Tout objet d'étude doit pouvoir s'inscrire dans un
champ précis pour dégager les relations de causalité entre
les différentes composantes de l'objet.
Mesmin Noël SOUMAHO définit le champ
d'étude ou cadre de référence comme le « cadre
théorique général dans lequel s'intègre la
problématique de l'étude ».23 De plus, «
toute science cherche à définir son domaine, à mettre en
évidence des faits en vue d'établir des lois ».24
Le choix de la sociologie de la religion et du pouvoir comme cadres de
référence de notre étude, nous permet d'expliquer le fait
religieux et non pas de tout expliquer en termes religieux d'abord. Ensuite, il
s'agit pour nous de voir que le fait religieux et les pratiques religieuses
sont non seulement contemporaines à la naissance de la sociologie, mais
que le fait religieux entretient un rapport étroit avec le politique, le
pouvoir. Nous pouvons préciser que la religion, tout comme le pouvoir,
sont des produits de la société.
Pour ce qui est de la sociologie des religions, la sociologie
classique a essentiellement ouvert trois modes d'approches en ce domaine. Nous
faisons référence ici à trois grandes figures de la
sociologie que sont DURKHEIM, MARX et WEBER. A ce propos, nous voulons ici
inscrire le culte des ancêtres comme fait religieux, impliquant des
croyances, le sacré, le profane et des rites qui le composent.
23 Mesmin Noël SOUMAHO, Eléments de
méthodologie pour une lecture critique, Préface de J.COPANS
et Postface de J.G BIDIMA, (coll. « Recherche Gabonaises »)
, l'Harmattan, et Libreville, CERGEP Editions, T.1, 2002, p.123.
24 Gaston MIALARET, Introduction aux sciences de
l'éducation, Paris-Genève, Unesco-Delachaux et
Niestlé, 1985, p.25, cité par Max Alexandre NGOUA in La
sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de
l'économie et de l'Etat capitaliste, rapport de Licence en
Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, p.5.
En fait, si nous avons convoqué le culte des
ancêtres (Byéri, Bwété, Agombé
nèrô, Ndjobi, Malumbi, etc.), c'est parce que nous voulons montrer
qu'il est l'élément qui permet d'expliquer le
phénomène des profanations des tombes et dont les «
pièces détachées », particulièrement le
crâne humain font l'objet d'un culte. A travers le culte des
ancêtres, il s'agit là tout simplement de la préservation
des crânes des ancêtres, comme outil, comme support permettant
d'apporter prospérité à son détenteur. Toutefois,
cette préservation du culte des ancêtres a subi l'influence du
capitalisme, pour s'inscrire dans la marchandisation des restes humains. Et les
profanations des tombes viennent attester cette altération du culte des
ancêtres.
Finalement, en nous référant au culte des
ancêtres, c'est aussi, montrer la fonction de la société
lignagère en rapport avec le pouvoir. En ce sens, celui qui
détenait le crâne de l'ancêtre, détenait le pouvoir
et on se trouvait ici dans un système symbolique lignager (exclusivement
familial).
Pour DURKHEIM, « les phénomènes religieux
se rangent tout naturellement en deux catégories fondamentales : les
croyances et les rites. Les premières sont des états de
l'opinion, elles consistent en représentations ; les secondes sont des
modes d'action déterminés ».25 De plus, «
les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et
isolent [...] Enfin, les rites sont des règles de conduites qui
prescrivent comment l'homme doit se comporter avec les choses sacrées
».26
L'ensemble des croyances et des rites correspondants
constitue une religion. Durkheim entrevoit toute religion par sa
capacité à distinguer le sacré et le profane. Il nous
propose donc la définition suivante : « une religion est un
système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des
choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites,
croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale,
appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent ».27
25 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse, Paris, (coll. « Le livre de Poche
»), classiques de Philosophie, 1991, p.92.
26 Ibid., pp.98-99.
27 Emile DURKHEIM, Les formes élémentaires de
la vie religieuse op.cit., p.110.
