VI-3 : Proposition de solutions pour
l'amélioration du dispositif de lutte contre le blanchiment d'argent en
Afrique
L'exemple de nos travaux réalisés a la KJ BANK
illustre parfaitement, a l'échelle micro économique,
l'écart qui existe réellement entre les décisions prises
dans le sens de la lutte contre le blanchiment d'argent et la pratique. A ce
niveau de notre étude, nous voulons donc faire des propositions de
solutions a une échelle plus large: celle du continent africain. De ce
fait, les axes d'amélioration que nous proposerons n'intègreront
pas l'aspect chiffré des solutions proposées. Car, en pratique,
les estimations du coüt de la mise en cuvre de ces recommandations seront
propres a chaque Etat suivant les ressources dont il dispose.
> La formation et la sensibilisation
Des programmes structurés de formation et d'assistance
technique sont indispensables a la mise en place d'institutions capables de
lutter de facon suivie contre le blanchiment des capitaux en Afrique. Les pays
africains peuvent ainsi accroItre leurs propres moyens de lutte au point de
devenir des partenaires efficaces dans la campagne anti blanchiment de la
communauté internationale. Aux Etats Unis, par exemple, il existe les
ILEA24. Les ILEA ont été organisées et sont
financées par l'Institut National de Lutte contre la
prolifération des narcotiques et l'application des lois aux USA (INL).
Ils ont pour mission de fournir des cours aux cadres moyens de la police de
divers pays. Cette formation comprend des stages sur les délits
financiers et le blanchiment. Des séminaires sur ces questions ont
également été organisés a l'intention des cadres
supérieurs de la police dans certaines ILEA. Cette formule a
donné de bons résultats en Asie, en Amérique centrale, en
Amérique du Sud, en Russie, et en Europe centrale. La première
ILEA pour l'Europe a été établie a Budapest et elle se
concentre principalement sur la formation des services de police et de justice
pénale de l'Europe centrale. Une
24 International Law Enforcement Academies en
francais Academies d'application des Lois Internationales
ILEA pour le Sud-Est asiatique a été
inaugurée en mars 1999 a Bangkok, et plus d'un millier de fonctionnaires
de 10 pays du Sud-Est asiatique ont assisté a ses cours. Une ILEA pour
l'Afrique australe a ouvert ses portes le 23 avril 2001 a Gaborone (Botswana).
L'exemple des ILEA est très évocateur des possibilités
dont disposent les Etats africains pour participer, voire même
élaborer, eux-mêmes, des plans de formation pertinents en
direction des différents acteurs de leurs secteurs financiers
respectifs. D'ailleurs, le Botswana, par son rapprochement a l'INL pour se
doter d'une ILEA depuis 2001, nous montre la voie a suivre.
A ce titre, nous pouvons proposer une méthode simple
permettant de détecter qu'une action pourrait relever du blanchiment
d'argent, même sans avoir préalablement reçu une formation
sur ce concept. Elle se résume en cinq (5) questions clés a
savoir:
1. Est-ce que je connais bien ce client?
2. Est-ce que je comprends parfaitement l'opération que
le client désire effectuer?
3. Suis-je réticent a faire cette opération?
4. L'opération est-elle justifiable compte tenu du profil
du client?
5. S'agit-il d'une méthode courante d'effectuer ce genre
d'opérations?
Selon nous, sensibiliser l'opinion générale
africaine, et surtout les praticiens (banquiers, courtiers en assurance,
employés de casinos, etc...), a répondre a ces cinq questions
essentielles avant d'entamer toutes transactions financières avec un
client serait un grand pas vers la vulgarisation totale du concept de
blanchiment d'argent sur le continent africain. Pour ce faire, les pays
pourraient utiliser leurs médias (radiodiffusion,
télévision, etc...) mais aussi la publicité (panneaux,
pancartes ou simples affiches selon les moyens) pour que chaque citoyen se
sente directement concerné par ce phénomène, qui, faut-il
le rappeler, est en constante évolution.
> La volonté institutionnelle et
politique
De plus en plus de << citoyens du monde >>
refusent la perspective de vivre sur une planète oü nombre
d'activités humaines seraient, directement ou indirectement, sous
l'influence d'organisations criminelles transnationales disposant de
capacités économiques et financières quasiment
illimitées. Certaines des plus hautes autorités spirituelles se
sont, d'ailleurs, inquiétées de la gravité de la menace.
