Florence BERNAULT définit la « sorcellerie
»41 ou la magie voire le fétichisme comme « des
actions contemporaines cachées, manipulées volontairement ou
involontairement par des hommes en contact avec la réalité
surnaturelle, pour certains effets. Ces effets peuvent être
bénéfiques socialement ou au contraire destructeurs, lorsque le
spécialiste (ou le commanditaire des actes sorciers) tue ou blesse
mystiquement ses
37 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche
en sciences sociales, 2ème éd, Paris, Dunod,
1995, p.43.
38 Ibid., p.85.
39 Ibid., p.85.
40 Ibid., p.86.
41 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, in MAMA AFRICA : Hommage à Catherine
COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE,
Paris, l'Harmattan, 2005, p.1.
proches pour son seul bénéfice
».42 A noter que l'usage populaire emploie aussi le terme
français de « vampire ».
Evans PRITCHARD43 affirme que la sorcellerie est
par essence mauvaise dans la mesure où elle est
délibérément destinée à faire du mal. Loin
ici de nous limiter à cette approche, notre préoccupation est de
cerner le phénomène social que représente la sorcellerie
de façon objective. En effet, pour le cerner de façon objective,
on peut s'inscrire dans une perspective pluridisciplinaire, en faisant appel
à l'histoire. Il s'agit de voir comment la législation
française, sous la coloniale, aura interdit immédiatement
après la conquête, « la pratique des autopsies et
l'exposition des défunts. Elle décréta
simultanément l'obligation des enterrements dans les cimetières
publics, la condamnation des reliques sous la rubrique profanation de cadavres
»44, et conduisit avec l'aide des missionnaires
chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires
considérés comme « fétiches » et fatras sorcier
indésirable.
D'après Florence BERNAULT, «
L'omniprésence de la mort, la destruction et de la violence symbolique
signale un changement idéologique considérable au sein des
relations entre sorcellerie et pouvoir. Donc pour en cerner l'ampleur, il faut,
comme évoqué plus haut, rester une nouvelle fois sur le
passé (donc l'histoire en tant que discipline qui étudie les
faits passés.) Avant la conquête coloniale, le pouvoir de vie et
de mort sur les gens était détenu par les chefs et
spécialistes (Nganga) et était régulé
collectivement, et dans l'idéal, protégeait la communauté.
A l'inverse, il pouvait contribuer à la destruction de celle-ci
lorsqu'il servait l'unique profit individuel et anti-social des
détenteurs de forces extraordinaires. Les années 90 apportent un
renouveau des études ayant pris également sa source parmi les
anthropologues et sociologues, qui mettent en évidence la
vitalité de la sorcellerie au sein des instances les plus modernes
(politique et économique) des sociétés africaines : le
champ urbain aussi bien que rural, discours des élites et de
l'État, nouveaux conflits parentaux, sociopolitiques. Cette vision
conflictualiste,
42 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, Ibid., p.1.
43 Evans PRITCHARD cité par Jacques LOMBARD in
Introduction à l'ethnologie, 2ème
édition, Paris, Armand Colin, (coll. « Cursus, série
Sociologie »), 1998, p.131.
44 Florence BERNAULT, Economie de la mort et reproduction
sociale au Gabon, ibid., p.3.
nous permet de savoir comment la sorcellerie peut être
utilisée au sein de d'un même groupe à la fois comme
violence symbolique, sociale, et comme outil d'accumulation économique
et de domination politique ».45
En outre, « la sorcellerie est affaire de pouvoir, mais
un pouvoir déstructuré, en constant changement, accaparé
ou rêvé, ici et là, par toute une gamme des acteurs sociaux
».46 Enfin, dans cette perspective, il serait
intéressant de considérer « la sorcellerie comme ressource,
énergie ou capital dont disposerait ou non les individus en fonction des
situations et des positions occupées dans l'organisation des rapports de
forces ».47
On peut encore ajouter un autre argument, encore plus
pertinent ; car « l'un des aspects centraux de la sorcellerie
équatoriale réside dans sa relation avec le pouvoir
».48 En résumé, nous retiendrons d'abord que pour
Florence BERNAULT cette emprise de la sorcellerie dans le pouvoir fait que le
chef soit craint voire vénéré ; incarnant ainsi le pouvoir
spirituel et politique. En ce sens, « l'omniprésence de la mort, de
la destruction et de la violence signale un changement idéologique
considérable au sein des relations entre sorcellerie et pouvoir
».49
Peter GESCHIERE50 met clairement en
évidence le rapport entre sorcellerie et politique en Afrique
postcoloniale, particulièrement au Cameroun. En effet, « la
pérennité de l'importance de la sorcellerie pour le politique en
Afrique était liée aux paroxysmes autoritaires de nombreux
régimes ».51 De plus, « cette forte présence
de l'occulte dans la politique n'est guère surprenante : les discours
sur la sorcellerie ont toujours fourni un des idiomes
préférés de l'interprétation du pouvoir et surtout
de l'explication des inégalités de pouvoir en Afrique
».52 On pourrait résumer une de ses hypothèses
comme suit : que la sorcellerie a, semble t-il pour mission de servir à
la fois aux « petits », comme une arme égalisatrice contre les
« grands » et aux anciens eux-mêmes qui cherchent à
45 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au
Gabon et au Congo-Brazzaville, 2005, p.5.
46 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, Dynamiques de
l'invisible en Afrique, Ibid., p.3.
47 Ibid., p.4.
48 Florence BERNAULT, Magie, sorcellerie et politique au
Gabon et au Congo-Brazzaville, p.4.
49 Ibid., p.6.
50 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique : le
piège du rapport élite-village, 16 pages.
51 Ibid, p.82.
52 Ibid., p.82.
consolider leur ascendant et à réaliser leurs
ambitions. Prenant appui sur l'exemple du rapport
élite-village, il montre que les élites ont
déserté leurs villages d'origines car elles sont au croisement de
la parenté et des nouveaux rapports de pouvoir et richesse. Les
villageois voient en leurs élites, de nouveaux sorciers qui, pour avoir
accumulé richesse, pouvoir et prestige sont donc en rapport avec les
pratiques sorcellaires et l'occultisme. Ce qui créée de la
jalousie de la part des villageois pour les élites, et qui
débouche sur le recours à la sorcellerie.
D'où un rapport ambigu entre élites et
villageois. Aussi arrive t-il à cette conclusion que « politique et
sorcellerie sont difficiles à séparer ». Et dans un climat
autoritaire et opaque, les confrontations politiques se confondent en effet
aisément avec les histoires de batailles nocturnes que les sorciers se
livrent entre eux.
Par ailleurs, plus que « des actions contemporaines
cachées, manipulées volontairement par des hommes en contact avec
la réalité surnaturelle, pour certains, effets. Ces effets,
peuvent être bénéfiques socialement ou au contraire
destructeurs, lorsque le spécialiste (ou le commanditaire des actes
sorciers) tue ou blesse mystiquement ses proches pour son seul
bénéfice »53 ; la sorcellerie est plutôt
perçue comme « une image symbole, véritable obsession, et
qui pourrait bien être générale pour l'Afrique, est celle
des rencontres nocturnes des sorciers qui, chacun à leur tour, offrent
un parent à manger à leurs acolytes ».54
53 Florence BERNAULT, op.cit., p.1.
54 Peter GESCHIERE, op.cit., p.84.