En pratique, comment ces transformations culturelles se
traduisent-elles? Comment pouvons-nous les observer? Présentons ici les
indicateurs avec lesquels nous tenterons de repérer des changements
« culturels » chez les étudiants. Parmi les indicateurs
disponibles, nous porterons plus particulièrement notre attention sur
l'acquisition des compétences de communication, la distance culturelle,
ainsi que sur la sensibilité interculturelle.
Les compétences de communication
Le niveau d'aisance dans la pratique de la (ou les) langue(s)
de la société d'accueil ainsi que la connaissance des
règles de communication en usage (par exemple la gestuelle, le regard ou
encore la proxémie, soit la distance physique qui s'établit lors
des interactions entre les individus) forment ce que nous avons appelé
les compétences de communication. Elles sont de nature à
permettre au sujet de se rapprocher d'autres groupes socioculturels (Byram et
al., 1997). Plus généralement, l'acquisition d'une langue
étrangère est souvent l'un des objectifs prioritaires des
étudiants qui séjournent à l'étranger. La
maîtrise de la langue constitue donc une fin et un moyen pour les
programmes d'échange universitaire. Un degré minimum de
compétence communicationnelle est ainsi nécessaire pour
rencontrer des gens ou comprendre ce qui a lieu autour se soi par exemple. En
revanche, ne pas être en mesure d'échanger avec les autres
représente une barrière à l'intégration et peut
être facteur de stress, voire de mal-être. Cependant, s'il est
important pouvoir s'exprimer dans un langage compréhensible et de
connaître les normes sociales, cela n'est pas suffisant. Encore fautil
être capable de mettre cela en oeuvre quand la situation l'exige, sans
quoi l'individu ne pourra pas fonctionner efficacement dans son nouvel
environnement. C'est cet esprit d'à propos que nous pouvons appeler le
« feeling » (Bennett, 1993). Clairement, la maîtrise
d'une langue ou d'une norme sociale décontextualisée, sans la
conscience du terreau culturel dans lequel elle s'enracine, ne saurait se
révéler satisfaisante. Bennett (1993) utilise d'ailleurs le
syntagme « fluent fool » pour qualifier un individu qui,
tout en ayant une bonne connaissance de la langue et des règles de
conduite, ne se conforme pas aux normes communicationnelles de la
société d'accueil car il ne parvient pas à utiliser ses
savoirs de façon adéquate. Inversement, il utilise le syntagme
« cultural intelligence » pour faire référence
au respect et à l'usage approprié des règles de
communication. Ainsi, la communication se trouve être le vecteur d'une
dimension symbolique essentielle, significative culturellement. Comme le dit
Hall (1959, p. 186), « La culture est de la communication et la
communication est de la culture ». Par ailleurs, notons
qu'une langue n'est fondamentalement pas qu'un simple assemblage de mots. La
pensée s'enracine dans la langue, cette dernière est donc
porteuse de structures mentales particulières. La langue
catégorise le réel, en association avec les mots qui la composent
elle transmet tout une gamme de sous-entendus, d'implicite. Le langage est donc
un prisme qui oriente la perception de la réalité, en plus
d'être un outil pratique d'interaction. De ce fait, basculer «
intelligemment » ou « culturellement » d'une langue à une
autre implique de savoir se saisir de tout ce que le langage évoque
tacitement, de tout ce qui va de soi mais qui, pour un non-natif, un «
étranger », est susceptible de se dérober à lui.
Pour conclure, il ressort que l'acquisition d'une
compétence de communication fonctionnelle et d'un certain
feeling soit de nature à faciliter l'ensemble des
transformations socioculturelles.
La distance culturelle
Investiguons maintenant la notion de distance culturelle.
C'est l'écart que perçoit l'individu entre son
référentiel culturel et celui (ou ceux) qui compose la
société d'accueil telle qu'il se l'imagine. À partir de la
somme de ses représentations, l'individu opère une comparaison
des différences et similarités entre les sociétés.
Finalement, plus la perception des différences, au détriment des
similarités, est aiguë, plus la distance culturelle du sujet est
élevée.
Notons que les représentations de l'Autre sont
construites tout au long de la vie, souvent à notre insu, à
mesure que nous intégrons les infléchissements des groupes
culturels et sociaux qui s'entrecroisent dans notre environnement. C'est
pourquoi il n'est pas facile de s'en distancier, bien que ces
représentations soient du domaine des préjugés, des
stéréotypes, de l'imaginaire. « Les
stéréotypes sont des images que l'on a de son propre groupe
national (autostéréotypes) ou des autres groupes nationaux
(hétérostéréotypes) » (Pugibet, 1986, p.
60). Ils correspondent à une représentation partielle de la
réalité, sont simplificateurs et réducteurs (Porcher,
1995). Dans une certaine mesure, les
hétérostéréotypes révèlent la
façon dont un groupe ou une société se voit, se pense en
rêvant l'Autre (Pageaux, in Vatter, 2003) qui, de ce fait, devient une
sorte de miroir qui renvoie notre image. Finalement, les
stéréotypes mettent à jour certaines
ambiguïtés dans les représentations culturelles et sociales
dont l'individu est porteur vis-à-vis d'autres groupes
(AciolyRégnier et al., 2005). Ce n'est qu'ensuite, une fois à
l'étranger, que le sujet pourra s'engager dans un processus de
destruction d'images ou de représentations collectives de la
société d'accueil (Vatter, 2003). Ajoutons simplement que cet
indicateur ne nous renseigne nullement sur la façon dont l'individu est
susceptible de se situer dans la société d'accueil, sur la
manière dont il vit la distance culturelle. Il s'agit simplement ici de
dresser les contours d'une cartographie des préconceptions des
sujets.
La sensibilité interculturelle
En nous basant sur les travaux de Bennett (1986, 1993), nous
considérons la sensibilité interculturelle comme la
faculté d'accepter l'existence de points de vue multiples, de traits
culturels variés, et de les reconnaître comme valables, autant que
son propre point de vue ou ses propres traits culturels. Cette faculté
se traduit au niveau cognitif, affectif et comportemental. Elle est
nécessaire pour comprendre qu'il n'y a pas qu'une seule et unique
façon de faire les choses, la sienne, mais que d'autres approches d'un
même problème existent et sont viables. Cette faculté
dénote un intérêt pour l'Autre et un respect de ses
habitudes culturelles quelles qu'elles soient. Elle permet la
compréhension et l'acceptation des valeurs locales, l'abandon de sa
propre façon de faire au profit des usages locaux quand la situation
l'exige, le bon déroulement des interactions avec les membres de la
société d'accueil, ou, en bref, une réponse
appropriée aux exigences du quotidien. C'est un indicateur qui permet
d'évaluer comment l'individu gère pratiquement la distance
culturelle.