Le Pape Jean Paul II s'est exprimé a diverses reprises sur ce
thème; ainsi, dans l'exhortation apostolique rendue publique lors de sa
visite au Mexique en janvier 1999, il a solennellement appelé les
Eglises du continent américain a se mobiliser contre les <<
recyclages d'argent >>. Chaque pays doit donc veiller a ce que ses
services de police et ses autorités de réglementation ainsi que
son appareil judiciaire communiquent entre eux, échangent les
renseignements les plus importants et coordonnent leurs activités.
Toutefois, il faudra encore attendre pour être slir que
l'expression de la volonté politique ne se résumera pas a la
présentation de << catalogues >> successifs de bonnes
intentions. Il apparaIt, en effet, que le contexte général soit
plutOt favorable au développement du recyclage de l'argent de provenance
plus ou moins douteuse, en particulier d'origine criminelle .Dans le même
temps, les efforts de lutte demeurent très dispersés, tant sur le
plan international que national. Car, même a l'échelle de
l'Europe, « Pourquoi voulez-vous que les dirigeants de cette Europe
politique mettent de la bonne volonté a supprimer ces réseaux
d'argent sale dont ils se sont servis pour asseoir leur pouvoir? [...J. Ils se
protègent; malheureusement, en se protégeant, ils
protègent beaucoup d'autres choses. Lorsque vous entravez la
coopération des juges en matière de corruption, vous l'entravez
en tous domaines; vous l'entravez sur les trafics de drogue, le
proxénétisme, la mafia [...J »25.
Compte tenu de tous ces éléments, la lutte
contre le blanchiment d'argent ne semble guère pouvoir se
dérouler dans des conditions satisfaisantes. Les enjeux politiques,
sociaux, économiques et financiers sont pourtant essentiels. Les
autorités politiques, nationales et internationales devraient, de ce
fait, tout mettre en cuvre pour prévenir l'apparition de
déséquilibres irrémédiables.
> Le soutien des institutions du secteur privé
et informel
S'il est vrai que la lutte contre le blanchiment de capitaux
doit être élaborée et conduite de facon rigoureuse par
chaque Etat, il n'en demeure pas moins que cette tâche ne relève
pas uniquement du seul service public.
En effet, les entreprises du secteur privé et informel
peuvent faire l'objet de tentatives de
blanchiment d'argent. Car, ces dernières font
généralement preuve d' <<ignorance volontaire
>>26. En guise d'exemple d'<<ignorance
volontaire>>, considérons un concessionnaire d'automobiles qui
fait affaire avec un client intéressé a acheter une
voiture d'une valeur de 10 millions de FCFA. Le client, qui
désire payer comptant, sort d'un sac de sport la somme exacte en
coupures de 10 000 FCFA et de 5 000 FCFA. Ce mode de paiement est fort
inhabituel. Il devrait donc éveiller immédiatement les
soupcons du vendeur. Et, dans pareil cas, ce dernier a le
devoir de demander des
explications. Toutefois, notre concessionnaire n'en fait rien,
par crainte de compromettre une vente rapide et de perdre une commission
alléchante. Or, les personnes qui ferment
les yeux sur les indicateurs clés du blanchiment
d'argent, risquent, par leur "ignorance volontaire", d'être
directement impliquées dans les trafics des blanchisseurs d'argent.
25 Propos cités dans D. Robert, La Justice ou le
chaos, Stock, 1996, p. 47.
26 Font preuve d'ignorance volontaire les personnes qui, pour
éviter de faire face a la réalité, négligent en
toute connaissance de cause de prendre les mesures qui s'imposent dans une
situation oü il y a matière a enquête.
Source : Le blanchiment d'argent-guide de prevention,
Gendarmerie Royale du Canada, 2006
Par conséquent, si l'acheteur du véhicule se trouve
être impliqué dans une affaire de blanchiment d'argent, le
concessionnaire peut être incriminé pour complicité.
