Chapitre 6 : Evaluation et proposition d'un plan
d'actions pour l'amélioration des procédures de lutte contre le
blanchiment d'argent en Afrique
Dans ce chapitre, nous allons apporter notre contribution
à l'amélioration de la lutte contre le blanchiment d'argent en
Afrique. Pour ce faire, nous allons d'abord présenter les axes
d'amélioration des initiatives déjà prises dans ce sens
par les Etats africains, avant de proposer, ensuite, des voies de solution
pouvant permettre de redynamiser la lutte contre le trafic de l'argent "sale"
en Afrique.
VI-!: Analyse critique de la politique africaine de
lutte contre le blanchiment d'argent par rapport au niveau mondial du
fléau
L'un des constats fondamentaux en matière de lutte
contre le blanchiment d'argent en Afrique, c'est que les institutions et les
textes de lois existent dans la quasi-totalité des
Etats. Toutefois, la volonté, et surtout la mise en cuvre
effective des diligences édictées pour combattre
véritablement le fléau peinent à se concrétiser
dans les faits.
A ce niveau de notre étude, nous avons donc voulu mettre
en exergue les difficultés qui, pour nous, constitue un frein
à la mise en cuvre d'une lutte efficace contre le
blanchiment de capitaux. Nos remarques s'articulent par ailleurs
autour de quatre (4) axes principaux à savoir:
V' Le cadre d'amélioration de la lutte contre le
blanchiment d'argent
Les mécanismes de lutte contre le blanchiment d'argent au
niveau mondial sont en constante évolution. Cette situation est sans
surprise au regard de l'ingéniosité des
blanchisseurs d'argent qui s'adaptent aisément aux
évolutions technologiques pour les besoins de leurs méfaits.
La lutte devient dès lors de plus en plus complexe. Et, il
apparaIt, de ce fait, nécessaire de procéder a
des améliorations constantes en réponse aux menaces
évolutives du secteur financier.C'est pourquoi le GAFI a
créé, au niveau
international, un cadre de concertation et d'échanges
d'informations. Cette démarche
vise a mettre a jour les méthodes de lutte contre le
blanchiment d'argent de facon permanente. Pour ce faire, cet organisme
international s'est fait aidé du FMI et de la Banque Mondiale pour
sensibiliser les Etats et participer a l'orientation de leurs
politiques de lutte contre le blanchiment d'argent.
Toutefois, l'Afrique reste la région sur laquelle le
GAFI a le moins d'informations. En effet, les membres cette institution
internationale ne disposent pas de données qui permettraient de penser
que les pays africains abritent d'importants centres internationaux de
blanchiment des capitaux. Des déclarations de soupcons22 ont
certes été émises concernant des réseaux de
blanchiment d'argent en Afrique. C'est le cas des problèmes qui ont
été détectés en Afrique occidentale concernant les
opérations internationales de groupes nigérians, qui s'engagent
dans un large éventail d'activités criminelles, y compris
certains mécanismes de fraude très élaborés. Il a
été également établi que les pays d'Afrique du Nord
sont liés a des opérations de trafic de stupéfiants ayant
des ramifications en Europe occidentale, oü les produits de cette
activité circulent avant de revenir vers les pays producteurs. Certains
pays occidentaux ont enfin signalé d'importantes opérations de
blanchiment des capitaux de la drogue entre les communautés
d'émigrés africains dans les pays membres du GAFI. Mais ces
efforts restent bien insuffisants pour permettre aux institutions
internationales, telles que le GAFI, spécialisées dans la lutte
anti-blanchiment d'argent, d'agir de manière efficace dans l'orientation
des politiques préventives en Afrique.
On en arrive donc a la conclusion que le cadre
d'amélioration de la lutte contre le blanchiment de capitaux en Afrique
est lacunaire ou parfois même inexistant.
V' L'absence de formation spécialisée pour
les praticiens
Le concept de blanchiment d'argent est quasiment ignoré
de l'opinion publique africaine. A titre d'expérience personnelle,
nous avons entrepris un sondage sur un
22 Il s'agit de déclarations d'opérations
suspectes établies par toute personne physique ou morale qui, dans le
cadre de sa profession, réalise, contrôle ou conseille des
opérations entraInant des dépôts, des échanges, des
placements , des conversions ou tous autres mouvements de capitaux ou de tous
autres biens ( Cf. annexe IV pour modèle de
déclarations de soupcons en Côte d'Ivoire).
