2.2.3. Les raisons du résultat négatif de
l'allocation des terres :
La relative bonne participation villageoise affichée
par les autorités ne coïncide pourtant pas avec les études
menées auprès des villageois. Une enquête
commissionnée en 2003 par la Banque Asiatique du Développement
sur la pauvreté au Laos70 montre que l'allocation
foncière est citée par les villageois comme la première
cause d'appauvrissement dans trois régions sur quatre (Nord, Est,
Centre). Ce résultat très négatif provient de plusieurs
facteurs liés : l'esprit général et la méthode de
la réforme foncière, la réduction de l'accès
à la terre, la détérioration des conditions de vies
locales, l'absence d'intensification de l'agriculture et le contexte de
recompositions territoriales.
- Le MAF opère une distinction théorique claire
entre une forme cyclique et pionnière d'agriculture sur brûlis.
Une politique restrictive et contraignante est généralement
appliquée vis à vis des culture sur brûlis cycliques. Les
jachères sont tolérés pour un maximum quatre
années71. L'article 35 de la loi sur la forêt de 1996
met en place des incitations financières pour les agriculteurs acceptant
de ne pas couper les arbres sur les jachères de cinq années et
plus. L'article 20 indique que les forêts de
régénération deviennent ensuite des forêts <<
de protection >> ou des forêts de << conservation
>>.
Il s'agit donc de contraindre les agriculteurs à
changer leur systèmes de production en réduisant leur espace
disponible, ou en d'autres termes à créer artificiellement de la
pression foncière, sans considération pour le coût social
d'une telle politique.
Cet impact socioéconomique globalement négatif
est aussi généralement attribué aux méthodes peu
participatives, à l'absence de concertation entre les services
concernés par les mises en oeuvres des allocations foncières et
à la volonté des services du MAF de réaliser l'allocation
le plus vite possible, de façon identique
70 ADB 2001 : 38-39.
71 Durée à partir de laquelle un recru forestier
est considéré comme une forêt en
régénération, dans laquelle les coupes ne sont pas
autorisées.
dans tous les villages72.
- La détermination des services techniques du MAF
à réduire les surfaces disponibles pour l'agriculture sur
brûlis s'affiche clairement dans les statistiques du RSCEC : 82 % des
surfaces allouées depuis 1995 ont été classées
comme zones forestières73. Parmi celles-ci, les forêts
d'usage courant74 représentent un quart du total, les
forêts « en régénération »75,
15 % et les forêts dégradées76 seulement 2 %.
Partout à l'issue de l'allocation foncière, les surfaces
protégées sont plus étendues que celles destinées
à l'usage.
- Cette réduction des espaces disponibles
s'opère au détriment des conditions de vie et de la
sécurité alimentaire des foyers, lesquelles ne font l'objet
d'aucune enquête statistique. Avec une réduction du temps de
friche (3 à 4 ans désormais contre 10 à 15 ans avant la
mise en place de l'allocation foncière) et dans un contexte où
les techniques n'évoluent pas ou peu, la fertilité des sols
d'altitude décroît fortement, les récoltes de paddy chutent
parfois de plus de la moitié77 et le temps nécessaire
au désherbage ne cesse d'augmenter en raison de la prolifération
des adventices herbeux. En raison de la pression foncière et
démographique, de nombreux produits non-ligneux indispensables se font
rares.
- Face à la réduction des ressources naturelles,
les agriculteurs ne disposent pas d'alternatives viables sur le long terme. Le
soutien technique des services publiques reste faible. L'étude
commissionnée par la Banque Asiatique du Développement
révèle que sur 91 villages étudiés dans 43
districts, aucun n'avait reçu d'aide technique directe pour
l'intensification de l'agriculture78. Une étude du NAFRI
menée en 2000 montre que parmi les 49 agriculteurs interrogés,
seuls 40 % d'entre eux ont pu augmenter leurs surfaces de rizières
tandis que dans 60 % des cas, l'allocation foncière n'a eu aucun impact
direct sur l'intensification agricole. Cette politique apparaît
même contraire à ses objectifs puisque dans les régions du
Nord, la production de riz d'essart a augmenté dans 47 % des cas
étudiés79.
- La réforme se déroule dans un contexte
défavorable de recompositions territoriales. L'allocation
foncière ne pourra donner de bons résultats que lorsque cesseront
les déplacements continuels de populations. Lorsque de nouvelles
populations arrivent en grand nombre sur un site, l'allocation des terres
devrait s'interrompre en attendant que les arrivées cessent. Certains
villages se retrouvent avec deux fois et demi moins de terres que
nécessaire pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie et
ce même en comptant les terres agricoles mises en réserves lors du
zonage et de l'allocation (entre 10 et 15 % en moyenne dans chaque village).
Depuis trois
72 O. Evrard, 2004.
73 MAF 2003 : 43.
74 pa som say : cueillette , récolte de bois,
chasse.
75 pa feun fou : jachères de plus de cinq ans
retirées des surfaces agricoles utilisables.
76 pa soud som : essartage toléré avec des
jachères de trois ans maximum.
77 Chamberlain et Phomsombath, 2003 : 35-39.
78 UNDP, 2001 :81.
79 Keoketsy et Bouthabandid et Noven, 2000 : 14.
décennies, le gouvernement lao encourage les villages
montagnards à s'installer dans les vallées. Dans la plupart des
districts montagneux, les objectifs sont de faire chuter le nombre de village
en déplaçant des milliers de familles. Le nombre de village
serait redescendu à 613 en 1999 alors qu'ils étaient 600 en 1985,
656 en 1990 et 662 en 199580. Les raisons évoquées
pour déplacer ces populations sont de l'ordre de la sauvegarde des
bassins versants dans lesquels sont situés certains villages, la
présence de cultures d'opium, l'implantation d'activités de
développement trop difficile, des populations inférieures
à 50 familles qui ne présentent donc pas officiellement un
<< village ». Il s'agit en fait de mieux contrôler les
populations mais également de rentabiliser les dépenses
d'infrastructures en regroupant les villageois dans des zones plus facilement
accessibles. Le coût humain de cette politique (mortalité
importante des populations allogènes) et le cynisme d'un gouvernement
lao qui incite les populations à se déplacer en leur promettant
une aide technique puis demande aux projets de développement
internationaux d'assumer cette responsabilité, ne sont pas
évoqués dans les résultats officiels de la
réforme.
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