Malgré tout, ni notre synthèse sur la nature de
la CIC ni notre essai de définition ne sauraient se suffire à
eux-mêmes. La CIC telle que nous l'avons présentée est un
objet complexe et difficile à acquérir. Il convient donc de
procéder avec circonspection. De fait, il semble exceptionnel de jamais
pouvoir atteindre un véritable cosmopolitisme, c'est-à-dire de
parvenir à « s'enraciner dans la profondeur de plusieurs
mémoires, de multiples particularités, de revendiquer d'autres
appartenances en plus de la sienne » (Bruckner, 1992). La CIC englobe
en effet un vaste champ d'action aux multiples dimensions et, en dépit
de tout modèle (modèles qui ne sont par ailleurs jamais que des
représentations simplifiées de conduites humaines complexes), son
acquisition n'est jamais parachevée. En effet, dans une
société donnée, lors de ses interactions, le sujet n'a pas
affaire au « tout » de la culture d'autrui (Vatter, 2003), comme s'il
s'agissait d'un rayonnage dans lequel on pourrait piocher à sa guise. Il
est seulement possible de s'appuyer sur une connaissance partielle et
ponctuelle de tout référentiel culturel, de toute
société. L'élément clef, ce sont les acteurs par le
biais desquels cette connaissance est transmise, c'est-à-dire les
personnes avec lesquelles le sujet interagit et les situations auxquelles il
fait face, et qui font office de relai dans son apprentissage interculturel.
Ainsi, aucune expérience interculturelle n'est reproductible car elle
repose sur une intersubjectivité dont les conditions ne peuvent jamais
être identiques. On peut parler d'une double singularité
sujet/situation. Chaque séjour à l'étranger est donc
unique. Il en résulte une certaine connaissance graduée
d'éléments significatifs différente pour chaque individu
(ibid.). Par ailleurs, selon Tardy (1983) « il faut admettre enfin,
quoi que cela puisse coûter à notre orgueil, que la tâche
que je viens de décrire, au delà d'un certain seuil, devient
impossible. L'altérité culturelle, dans ce qu'elle a d'essentiel,
dans ce qui fait qu'elle est vraiment étrangère, est un objet
inaccessible. On peut tourner autour, se familiariser avec sa
périphérie. progresser un peu dans une fissure étroite.
Mais au-delà, il reste une sorte d'opacité constitutive des
rapports entre les êtres, qu'il est vain de vouloir nier, sauf par
arrogance. D'où cette phrase un peu sentencieuse, qui est, pour moi et
pour l'instant, le dernier mot de la question : l'éthique de la
différence, ce n'est pas chercher à comprendre totalement toutes
les altérités, c'est admettre qu'elles existent et être
capable d'en supporter l'existence, même incomprise, parce
qu'incomprise ». La CIC est donc un apprentissage à vie qui,
pour nous, aura rempli ses objectifs s'il contribue à faire passer les
gens d'un exotisme réciproque à une familiarité
réciproque (Vatter, 2003). Plus qu'un simple outil pratique
destiné à
évoluer dans un contexte donné, il s'agit
là d'un puissant outil social qui participe à la lutte contre
l'intolérance, la xénophobie et l'ethnocentrisme, tant chez soi
qu'à l'étranger (Fantini, 2000, 2001). Pour conclure, observons
à présent un détail qui a son importance : la perspective
civilisationnelle sous-jacente au concept de CIC. On ne peut faire
l'économie de remarquer que l'étude de cette dernière dans
le monde scientifique est largement, sinon exclusivement, européano- et
américanocentrée. Il est donc nécessaire de
reconnaître cette limite, qui peut même prendre l'allure d'un
paradoxe. Il semble en effet curieux que la recherche sur un concept qui plaide
pour l'ethnorelativité et la décentration soit subordonnée
à une aire civilisationnelle particulière : l'Occident.
Faisons-en notre profit et tâchons de nous montrer circonspects.