2.1.3.1. Composante : le choc culturel
Un choc culturel se manifeste donc quand un individu est
« déraciné », quand il entre dans une
société dont l'organisation sociale et les
référentiels culturels sont sensiblement différents de ce
qu'il connait, l'amenant ainsi à perdre ses repères culturels,
symboliques, sociaux, les plus familiers. C'est une situation dans laquelle le
sujet est extérieur au consensus en vigueur sur la
réalité, aux significations partagées par ses hôtes.
En effet, nous structurons la réalité au cours d'un processus par
lequel nous tentons de faire correspondre notre conceptualisation interne du
monde aux stimuli externes que nous recevons de notre environnement (Zapf,
1991). Lorsque cette relation est positivement établie, nous sommes
à même de donner du sens aux situations, aux
événements. En revanche, si nous ne pouvons pas établir de
corrélation entre notre conceptualisation interne et les stimuli
externes, c'est le choc culturel. Pratiquement, dans un nouvel environnement,
le sujet fait face à des demandes auxquelles il doit répondre
(les stimuli externes). Par conséquent, selon l'intensité du
décalage entre le référentiel du sujet
dérivé de la société d'origine (son modèle
de conceptualisation interne) et ceux de la société d'accueil, le
processus d'ajustement pour arriver à un nouvel équilibre entre
les référentiels culturels (établir une
corrélation) est plus ou moins long.
La représentation classique de la résorption du
choc culturel en fonction du temps est celle de la courbe en U, initialement
développée par Lysgaard (1955). À sa suite, Oberg (1960)
décrit quatre stades d'ajustement psychologique à la
différence culturelle : la lune de miel, la crise, la
récupération et l'adaptation. En résumé, au
départ, rien ou presque ne trouble l'individu et l'aura de
nouveauté qui enveloppe la société d'accueil est
relativement stimulante. Ensuite, des problèmes plus sérieux font
surface à mesure que l'individu réalise la distance entre son
référentiel culturel et ceux de ses hôtes. Finalement, au
terme d'efforts d'adaptation continus, l'individu atteint une situation
d'équilibre psychologique plus pérenne et s'accoutume à la
symbolique locale. Par la suite, certains auteurs ont adapté la courbe
en U en une courbe en W afin d'inclure le stade du retour dans la
société d'origine. Pendant la période de
réajustement qui s'en suit, l'individu est tiraillé par un
processus de désintégration-réintégration qui le
pousse à rompre l'équilibre auquel il était parvenu dans
la société d'accueil afin de recouvrer celui qui lui permettra de
se familiariser à nouveau à la société d'origine.
Néanmoins, ces conceptualisations présentent certaines limites.
Tout d'abord, il y a peu de preuves empiriques suggérant que la
trajectoire des individus se conforme effectivement à celles que
prescrivent les modèles de la courbe en U et en W (Berry, 1997).
Ensuite, la temporalité de ces modèles, c'est-à-dire la
survenue des phases et leur durée, n'a pas non plus été
systématiquement vérifiée (ibid.). À ce sujet,
Church (1982) a conclu que les soubassements de la courbe en U-W sont fragiles,
que les études utilisant cette théorie sont peu concluantes, et
que les résultats obtenus font l'objet d'une
généralisation excessive.
TABLEAU 2 : autre exemples de modèles de courbe en
U
Auteurs
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Stade 1
|
Stade 2
|
Stade 3
|
Stade 4
|
Adler (1975)
|
Contact
|
Désintégration
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Réintégration
|
Autonomie
|
Kohls (1979)
|
Euphorie initiale
|
Hostilité
|
Ajustement progressif
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Adaptation
|
Berry (1997)
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Lune de miel
|
Conflit
|
Crise identitaire
|
Adaptation
|
|
Pour notre part, nous nous préférons nous
concentrer sur la nature des obstacles rencontrés et des
expériences vécues par les sujets au cours du déroulement
de leur séjour afin de comprendre leur processus de résorption du
choc culturel. Sous-tendant notre démarche est le principe selon lequel
l'individu doit établir et maintenir une relation stable avec son
environnement afin de fonctionner efficacement. Pour ce faire, nous partons
donc du postulat que l'homme a une propension naturelle à se
transformer, ce qu'il fait continuellement et plus ou moins consciemment
à mesure qu'il est confronté à des obstacles dans son
environnement. Insistons là sur le fait que les transformations sont le
produit d'une co-construction entre ce dernier et le sujet. Finalement, ce
processus de dépassement d'obstacles successifs entraine des cycles de
réorganisations internes (cognitives, affectives, motrices) relativement
pérennes qui tendent vers une complexification et un
élargissement des dispositions du sujet (Kim, 1988). De cette
manière, nous nous positionnons en faveur d'une approche plus positive
du choc culturel. L'incertitude inhérente à ce dernier n'est
ainsi pas forcément un facteur de stress mais, potentiellement, de
développement personnel (Milstein, 2005). Par ailleurs, le choc culturel
et les transformations qu'il initie offrent une occasion de retour sur soi. En
effet, tant que l'individu interagit avec ceux dont il partage les
significations, il est fort probable qu'il ne soit pas conscient de ces
dernières, tel un animal suspendu dans des toiles invisibles (voir
Geertz, 1973). En tant normal, il n'est donc pas enclin à questionner
ses pratiques et représentations, à prendre de la distance par
rapport à son référentiel culturel. C'est justement ce
qu'est susceptible de provoquer le choc culturel. Il est vecteur d'une
dimension culturelle analytique. En conséquence, notre système
interne d'action et de perception (notre référentiel culturel) ne
peut se révéler à nous que quand nous sommes contraints de
nous en écarter (Kim, 1988). De ce fait, le choc culturel
représente bien une véritable opportunité d'apprentissage.
Nous questionnerons donc les étudiants sur certaines situations qui font
partie intégrante de toute expérience à l'étranger
et face auxquelles ils se voient contraints de produire une réponse,
telles que l'obtention d'un logement, la réussite scolaire, la
communication avec les autochtones, etc. Ensuite, nous pourrons
sélectionner celles des expériences qui nous semblent
significatives pour explorer comment elles ont été
gérées. Cette focalisation sur la survenue et la gestion des
événements permet, selon nous, de prendre en compte le fort
degré de variabilité des transformations psychologiques d'un
individu à l'autre et de
nous dégager de toute contrainte temporelle.
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