4. Les caractéristiques techniques :
4.1. Les ressources :
4.1.1. La forêt :
Les produits forestiers139 de la chasse, de la
pêche ou de la collecte ont encore une grande importance pour les apports
financiers, la diversité alimentaire et à la nécessaire
quantité de nourriture des villageois.
Préparation de l'écorce de mûrier à
papier indispensable pour des ressources financières familiales
très réduites.
Les villageois reviennent toujours des champs avec une
denrée alimentaire collectée sur le parcours du retour à
la maison. Le riz est la base de leur alimentation, mais ils ont besoin de
diversifier leurs régimes alimentaires avec des poissons,
différentes légumineuses sauvages, des rongeurs... La chasse, la
collecte, la pêche ne sont pas des amusements. Les enfants et les groupes
d'adultes peuvent avoir l'air de se faire plaisir à collecter et
à se rendre en forêt, mais revenir bredouille signifie ne pas
mangé beaucoup au retour. Ils ne mangent d'ailleurs pas souvent de
gibier car ils ne sont pas de très bons chasseurs. Les jours où
ils parviennent à tuer un cochon ou un cervidé sauvage, le
chasseur vend des morceaux plus ou moins importants aux voisins. Il peut aussi
décider d'offrir un repas pour la communauté. Dans ce cas, les
voisins qui avaient acheté la viande la ramèneront pour la
cuisiner et participer au frais du repas. Ces repas de chasse sont rares. Les
villageois sont de plus grands pêcheurs que chasseurs. Ils
n'hésitent pas à rester des heures la têtes baissée
dans l'eau avec une arbalète de fortune pour tenter de toucher un
poisson rapide et si petit que l'on se demande pourquoi tant de fatigue pour
quelques arrêtes.
Monsieur Paeng dit passer moins de temps en forêt que n'en
passaient ses parents et pense que la nouvelle génération ne
connaît pas la forêt aussi bien que leurs parents.
Il n'est pas un forestier. Les jours où il passe le
plus de temps en forêt sont ceux de la coupe. Ceux où il ne va
jamais en forêt sont ceux de l'attente de la récolte. Il ne passe
pas son temps en forêt comme le font d'autres chefs de famille qui aiment
chasser et pêcher.
139 NTFP : Non Timber Products forest ou SPAF : Sous Produits
agroforestiers : Pousses de bambous, l'écorce de mûrier à
papier (possa en lao), cardamome, champignons,
légumes-feuilles...
Il va toujours en forêt pour y travailler au champ, y
collecter rapidement et pêcher sans perdre de temps à
l'électricité mais jamais pour y chasser ou collecter, travail
voué aux femmes et aux enfants.
L'endroit où il va le plus souvent est celui où
il doit couper des arbres ou des lianes pour faire des clôtures.
Monsieur Paeng dit ne jamais aller à la source de la
rivière Houai Kha Nga, seul lieu du territoire où il n'a aucun
intérêt d'y aller.
Il peut aller seul en forêt s'en s'y sentir
apeuré. Il ne connaît aucune ancienne histoire locale
racontée à toutes les générations d'enfants qui se
déroule en forêt. Ses craintes viennent des serpents et des
chasseurs qui peuvent le prendre pour un gibier.
Il ne connaît aucun lieu porteur de chance mais avoue
que certains lieux pourraient être habités par des esprits depuis
30 ans. Par contre d'autres villageois en sont persuadés et en ont
peurs.
Le jeune marié pense que les villageois khamou de
Bouamphanh sont frugaux à la différence des Akkha qui se
complaisent à vivre dans la forêt. C'est pourquoi, en comparaison
à ces voisins, le territoire de Bouamphanh possède moins de
forêts protégées que de parcelles (jachères
comprises). Selon le jeune marié, les villages qui aiment faire de
grands repas communautaires, s'inviter à manger entre voisins, sont plus
proches des modes de vies laos et khamou que akkha, nous pourrions
préciser plus proches des agriculteurs que des forestiers.
Malgré cette différence qu'il émet entre
Khamou et Akkha, il ne pense pas que les techniques agraires soient
différentes entre eux. Les Khamou auraient des propensions plus grandes
à une utilisation extensive des terres, alors que les Akkha seraient
plutôt portés sur les produits de la forêt.
Cette utilisation extensive des sols a obligé le
village de Bouamphanh à replanter des arbres pour avoir de belles
forêts dans les années à venir et ainsi pouvoir
commercialiser les bois des plantations, avoir plus de gibier et d'autres
produits forestiers. Une <<belle forêt » est d'abord
considérée par son apparente densité, sa haute
canopée continue, son âge, sa couleur foncée, la
présence de certaines espèces de bois et de
bambous140, puis par les potentiels de son exploitation villageoise.
Les villageois, vivant des produits de la forêt (nous pouvons
considérer aussi bien les cendres végétales utiles aux
essarts, le bois de constructions, de feux, le gibier, les pousses de bambou et
les légumes-feuilles...) sont conscients qu'il faut avoir de
<<belles forêts » pour avoir des récoltes suffisantes,
une alimentation convenable.