Il est nécessaire d'obtenir des chefs d'entreprise du
secteur privé et informel,
principalement dans le secteur des services financiers
(institutions de micro finance, coopératives d'épargne et de
crédit, etc...), qu'ils soutiennent les initiatives des pouvoirs
publics contre le blanchiment d'argent et la délinquance
financière. Cela pourrait se faire par des ateliers de formation
à leur endroit. La COte d'Ivoire semble avoir commencé
à
exploiter cette piste. En effet, un atelier de sensibilisation
des entreprises et professions
financières sur l'importance de la lutte contre le
blanchiment d'argent et le financement du terrorisme s'est tenu à
Abidjan du 17 au 19 juin 2009. Il s'est agit de trois jours de travaux en
atelier dont le thème était `'Impact du secteur informel sur
la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme dans la
zone UEMOA». L'objectif de cet
atelier était donc clairement de convaincre les acteurs
non professionnels à s'impliquer davantage dans le processus de la
lutte contre le blanchiment d'argent et le financement
du terrorisme, qui sont deux fléaux qui menacent de nos
jours les systèmes économiques nationaux.
De telles initiatives sont à encourager et à
perpétuer. Ainsi, chaque Etat africain, à commencer par la
COte d'Ivoire, pourrait s'approprier ce genre d'atelier et les réaliser
au
moins une fois par an à l'endroit des différentes
entreprises du secteur privé et informel. Le but est qu'à
terme, ces entreprises, soient sensibilisées sur les dangers
qu'elles encourent relativement au blanchiment d'argent et sur les effets
qu'une négligence de ce
phénomène de leur part peut engendrer pour les
économies des pays oü elles résident.
De sorte que, les entreprises du secteur privé et
informel puissent repousser leurs instincts du <<profit à tout
prix>> pour faire bloc contre les éventuelles tentatives de
blanchiment d'argent auxquelles elles pourraient être
confrontées. > La cooperation internationale
Le constat est que, malheureusement, le continent africain
demeure l'une des zones pour lesquelles le GAFI dispose de moins d'informations
possible.
Peut-être parce que le GAFI a fait cuvre de pionnier en
la matière, on a constaté ces cinq dernières années
qu'un certain nombre d'organismes internationaux s'intéressent de plus
près au blanchiment de capitaux. Néanmoins, pour que la campagne
menée contre la menace de blanchiment de capitaux soit cohérente
et efficace, il faut coordonner les activités de tous ces organismes et
faire en sorte que chacun joue un rOle clairement défini. Car, il est
indéniable que les mesures anti-blanchiment contraignent souvent les
blanchisseurs de capitaux à se déplacer vers des secteurs de
l'économie mal armés pour
traiter ce problème. Dans ces cas, il faut que le
dispositif national soit suffisamment souple pour étendre les
contre-mesures à de nouveaux domaines de l'économie du pays. En
outre, il faut que les gouvernements nationaux travaillent avec d'autres
juridictions pour faire en sorte que les blanchisseurs ne puissent plus se
contenter de déplacer leurs activités vers des lieux oü l'on
tolère le blanchiment de capitaux. Les institutions africaines disposent
déjà d'un statut d'observateur du GAFI. C'est déjà
un bon début. Néanmoins, la coopération doit être
encore plus étroite.
Il appartient donc à chacune des structures mises en
place en Afrique de communiquer régulièrement avec le GAFI sur
les résultats de leurs enquêtes ou éventuellement sur les
difficultés qu'elles rencontrent dans la mise en cuvre de leurs
diligences. En d'autres termes, les pays devraient participer activement
à toutes les réunions internationales et régionales pour
accroItre leurs connaissances sur le blanchiment d'argent et leur
coopération dans ce domaine.
Notre troisième partie nous a permis de donner un
aperçu général du niveau de la lutte contre le blanchiment
d'argent en Afrique. C'est dans cette optique, par ailleurs, que nous nous
sommes intéressés au cas particulier d'une banque ivoirienne au
sein de laquelle nous avons eu à effectuer une mission de revue des
procédures internes de lutte contre le blanchiment de capitaux. A
l'issue de nos travaux, il ressort que l'Afrique peine à démarrer
véritablement une lutte efficace contre la délinquance
financière. Nous avons donc proposé quelques solutions
susceptibles d'aider à l'amélioration de la situation actuelle.
Elles se résument d'abord à une sensibilisation de l'opinion
générale africaine par l'intermédiaire notamment de
formations pour les praticiens, ensuite à la mobilisation des secteurs
publics et privés, et enfin à une collaboration étroite
entre les Etats pour la lutte contre le blanchiment d'argent.
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