Une première remarque s'impose sur la
problématique du rapport entre fétichisme/sorcellerie et
politique : posée par tous nos prédécesseurs. Au fond,
tous ces auteurs auront mis l'accent particulier sur la dimension
économico-politique. Il faut souligner que tous les travaux que nous
avons recensés, dans le cadre du lien entre la sorcellerie et le
politique, sont marqués du sceau très remarquable du
matérialisme historique de Karl MARX. « Toutes ces études
viennent fustiger les rapports aussi bien de domination, des luttes de groupes
et de génération, que les rapports d'exploitation d'un groupe par
un autre groupe ».92
Néanmoins, rares sont les études sur le
fétichisme politique comme conséquence des compétitions
électorales que se livrent les hommes politiques dans la conquête
et la consolidation du pouvoir politique au Gabon, particulièrement
à Libreville. Il faut rappeler que Pierre BOURDIEU, s'agissant de la
question du fétichisme politique, lançait déjà le
concept dans ses travaux, en présentant la délégation du
pouvoir entre le mandant (le peuple) et le mandataire (l'homme politique)
où ces mandataires ou fétiches politiques que sont des gens, des
choses, des êtres, qui semblent ne devoir qu'à eux-mêmes une
existence que les agents sociaux leur ont donnée ; les mandants adorent
leur propre créature.
Pour sa part, Joseph TONDA a pu se rendre compte que «
de jour comme de nuit, les cimetières sont visités. Les ossements
humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire-là, les parties
génitales sont recherchées et que les « clitos » sont
devenus des barres d'or ».93 De plus, les profanations des
tombes deviennent le lot quotidien des Librevillois qui assistent à ces
phénomènes sans pouvoir réagir en périodes
électorales. L'exemple le plus significatif est celui de « la
criminalisation populaire des
92 Davy Willis KOUMBI OVENGA, Mort et pouvoir. Violence
politique et société initiatique Ndjembè en postcolonie
gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville,
UOB/FLSH, 2006, p.39.
93 Joseph TONDA, Fétichisme politique,
fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au
Gabon op.cit., p.4, citant le Missamu, n°239 du 26 novembre
2001, p.3, le n°226 du 21 avril 2001, et la Griffe n°412 du
3 janvier 2001 et enfin, la Griffe n°409 du 6 décembre
2000.
mandataires ou de manière générale ; de
tout homme politique, soupçonnés ou accusés d'attenter
pour des raisons et par des moyens fétichistes, mais aussi par la
violence physique, à l'intégrité physique des mandats, est
un phénomène ordinaire au Gabon ».94 En plus,
« cette criminalité se caractérise par des « meurtres
rituels », ou, comme il se dit aussi et suivant une logique de
redoublement symbolique, « des sacrifices rituels ». L'objectif
étant de prélever des organes humains appelés
significativement « pièces détachées » :
langues, mains, oreilles, crânes, coeurs, organes génitaux
».95
Venons-en à présent à la question de
« ces pièces détachées » qui font l'objet de
collecte et de convoitise de la part de ces hommes politiques ou «
mandataires » à l'approche des élections politiques.
Rappelons que les auteurs que nous avons convoqués ont
évoqué tous, comme nous l'avons dit, l'aspect
économico-politique du rapport entre fétichisme et politique. En
fin de compte, il s'agit d'un problème qui relèverait d'une
dimension purement culturelle de « ces pièces
détachées » que nous voulons mettre ici en lumière ;
dans un souci de montrer l'omniprésence du culturel pour expliquer, sans
doute, le recours des hommes politiques aux « pièces
détachées ». Ceci dérive en dernière analyse
du culte des ancêtres, toujours présent chez
nombre de gabonais.
Nous concluons, dans cette étude, que notre
problématique s'appesantit sur le passage d'une économie
symbolique lignagère à une économie de marché. On
vend les éléments du corps humain sur le marché et au
politique.
Eu égard tout ce qui précède, nous ne
pouvons que nous inscrire que dans la sociologie dynamique de
Georges BALANDIER. Comme l'écrit Davy Willis KOUMBI-OVENGA, le choix de
BALANDIER est pertinent par le fait qu'il est le sociologue et l'anthropologue
qui a le plus marqué la sociologie africaniste des années 1950 en
Afrique coloniale. Il est le premier à initier la réflexion sur
le politique et le religieux en Afrique centrale et particulièrement au
Gabon et au Congo. Echappant à
94 Ibid., p.3.
95 Ibid, p.3.
l'opposition individu-société,
certains auteurs renouant avec la tradition sociologique bien établie
s'intéressant aux changements sociaux, au devenir des
sociétés. Les mutations sociales semblent être le terrain
privilégié de la sociologie car elles relèvent à la
fois de la théorie et de la pratique.
BALANDIER a donc observé la décolonisation des
Etats africains et leur évolution. Pour notre cas, il s'agit de voir
l'aspect culturel du culte des ancêtres, à travers la conservation
des reliques humaines, qui interviennent aujourd'hui en tant que «
pièces détachées » dans la sphère du pouvoir
politique. Pour finir, ce que BALANDIER tente de faire saisir à travers
ces sociétés en évolution rapide, particulièrement
le Gabon, c'est la part d'invisible, mais surtout
d'imprévisible qu'elles cachent sous leurs apparences plus ou moins
agitées.