Malgré tout, ils ne font pas quotidiennement
référence au conflit forêt-champ. Ce sujet revient à
certaines occasions, lorsque les officiers du ministère Agriculture et
Forêt viennent au village, lorsque l'eau des points d'eau s'amenuise
suite au défrichage de lieux normalement réservés à
l'eau ou lorsque la terre des parcelles s'érode dans la rivière
et empêche les villageois de pêcher à vue. Malgré
leur conscience qu'il faut avoir une <<belle forêt » pour
vivre, ils regrettent de ne pas avoir plus de terres à cultiver et
pensent corollairement avoir assez de territoires forestiers. Pour eux, soit
leurs rizières sont trop petites à cause de l'étroitesse
des vallons, soit leurs essarts ne sont pas assez étendus à cause
de la faible altitude des reliefs.
Si les villageois pensent ne pas avoir suffisamment de terres
cultivables et assez de terres forestières, les officiers pensent le
contraire. Cependant, les villageois font part de leur avis
140 Ce qui peut paraître paradoxale mais qui prouve la
présence d'eau dans le sol et qui peut aussi montrer une certaine
différence d'interprétation de ce qu'est une belle forêt
pour les villageois.
sans critiquer directement l'avis des officiers.
Plus fréquentes sont les critiques directement
dirigées vers <<ceux qui n'en font qu'à leur tête
>>, les kroun kidu et déboisent en zones
protégée des bassins versants, rendant ainsi le débit de
l'eau pratiquement inutilisable pour tous les besoins familiaux.
Si les Khamou de Bouamphanh connaissent des périodes
alimentaires difficiles, regrettant de posséder de bas reliefs et des
vallons étroits, ils préfèrent cependant vivre dans leur
village plutôt qu'en milieu forestier montagnard comme leurs voisins
akha. Ils reconnaissent que la vie y est plus difficile, le travail plus
pénible.
Ils souhaiteraient rester vivre à Bouamphanh et garder
<<la tradition des parents >> tout en ayant les opportunités
techniques des Lao. Un certain nombre de souhaits ont donc été
énuméré : l'accès à
l'électricité publique, à une cuisinière, à
des canaux d'irrigation cimentés, à des motoculteurs, des outils
de qualité comme les pioches, les pelles, des bêches en
quantités, des taules pour les toitures, plus sures que les herbes
à paillotes en saison des pluies, à une route enrobée plus
rapide, moins dangereuse et moins poussiéreuse et à un potentiel
commercial plus important (un marché plus grand, l'accès à
plus de marchés, la venue de plus de clients extérieurs),
favorisant l'économie de rente préférée à
l'autosuffisance qui semble peu à peu délaissée car trop
juste pour la sécurité financière des familles.
Selon la famille du jeune marié, les villageois
passeraient moins de temps à collecter en forêt, à chasser
et à pêcher que ne le faisait les anciens. Certaines personnes
peuvent passer au maximum une dizaine d'heures dans la forêt à
l'occasion des travaux de coupe et lors des sorties de chasses. Ils passeraient
au minimum 30 minutes en forêt par jour pour aller collecter les produits
alimentaires forestiers de bases que sont les pousses de bambous, les
légumesfeuilles et petits animaux piégés dans les
différents emplacements installés par les villageois. Le temps en
forêt n'est pas le seul outil d'analyse pour savoir si leur rapport avec
la forêt est prolongé ou occasionnel. Dans le cas où il
serait prolongé on peut facilement concevoir qu'ils souhaitent garder
leur environnement végétale source d'alimentation, de plaisir
collectifs à être entre amis pour les collectes, et de
repères spatiaux.
Selon le jeune marié, la forêt peut être un
lieu apaisant, intime ou les couples vont travailler mais aussi s'y sentir bien
lors des moments de repos. Le jeune marié dit d'ailleurs que
malgré le fait qu'un mari marche devant sa femme dans les lieux publics
du territoire, ils aiment se retrouver ensemble en forêt.
La forêt est aussi un lieu qui fait peur. Certains
couloirs de végétation non coupés (ruisseaux de vallon
où s'amoncelle la végétation non entretenue), où
personne n'est passé depuis longtemps peuvent abriter de mauvais
esprits, des animaux sauvages qui rendent les villageois attentifs aux moindres
bruits suspects. Les esprits seraient localisés dans les versants, les
parties d'anciennes forêts, plus denses que les forets clairs, des lieux
où il n'y a pas traces de passages humains, ainsi que dans la
forêt- cimetière proche du village. Aucun esprit ne logerait sur
les sommets.
Les différentes activités, légendes qui
sont en rapport avec la forêt sont des marqueurs culturels et
économiques importants pour distinguer les rapports humains à la
forêt. Nous pouvons nous apercevoir que les Khamou passent moins de temps
en forêts que les Akhas et qu'ils recherchent à étendre les
cultures, en acceptant les méthodes lao d'exploitation sédentaire
intensive des terres prônée par les autorités laos. La
conservation de la forêt n'est pas leur soucis premier. Ils seraient plus
tentés de l'exploiter sans limite comme le font déjà
certains
thaïs ou lao qui n'hésitent pas à
défricher de vastes zones protégées dans les parcs
nationaux de Sayaburi et de Phongsali. Lorsque la dépendance
économique à la forêt diminue, sa conservation n'est plus
primordiale et il faut alors concevoir un intérêt
écologique qui n'est pas encore l'apanage des villageois de la
région.
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