3.14. Les marchés :
Les villageois se rendent principalement aux marchés de
leur village, à Pak Nam May et à Sam
134 Le cycle de soixante est également utilisé chez
les Khamou pour nommer les années : 1995 était une année
raapke d'où un siècle de 60 ans.
135 Tayanin 1994 : 62-63-65.
Phan Xay. Chaque marché a lieu tous les 10 jours. Le
premier marché local est à Sin Xay. Le lendemain le marché
à lieu à Lat sang, le sur-lendemain à Bouamphanh et enfin
à Muang Khoua.
Le plus gros marché se situe à Lat Sang. A 60 km
de bouamphanh, à mi chemin entre Sin Xay et Khoua, il est
localisé sur la route bitumée qui se poursuit jusqu'au
Viêt-nam, à Dien Bien Phu.
Le village de Sin Xay est pourtant le véritable
carrefour dans la région. Il est situé à l'intersection
des routes qui mènent à l'Est et au Nord. Il pourrait être
le marché le plus attrayant. Les habitants des montagnes au nord d'Oudom
Xay, Muang La, Lat sang et Khoua se trouvent approximativement à la
même distance de Sin Xay.
Les responsables du village m'ont d'ailleurs fait savoir que
les responsables du district de Khoua souhaitaient développer Sin Xay.
La première maison en ciment a été construite cette
année. De nombreuses familles viennent s'y installer pour monter des
épiceries-restaurants pour les voyageurs et une famille à
construit une maison d'hôte modeste de 2 chambres et 6 places. Un
commissariat et de nombreux policiers sont présents pour contrôler
les allers et venues des groupes ethniques montagnards.
Développer Sin Xay serait un avantage pour les villageois
de Bouamphanh qui ne seraient lus qu'à 20 km et 30 minutes du plus
important marché avoisinant.
Aux marchés, il fut intéressant de constater que
les villageois ne savaient pas quelle origine avait le riz qu'ils achetaient.
Aucun écriteau ne pouvait leur faire connaître les provenances des
biens de consommations et les vendeurs parlaient rarement lao mais chinois.
Sans l'expérience de certains villageois, ils n'auraient pas pu
connaître l'origine de ce qu'ils mangeaient. Il semble que l'absence
d'indication sur les origines des denrées alimentaires ne soit pas un
soucis pour les villageois.
3.15. L'organisation du travail villageoise :
Affaiblissement de l'entraide.
Les parcelles ne sont pas travaillées en commun avec
d'autres familles. L'assolement est dit dispersé après
l'exécution du programme d'allocation des terres entériné
en 2000. Chaque famille est relativement indépendante pour choisir les
modalités d'exploitation de leurs parcelles. Les cinq groupes de travaux
agricoles, constitués par le conseil des anciens, servent aux besoins
urgents. L'entre aide régulière n'est donc pas
appliquée.
Ces manques sont dus à différentes raisons.
D'abord à une moyenne d'âge très jeune de
la population ne permettant pas d'avoir une main d'oeuvre disponible et
expérimentée toute l'année (uniquement en période
de vacances scolaires : deux mois).
La privatisation des terres, l'assolement dispersé et
le caractère pluriethnique villageois combinés renforcent aussi
les liens. Les identités ethniques s'en trouvent raffermies (« Ici,
c'est un village khamou », « Il y a beaucoup d'ethnies, Cinq
!»), faisant bien savoir que les Khamou sont majoritaires et que la
présence des autres ne changera pas l'appartenance khamou de
Bouamphanh.
Le manque de terre tant affiché par certain villageois ne
peut s'envisager que pour certains paysans pauvres en comparaison de leurs
voisins.
Il s'agit bien souvent des nouveaux arrivants appartenant aux
minorités ethniques villageoises qui connaissent des difficultés
souvent combinées : un manque de main d'oeuvre du au jeune âge des
membres de la famille et parfois à leurs états de santé
médiocres ; un manque d'entraide ; une réduction des surfaces
cultivables ; un appauvrissement des terres ; des outils de mauvaises
qualités et parfois de l'inexpérience des terrains du nouveau
village ;
l'impossibilité d'accéder à des
rizières de vallons pourtant plus productives que les essarts.
Cependant, un nombre important de familles khamou se plaignent d'un manque de
terres pour vivre mais souhaiteraient en faire des productions de rente.
Si un manque de terres cultivables est réel, les
priorités doivent aller aux bénéfices des plus pauvres du
villages qui n'ont pas assez de terres pour vivre et non pour commercer. Le
souhait communautaire devrait être que toutes les familles soient
autosuffisantes. Cependant l'avis général serait plutôt de
faire des réserves financières sans s'occuper des nouveaux
arrivants qui n'ont pas de quoi être autosuffisants.
Un certain caractère privatif et individualiste se
développe donc au village et l'entraide commence à donner des
signes d'essoufflement.
Il est remarquable de noter qu'Yves Goudineau136
avait déjà noté dans un village similaire à
Bouamphanh, habité par des populations khamou de la province de
Phongsaly, relocalisées depuis 10 ans, que l'entraide villageoise avait
diminué au profit d'un salariat villageois. Les villageois les plus
anciens ne faisaient pas tourner les meilleures parcelles.
Dans le cas de Bouamphanh, la situation est comparable puisque
la majorité des rizières irriguées est désormais
acquise en droit de propriété. L'exploitation de ces parcelles ne
sera pas villageoise. Elles ne pourront pas être redistribuées
à de nouvelles familles malgré l'importance qu'elles avaient dans
le choix de venir s'installer à Bouamphanh. La privatisation des terres
paraît être le premier facteur de l'amoindrissement de l'entraide.
L'assolement dispersé qui rend relativement indépendante chaque
exploitation familiale est aussi la source de la diminution de l'entraide.
L'assolement réglé présentait pourtant
des avantages vis à vis de l'économie de travail pour les
clôtures (clôturer en commun un seul pan de forêt villageois
est une économie de temps et d'énergie), un mode de travail en
commun qui permet l'entraide sur des parcelles adjacentes lors de certains
travaux où la main d'oeuvre nombreuse est indispensable (sarclage). Ce
mode d'assolement réglé réduit donc les
différenciation sociales et l'écart économique entre les
familles.
Le passage de l'assolement réglé au
dispersé serait dû, selon certains travaux,137 à
la réduction de la surface disponible à la culture après
l'exécution de l'allocation des terres et aux tensions villageoises qui
en découlent pour la gestion agricole. Il serait dû aussi à
l'augmentation de la densité de la population comme dans le cas de
Bouamphanh.
Les dépendances intra-villageoises sont les faits des
cérémonies auxquelles ils doivent participer pour fertiliser les
parcelles, des dates suivants celles que le chamane choisira pour semer, des
dates que leurs voisins de parcelles choisiront pour brûler leurs
champs138.
136 Y. Goudineau, 1996.
137 Keonuchan 2000.
138 Voir « Technique de brûlis » dans «
L'itinéraire technique ».
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