échantillon d'une vingtaine de polytechniciens de
l'INP-HB, pris au hasard, au sein des filières comptables et
financières. Le résultat de notre mini-enquête est que sur
vingt cinq (25) personnes interrogées, treize (13) avaient une vague
idée de la définition du blanchiment d'argent, huit (8) disaient
avoir entendu parler de ce phénomène sans trop savoir pourquoi on
devait le combattre, et quatre (4) ignoraient totalement de quoi il s'agissait.
Bien sftr, cet échantillon n'est pas représentatif du niveau
d'information de la nation ivoirienne, et partant de celle de l'Afrique toute
entière, quant a ce problème. Néanmoins, il nous
interpelle sur le fait qu'il existe une véritable <<
asymétrie d'information >> entre les praticiens23
africains et leurs homologues des pays étrangers.
La raison est que les cellules nationales de traitement de
l'information financière, lorsqu'elles existent au sein des Etats
africains, ne font pas ou font très peu de sensibilisation a l'endroit
des praticiens. Cela se ressent donc bien évidemment sur les
populations. Dans la mesure oü, si les praticiens ne sont pas suffisamment
formés sur les différentes évolutions du concept au plan
international, ils ne peuvent pas valablement s'occuper de la formation des
populations sur ce problème. A titre illustratif, l'un des rOles de la
Gendarmerie Royale du Canada (GRC) dans le cadre de l'initiative nationale de
lutte contre le blanchiment d'argent est de renseigner le public. A cet effet,
la GRC a élaboré un guide de prévention destiné aux
petites entreprises et aux bureaux de change du Canada. Cela a
été possible parce que les agents de la GRC ont eux-mêmes
préalablement été formés et sensibilisés aux
effets pervers du blanchiment de capitaux.
Ce genre de formation destinée a la vulgarisation du
concept n'est toutefois pas encore répandu en Afrique. Si on prend par
exemple l'Etat de COte d'Ivoire. Combien de fois avons-nous assisté a
des débats, fussent ils simplement a la radio, sur le concept de
blanchiment d'argent? Combien de journaux consacrent-il ne serait ce qu'une
page ou même leur éditorial pour parler de ce fléau?
Pourtant, au regard de ce tout ce qui a été dit dans les
précédents chapitres, le blanchiment d'argent, pour ce qui est de
l'Afrique, menace sérieusement les projets de développement et
peut avoir une incidence sur la stabilité sociopolitique des Etats. Cela
est en grande partie lié, selon nous, au fait que ces structures ne
disposent elles-mêmes pas de la plénitude des informations. En
effet, bon nombre de structures de lutte contre le blanchiment d'argent
existent au sein de nos Etats d'Afrique. Toutefois, elles ne participent que
très peu aux rencontres et autres séminaires de formation du GAFI
a leur endroit. Le résultat est d'ailleurs que le GAFI ne dispose pas
d'informations suffisantes sur la délinquance financière en
Afrique. La faute est liée a un système opaque oü les
institutions de lutte anti-blanchiment disposent de très de peu de
moyens. Elles sont limitées et ne peuvent donc pas mettre en cuvre
convenablement l'ensemble des diligences requises pour la bonne conduite de
leurs travaux. Cet état de fait est bien souvent attribué a la
situation économique des pays a
23 Les acteurs effectifs ou potentiels du marché
économique et financier
savoir Pays En voie de Développement (PED), Pays
à Revenus Moyens (PMR), Pays Pauvres Très Endettés (PPTE),
etc...
Pourtant si on considère les fonds que l'on
réussit à mobiliser en Afrique chaque année pour la lutte
contre certaines pandémies telles que le Sida, ne serait-il pas
possible, avec une réelle organisation, de parvenir à mobiliser
des ressources pour la formation de nos praticiens?
V' Faible volonté politique pour combattre le
blanchiment des capitaux, le financement du crime et la corruption en
général
Le précédent axe de réflexion sur les
défaillances du système africain de lutte contre le blanchiment
d'argent a ouvert la voie sur le point que nous abordons à
présent. En effet, le manque de moyens et de formation des cellules et
autres organismes en charge de la lutte contre le blanchiment d'argent
dénote parfois d'un manque de volonté politique pour combattre le
blanchiment de capitaux, le financement du crime et la corruption en
général.