Pour WEBER, « la religion définit les
orientations normatives de l'action, elle fixe un cadre nécessaire
à des conduites ».28
Enfin pour MARX, la religion est le produit de la
société. Ce dernier considère que « la religion est
à la fois l'expression de l'aliénation des individus et un
discours de légitimation de l'ordre établi »29 et
surtout de protestation. Mieux, elle est un mode de mystification assurant
l'aliénation des acteurs dominés aux profits de ceux qui les
exploitent. Ainsi, « la détresse religieuse est pour une part,
l'expression de la détresse réelle et, pour l'autre, la
protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir
de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans coeur, comme
elle est l'esprit des conditions sociales dont l'esprit est exclu. Elle est
l'opium du peuple ».30
En convoquant la sociologie du pouvoir, nous voulons
appréhender ce qu'on entend par la sociologie du pouvoir. Ensuite, il y
a un lien étroit entre religion et pouvoir. Pour Marta HARNECKER, le
pouvoir politique se définit comme « la capacité d'utiliser
l'appareil d'Etat pour réaliser les objectifs politiques de la classe
dominante ».31 Mieux, la sociologie politique « est la
science du pouvoir (de l'autorité, du commandement, du gouvernement)
dans quelque société humaine que ce soit et pas seulement dans
les sociétés étatiques ».32 Dans cette
définition du pouvoir, il convient de présenter deux de ses
caractéristiques : «d'abord sa fonction de régulation
sociale. Le pouvoir est indispensable et se renforce grâce aux
inégalités qu'il a pour but de combattre et qui le justifient,
d'où son ambiguïté. Dans une société sans
conflits, le pouvoir serait inutile. Georges BALANDIER ajoute une seconde
caractéristique importante : la sacralité, toujours
présente, bien que plus ou moins manifeste suivant les
sociétés ».33
28 Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du
capitalisme, Paris, Plon, 1967, cité par M.A. NGOUA, op.cit
p.5.
29 Alain BEITONE et al, Sciences sociales,
3ème éd., Paris, (coll. «
aide-mémoire »), Dalloz, 2002, p.269.
30 Ibid., p.269.
31 Marta HARNECKER, Les concepts élémentaires
du matérialisme historique, Bruxelles, Editions Contradictions,
1974, p.105.
32 Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Sociologie
politique, 5ème édition, Paris, (coll. «
Domat Politique »), éd. Montchrestien, 1998, p.30.
33 Madeleine GRAWITZ, op.cit. p.288.
L'étude du pouvoir implique l'observation des
mécanismes politiques (élections, référendums,
etc.) par lesquels il se conquiert et s'exerce, la sphère d'action ou
d'intervention des gouvernants, telle qu'elle peut être
déterminée par les institutions existantes et par les positions
ou réactions du corps social, c'est-à-dire les formes,
l'étendue et les limites du pouvoir, ainsi que les techniques de
gouvernement ou moyens d'exercer le pouvoir. Or, il est indéniable que
le pouvoir est intimement lié à la religion. Mieux, le pouvoir
est lié à la sorcellerie, au fétichisme. En effet, «
la perception de la puissance politique des hommes (ou des femmes politiques)
participe du même schème de la criminalisation liée
à leur appartenance aux confréries et sectes supposées
exiger des sacrifices humains en échange du pouvoir et/ou de la
consommation des marchandises ».34
Enfin, Georges BALANDIER nous invite à considérer
que
l'imbrication du sacré et du politique est, dans ce
cas, déjà incontestable. « Dans les sociétés
modernes laïcisées, elle demeure apparente ; le pouvoir n'y est
jamais entièrement vidé de son contenu religieux qui reste
présent, réduit et discret ».35 En ce sens,
« le pouvoir est sacralisé parce que toute société
affirme sa volonté d'éternité et redoute le retour au
chaos comme réalisation de sa propre mort ».36
34 Joseph TONDA, op.cit, p.3.
35 Georges BALANDIER, anthropologie politique, Paris,
Puf /Quadrige, 1999, p.118.
36 Ibid., p.119.