ 350
bambous et 500.000 arbres de plusieurs espèces différentes. Les
plus gros arbres mesurent environ 8 cm de diamètre.
Monsieur Paeng est conscient que pour un essart, la bonne
récolte dépend en grande partie de la présence des
espèces de la friche et de leurs tailles. De «grands arbres
>> ou «des bambous de plus de 3 mètres >> sont
bénéfiques aux bons rendements. Les herbes sont par contre
néfastes aux bonnes récoltes.
La fertilité du sol est perçue par la
présence d'espèces caractéristiques comme des bananiers
sauvages et des pousses de bambous de plus de 3 mètres, marques d'une
humidité du sol importante et donc de probables récoltes
satisfaisantes. C'est aussi le signe que les années de friche ne sont
pas le facteur principal d'une bonne récolte selon eux. Si une
végétation ayant besoin d'eau reprend, le terrain sera
considéré comme fertile même après une seule
année de jachère.
Il va même plus loin en reprenant les discours officiels
qu'il faut un temps de jachère court de 3 ans car après cette
limite couper les arbres reviendrait à assécher le terrain.
Selon lui, les racines des arbres sont profondément
encrées dans le sol pour puiser et apporter l'humidité à
la terre. Si on coupe les arbres on stoppe le circuit de l'eau et de la
fertilité.
Il ajoute que si aujourd'hui les bonnes récoltes sont
fonction de la qualité des sols et de leur végétation,
«les techniques et les engrais » modernes sont des fonctions plus
importantes des bonnes récoltes si les agriculteurs peuvent les
obtenir.
Selon Monsieur Leng, le chef du village, une friche de 4 à
5 ans a retrouvé sa fertilité grâce à une
végétation de bambous et d'épineux qui donnerait de bon
rendements de maïs150.
La terre de son essart est de couleur rouge, de très bonne
augure selon lui pour planter du maïs mais d'une mauvaise composition pour
le riz pluvial.
Cet emplacement était une friche de 15 ans à la
limite du territoire de Hongleuc, c'est à dire à 30 mn de leur
foyer.
L'âge de la friche est vu par le diamètre des
troncs. Une friche de 15 ans possède des troncs d'environ 15 cm de
diamètre.
Monsieur Leng ne possède cette année qu'une
rizière irriguée et un seul essart. Il décida tout de
même de prévoir d'associer les semis de maïs, de
légumes et de riz pluvial qui a pourtant besoin d'une terre noire, selon
le chef.
Selon le chamane, Monsieur Mao, un sol rouge composé
essentiellement de cailloux est parfait pour le maïs et le sésame
qui n'ont pas besoin de sols aussi humides que le riz.
Les sols noirs composés de cailloux sont le signe d'une
fertilité argileuse. Point trop friables, ils sont maintenus par les
cailloux.
Il pense aussi que les meilleurs champs sont les rizières
irriguées. D'abord parce qu'ils donnent plus de rendement mais aussi
parce qu'ils sont plats et non en pente, sujets à l'érosion.
La présence d'épineux151 à
défricher est mauvaise pour la parcelle.
Comme son voisin Monsieur Paeng, il pense que les parcelles se
trouvant à l'Ouest du territoire sont très fertiles car on y
défriche de grands arbres et une forêt arbustive plus dense car
plus humide qu'ailleurs. A l'Est, les sols sont secs, il y fait chaud, la
friche est herbacée, les terrains donnent de mauvaises récoltes.
Trop exploités, l'humidité à presque totalement disparue
de ces emplacements. La végétation arbustive a beaucoup de mal
à s'y développer. C'est pourquoi on trouve beaucoup
d'essarts-jardins de maïs à l'Est, avoisinant le territoire des
Akha et des essarts de riz à l'Ouest.
Plusieurs indices permettent donc de juger de la
fertilité d'une parcelle lorsqu'elle est encore une friche : la
composition des terres (les sols de couleur rouge, signe de présence
d'argileux semblent bénéfiques à la culture du maïs
et du sésame tandis que les sols noirs sont favorables à la
culture du riz pluvial. La présence de pierre est parfois perçue
comme bénéfique pour le maintient des sols en culture de
maïs), la topographie des parcelles (un terrain plat ou en pente
légère sont préférés), les bons rendements
passés de la parcelle, gage d'une fertilité de la parcelle,
l'appréciation des végétaux de la friche (taille des
éléments ligneux de la friche : le diamètre des troncs, la
biomasse dense, la présence d'espèces indicatrices de phases
postpionnières de la régénération de la parcelle :
bambous et parfois épineux pour la culture de
150 « L'hypothèse que les effets de la friche
soient proportionnels à sa durée semblent logique mais pas
démontrée ». O. Ducourtieux 2006 :36. Mertz 2002 a
examiné 330 études pour conclure que la relation directe entre le
rendement et la durée de la friche n'est pas évidente et
proportionnelle.
151 maï tiou en langue lao ou cratoxylon en
latin.
maïs ; bananiers pour la culture de riz pluvial. Leurs
présences symbolisent de l'humidité dans le sols ainsi
fertilisés), l'exposition de la parcelle (à l'Ouest du territoire
et avec une exposition des parcelles à L'Est), au voisinage des
parcelles (une rivière, une forêt protégée...).
L'âge de la friche, tant valorisée pour être un indice de la
fertilité de la friche dans les travaux scientifique antérieurs,
n'est pas aussi importante pour les paysans du village. L'état
d'avancement de la régénération de la friche est plus
important pour sélectionner une parcelle et elle ne dépend pas
seulement de son âge contrairement aux conceptions gouvernementales
laotiennes qui considèrent qu'une friche devient forêt
après un certain nombre d'année (4 ans).
|