3.6. Localisation sociale au village :
Les foyers sont installés sur 1km dans le creux d'un
vallon et sur ses versants boisés ou essartés.
Les familles sont réparties dans 89 foyers
divisés en 3 grands ensembles d'habitations, tous situés proche
de la piste.
Arrivant du Sud, le premier ensemble de foyers est
regroupé près de l'infirmerie et du dortoir de l'école en
amont ainsi que de l'école et du chaman en aval. Le chef du village,
Monsieur Paeng et Monsieur Thon y vivent avec leur famille. Trois points
d'eaux, deux commerces et la maison du village utilisée pour les
réunions villageoises, sont installés dans la zone. Le groupe
ethnique Khamou y compose la très large majorité. Cette zone est
la plus importante du village, concentrant la majorité des
infrastructures et des personnalités importantes du village (le chamane,
le chef du village, les infirmières, deux institutrices et un
instituteur, Monsieur Paeng). La partie aval de cette zone est le lieu de
fondation du village, très exactement l'emplacement du foyer du chamane.
Il semble le lieu important du village se soit donc légèrement
déplacé en amont, se rapprochant ainsi de la piste sans
s'éloigner de son origine.
Dans le second ensemble de foyers, une plus importante partie
des habitants sont d'origines akha et pala. Les Khamou sont toutefois toujours
majoritaires. Dans cet ensemble, il n'y a pas de foyers éloignés
de la piste ni amont ni en aval. Un seul point d'eau est utilisable.
Dans le troisième ensemble de foyers se situe le
marché et trois épiceries, dont la principale du village. Deux
points d'eaux ont été installé. Plusieurs dizaines
d'habitations forment un quartier à l'écart de la route.
La séparation entre les 3 ensembles se fait par la
présence unique des greniers à riz au bord de la piste sur plus
de 200 m. Ces greniers sont construits à l'écart des habitations
pour éviter qu'ils ne prennent feux en cas d'incendies des foyers.
Les espaces entre les ensembles d'habitations peuvent atteindre
200 m, mais il s'agit ici encore
114 « beaucoup de poussière ».
non d'une volonté délibérée des
habitants mais d'une obligation géographique. La topographie de ces
espaces ne permet pas de construire de foyers. Les versants sont trop pentus et
friables. Seuls des greniers à riz et des enclos à cochons et
poules sont installés.
3.7. Langues :
A Bouamphanh, 5 langues sont parlées dont 4 appartenant
aux groupes ethniques. La plus utilisée est la langue nationale, le
lao115, que partage tous les groupes minoritaires et plus
particulièrement les Taï dam et Taï deng qui l'utilise
traditionnellement. La seconde langue majoritaire du village est le khamou Ou,
légèrement différente du khamou rook parlé dans la
province de Luang Nam Tha. Arrivent ensuite des langues des groupes ethniques
minoritaires au village : le phounoy, le akha et le pala.
Bouamphanh, chef lieu du canton numéro 7 est
marqué par son caractère pluriethnique. Bien que 80 % environ de
la population soit de culture khamou ou, presque 20 % de la population
rassemble les Akkha, Phounoy, Taï dam et Taï deng et Pala. Pour
chaque ethnie, la connaissance des langues étrangères,
utilisées pourtant dans un même village, est significative des
rapports ethniques.
Il a été noté que les Akha parlent plus
fréquemment khamou et lao que ne parlent akha les Khamou et les Lao.
Pour autant, certains villageois khamou connaissent quelques mots de
vocabulaire akha qui amusent la galerie Khamou.
Les Phounoy ont par contre beaucoup moins de connaissances de
la langue khamou. Ils utilisent uniquement le lao comme langue
étrangère à la leur.
Ainsi, les Phounoy utilisent fréquemment la langue lao et
très peu les autres langues ethniques lorsqu'ils discutent avec leurs
voisins.
Les Khamou utilisent le lao plus fréquemment que le khamou
lorsqu'ils discutent avec d'autres groupes ethniques que les Khamou.