Le constat est que les Etats africains constituent
jusqu'à ce jour des cibles privilégiées du blanchiment
d'argent du fait de leurs besoins constant en investissements
extérieurs; mais aussi en raison de la flexibilité de leur
législations juridiques et fiscales en matière de blanchiment
d'argent. D'ailleurs, la corruption endémique et le détournement
de deniers publics, ajoutés à la fraude et l'évasion
fiscale qui prévalent dans la plupart de nos Etats africains viennent
corroborer notre position. L'implication de telles actions se manifeste par un
désintérêt au plus haut niveau de décision
étatique pour les questions de blanchiment d'argent. La raison
principale de tels agissements tire son origine soit d'une
méconnaissance des impacts du blanchiment d'argent, soit dans la
recherche de profit:
· La méconnaissance des impacts du blanchiment
d'argent
Les impacts économiques internationaux du blanchiment
d'argent sont connus de par le monde. Cependant, les effets "corrosifs" sur les
Etats et les populations sont toujours méconnus ou tout simplement
négligés, en particulier au sein de nos pays africains.
· La recherche de profit
Il est avéré, que les détournements de
fonds sont monnaies courantes au sein de certains régimes des Etats
africains. En plus, le niveau de rémunération des employés
des administrations publiques et parfois même du privé, favorise
la corruption. Dans ce contexte, les pays africains pour lesquels la corruption
fait partie des <<habitudes>> populaires ont tendance à
mettre en place des institutions de façade censées lutter contre
le blanchiment d'argent alors qu'en réalité il n'en est rien. En
effet, les Etats africains qui disposent de lois contre le blanchiment d'argent
sont appréciés par les autorités de contrOles (GAFI, FMI,
BCEAO, etc...) car ils semblent à priori déterminés
à lutter contre
ce phénomène. Cette situation rend
également les bailleurs de fonds étrangers plus disposés
à investir dans de tels pays. Certains gouvernements africains ont par
conséquent tendance à élaborer des lois formelles qu'ils
n'appliquent pas effectivement. D'autres vont plus loin, en créant,
conformément aux textes de lois édictés, des structures
(CENTIF, etc...) auxquelles ils allouent des ressources tant humaines que
financières très insuffisantes pour mener à bien leur
mission. Dans ce genre de circonstance, ces pays n'ont élaboré
des lois contre le blanchiment d'argent que pour faire bonne impression
auprès des institutions internationales (Bretton Woods, etc...), mais
aussi pour rassurer les bailleurs de fonds étrangers en vue de
bénéficier, par ailleurs, des aides au développement et
autres investissements qui pourraient en découler par la suite en leur
faveur.
1' Les capacités institutionnelles
Le point qui précède permet aisément
d'introduire celui qui est développé à ce niveau. En
effet, la lutte contre le blanchiment de capitaux est plus que
nécessaire en Afrique. Chaque Etat doit donc faire preuve de vigilance
et surtout de rigueur face à ce fléau dont les acteurs sont des
adeptes de la corruption et autres malversations du même genre. De
nombreux pays africains ont donc créé des cellules nationales de
traitement de l'information financière (CENTIF) depuis quelques
années. Toutefois, les institutions mises sur pied si elles n'existent
pas seulement que de nom, ne disposent pas de tous les moyens dont elles ont
besoin pour mener à bien leurs missions respectives. Par exemple, le
Togo a initié un atelier de deux jours à Lomé, pour
réfléchir sur sa stratégie de lutte contre le blanchiment
d'argent, le 30 mars 2009. Bien sftr les autorités togolaises avait
pourtant créé il y a quelques années, l'Office central de
répression du trafic illicite des drogues et du blanchiment (OCRTIDB).
La réalisation, en 2009, de cet atelier de réflexion sur la
stratégie de lutte contre le blanchiment de capitaux au Togo, vient donc
corroborer le fait que les politiques antérieures de cet Etat
n'étaient que soit très superficielles, soit nécessitaient
un réel besoin de recadrage. Ce recadrage n'est malheureusement
intervenu qu'en 2009 alors que le fléau du blanchiment d'argent est
d'actualité depuis bien longtemps déjà. De plus, la mise
en place en janvier dernier, de la Cellule nationale de traitement des
informations financières (CENTIF) du Togo abonde dans le même sens
que notre précédent constat.
On se rend donc à l'évidence que les
capacités des institutions africaines de lutte contre le blanchiment
d'argent demeurent bien faibles.
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