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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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2.2.3. Les raisons du résultat négatif de l'allocation des terres :

La relative bonne participation villageoise affichée par les autorités ne coïncide pourtant pas avec les études menées auprès des villageois. Une enquête commissionnée en 2003 par la Banque Asiatique du Développement sur la pauvreté au Laos70 montre que l'allocation foncière est citée par les villageois comme la première cause d'appauvrissement dans trois régions sur quatre (Nord, Est, Centre). Ce résultat très négatif provient de plusieurs facteurs liés : l'esprit général et la méthode de la réforme foncière, la réduction de l'accès à la terre, la détérioration des conditions de vies locales, l'absence d'intensification de l'agriculture et le contexte de recompositions territoriales.

- Le MAF opère une distinction théorique claire entre une forme cyclique et pionnière d'agriculture sur brûlis. Une politique restrictive et contraignante est généralement appliquée vis à vis des culture sur brûlis cycliques. Les jachères sont tolérés pour un maximum quatre années71. L'article 35 de la loi sur la forêt de 1996 met en place des incitations financières pour les agriculteurs acceptant de ne pas couper les arbres sur les jachères de cinq années et plus. L'article 20 indique que les forêts de régénération deviennent ensuite des forêts << de protection >> ou des forêts de << conservation >>.

Il s'agit donc de contraindre les agriculteurs à changer leur systèmes de production en réduisant leur espace disponible, ou en d'autres termes à créer artificiellement de la pression foncière, sans considération pour le coût social d'une telle politique.

Cet impact socioéconomique globalement négatif est aussi généralement attribué aux méthodes peu participatives, à l'absence de concertation entre les services concernés par les mises en oeuvres des allocations foncières et à la volonté des services du MAF de réaliser l'allocation le plus vite possible, de façon identique

70 ADB 2001 : 38-39.

71 Durée à partir de laquelle un recru forestier est considéré comme une forêt en régénération, dans laquelle les coupes ne sont pas autorisées.

dans tous les villages72.

- La détermination des services techniques du MAF à réduire les surfaces disponibles pour l'agriculture sur brûlis s'affiche clairement dans les statistiques du RSCEC : 82 % des surfaces allouées depuis 1995 ont été classées comme zones forestières73. Parmi celles-ci, les forêts d'usage courant74 représentent un quart du total, les forêts « en régénération »75, 15 % et les forêts dégradées76 seulement 2 %. Partout à l'issue de l'allocation foncière, les surfaces protégées sont plus étendues que celles destinées à l'usage.

- Cette réduction des espaces disponibles s'opère au détriment des conditions de vie et de la sécurité alimentaire des foyers, lesquelles ne font l'objet d'aucune enquête statistique. Avec une réduction du temps de friche (3 à 4 ans désormais contre 10 à 15 ans avant la mise en place de l'allocation foncière) et dans un contexte où les techniques n'évoluent pas ou peu, la fertilité des sols d'altitude décroît fortement, les récoltes de paddy chutent parfois de plus de la moitié77 et le temps nécessaire au désherbage ne cesse d'augmenter en raison de la prolifération des adventices herbeux. En raison de la pression foncière et démographique, de nombreux produits non-ligneux indispensables se font rares.

- Face à la réduction des ressources naturelles, les agriculteurs ne disposent pas d'alternatives viables sur le long terme. Le soutien technique des services publiques reste faible. L'étude commissionnée par la Banque Asiatique du Développement révèle que sur 91 villages étudiés dans 43 districts, aucun n'avait reçu d'aide technique directe pour l'intensification de l'agriculture78. Une étude du NAFRI menée en 2000 montre que parmi les 49 agriculteurs interrogés, seuls 40 % d'entre eux ont pu augmenter leurs surfaces de rizières tandis que dans 60 % des cas, l'allocation foncière n'a eu aucun impact direct sur l'intensification agricole. Cette politique apparaît même contraire à ses objectifs puisque dans les régions du Nord, la production de riz d'essart a augmenté dans 47 % des cas étudiés79.

- La réforme se déroule dans un contexte défavorable de recompositions territoriales. L'allocation foncière ne pourra donner de bons résultats que lorsque cesseront les déplacements continuels de populations. Lorsque de nouvelles populations arrivent en grand nombre sur un site, l'allocation des terres devrait s'interrompre en attendant que les arrivées cessent. Certains villages se retrouvent avec deux fois et demi moins de terres que nécessaire pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie et ce même en comptant les terres agricoles mises en réserves lors du zonage et de l'allocation (entre 10 et 15 % en moyenne dans chaque village). Depuis trois

72 O. Evrard, 2004.

73 MAF 2003 : 43.

74 pa som say : cueillette , récolte de bois, chasse.

75 pa feun fou : jachères de plus de cinq ans retirées des surfaces agricoles utilisables.

76 pa soud som : essartage toléré avec des jachères de trois ans maximum.

77 Chamberlain et Phomsombath, 2003 : 35-39.

78 UNDP, 2001 :81.

79 Keoketsy et Bouthabandid et Noven, 2000 : 14.

décennies, le gouvernement lao encourage les villages montagnards à s'installer dans les vallées. Dans la plupart des districts montagneux, les objectifs sont de faire chuter le nombre de village en déplaçant des milliers de familles. Le nombre de village serait redescendu à 613 en 1999 alors qu'ils étaient 600 en 1985, 656 en 1990 et 662 en 199580. Les raisons évoquées pour déplacer ces populations sont de l'ordre de la sauvegarde des bassins versants dans lesquels sont situés certains villages, la présence de cultures d'opium, l'implantation d'activités de développement trop difficile, des populations inférieures à 50 familles qui ne présentent donc pas officiellement un << village ». Il s'agit en fait de mieux contrôler les populations mais également de rentabiliser les dépenses d'infrastructures en regroupant les villageois dans des zones plus facilement accessibles. Le coût humain de cette politique (mortalité importante des populations allogènes) et le cynisme d'un gouvernement lao qui incite les populations à se déplacer en leur promettant une aide technique puis demande aux projets de développement internationaux d'assumer cette responsabilité, ne sont pas évoqués dans les résultats officiels de la réforme.

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