Les Akha manient plus souvent le lao que le khamou ou le akha
lorsqu'ils rencontrent des groupes ethniques différents du leur.
Les Lao-Taï usent plus du lao que du khamou pour discuter
avec les autres groupes ethniques.
Les Akha nomment d'abord les ethnies voisines par le
auto-nominations propres de chaque ethnies voisines. Pour parler d'une personne
du groupe ethnique Khamou, ils diront d'abord qu'il est Khamou puis qu'il est
Lao Theung.
Les Khamou , Phounoi, Taï dam, Taï deng et lao
utilisent d'abord le terme générique Lao Soung puis Ko ou
Iko116 pour les désigner. Ils font d'abord
référence à l'appartenance laotienne (<< Lao soung
») avant d'appeler les Akkha par les termes Ko ou Iko que les Akha
n'utilisent jamais.
Les Lao utilisent aussi très souvent en premier terme de
désinence : << Lao theung » pour désigner les
Khamou. Les autres groupes ethniques appartenant officiellement au groupe
Lao-
115 Langue appartenant à la famille linguistique
thai-kaday.
116 Ko, Iko ou Kha sont d'anciens termes désignant les
<< esclaves » sous le royaume du Lane Xang puis sous les
régimes coloniaux. Ces termes ont désormais la connotation de
<< minorité d'altitude » ou d'une personne en étant un
des membres : Iko.
Theung sont donc souvent assimilés aux Khamou.
Nous pouvons ainsi percevoir avec l'utilisation des langues
étrangères pour chaque ethnie et avec les termes utilisés
pour présenter les ethnies voisines, comment se jouent les rapports
à la nation et au pouvoir. Les Akha, plus isolés, moins aider par
les O.N.G. et le gouvernement, n'ont pas été laocisé comme
ont pu l'être les ethnies vivant en aval. Ils sont rester très
respectueux des auto- nominations qu'ont choisi les ethnies voisines.
Les Khamou et Phounoi, Taï dam et Taï deng,
laocisés, respectent beaucoup moins les termes que choisissent les
ethnies voisines pour se singulariser. Ils font souvent référence
à l'appartenance laotienne de leurs voisins avant leur appartenance
ethnique.
Les instituteurs khamou, les infirmières, le chef du
village et les personnes qui travaillent ou ont travaillé en dehors du
village, utilisent souvent la classification Lao loum, Lao theung, Lao soung
pour ranger les ethnies minoritaires nationales. Cette classification
arbitraire du gouvernement laotien tente de ranger les ethnies par lieux
d'origines géographiques117. Cette classification ne rend pas
compte des différences culturelles entre toutes les ethnies
rangées dans la même appellation. Les villageois se trompent
d'ailleurs souvent en affirmant << Il parle lao soung >> pour
présenter une personne akha. Cette normalisation de ces appellations
crée peu à peu une incompréhension entre les
communautés, une homogénéisation des particularismes. La
langue lao soung n'existe pas puisque la catégorie Lao soung regroupe
différents groupes ethniques parlant différentes langues.
Lorsqu'une personne dit d'une autre qu'elle parle lao soung, elle veut souvent
dire qu'elle parle akha car les Akha sont les représentants
communément acceptés des Lao soung, comme le sont les Khamou pour
les Lao theung.
Les singularités sont pourtant recherchées par
toutes les ethnies. Chacun se nommera devant les autres ethnies, avec son
appartenance ethnique avant l'appartenance nationale (<< je suis Khamou,
Lao theung >>, << Je suis Phounoy >>...). Mais les ethnies
laocisées présenteront leurs voisins d'abord par leurs
références laotienne puis ethnique. Sa propre singularité
par rapport à celle des autres est plus développé chez les
ethnies laocisées. Viendrait elle d'un sentiment de
supériorité ou d'une tendance forte chez certains groupes
ethniques à vouloir gommer les singularités quand d'autres
ethnies la recherche ?
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