Section 2 : La sécurité des morts au
cimetière de Mindoubé
1. Absence de normes de sécurisation du site
Par normes de sécurisation, nous entendons ici
l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable
en toute saison de l'année, l'entretien du site ne serait ce même
que le désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces
normes de sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts.
Le respect des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le
seul site qui présente cette absence de normes de sécurisation ;
Plaine Niger, Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là
présentent les mêmes difficultés. Face à une telle
situation, comment ne pas comprendre que nos cimetières sont
visités à des heures tardives de la nuit et ce, en
périodes électorales ?
On en veut pour preuve la photo n° 11 : « La
formation d'un ruisseau »
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Cette photo montre bien que la barrière, ce qui reste
de la clôture est entrain d'aller en ruine. Ou même la photo
n°14 : « L'un des poteaux électriques
existant.»
Source : Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Là aussi, le manque d'entretien de la clôture
fait que l'herbe pousse et l'étouffe. Mais cette photo illustre surtout
le fait qu'il y a un poteau électrique mais qu'il ne fonctionne pas. De
facto, le site demeure dans le noir total.
2. Mindoubé, un site particulier
Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit ici
d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles : l'une
étant la récupération des « pièces
détachées » pour le cimetière et l'autre,
s'appesantissant sur le recyclage des ordures pour ce qui est de la
décharge publique à ordures. On comprend donc qu'il existe deux
structures communales. Or ce site est du domaine municipal, donc de la Mairie
de Libreville, mieux se l'Etat et de son autorité. En outre, il ya lieu
de dire que la décharge publique et le cimetière sont des
éléments morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux
où l'on vient jeter ce qui ne sert plus (le cas de la décharge
publique) et pour l'autre, où l'on vient déposer, enterrer les
morts, ceux qui ne vivent plus (le cas du cimetière).
Aussi, deux directions se déclinent : la
première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la
seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits
dans le marché économique. En ce qui concerne la décharge
publique de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle ;
ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette
situation se présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil,
où l'on parle de « bidonvilles » ou « favelas ».
Pour le cimetière, il s'agit de la problématique de la
récupération d'ordre magique et économique des restes
humains. Cependant l'État est incapable de rendre justice sur cette
exploitation des corps ; ce qui fait que l'État, in fine, organise les
pratiques magiques. C'est aussi l'exercice du pouvoir par des moyens
symboliques ; puisque la commune est liée à l'État et
donc, il doit régir.
Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir,
qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme
politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de
Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable
de réagir. En filigrane, les profanations des tombes pose le
problème de l'État et du droit dans cette
récupération des restes humains. Ce qui nous conduit à
voir la définition de l'État chez WEBER.
Pour lui, l'État se définit comme « une
communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire
déterminé, revendique avec succès pour son propre compte
le monopole de la violence physique légitime ».216
L'État est le support du pouvoir politique dans les
sociétés modernes. Mieux, « dans le sens plus restreint,
l'État est parfois assimilé aux éléments qui
constituent l'administration centrale, se distinguant ainsi des
collectivités locales ou des organismes relevant de la
sécurité sociale ».217
On peut renchérir cette approche de l'État
conçu par WEBER en disant « que tout État est fondé
sur la force,[...] S'il n'existait que des structures sociales d'où
toute violence serait absente, le concept d'État aurait alors disparu et
il subsisterait que ce qu'on appelle, au sens propre du terme "l'anarchie"
».218 En somme, « l'État consiste en un rapport de
domination de l'homme sur l'homme fondé sur le moyen de la violence
légitime (c'est-à-dire sur la violence qui est
considérée comme légitime). L'État ne peut donc
exister qu'à condition que les hommes dominés se soumettent
à l'autorité revendiquée chaque fois par les dominateurs
».219
Mieux encore, chez WEBER, l'État « est une
institution qui possède, dans une collectivité donnée, le
monopole de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est
participer à des conflits dont l'enjeu est la puissance- puissance
d'influer sur l'État et par là même sur la
collectivité ».220 Nous partageons ce point de vue de
WEBER sur l'État et le monopole de la violence légitime dans une
communauté d'hommes.
Pour monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, « l'État ne
peut pas régler ce problème puisque ce sont toujours les
mêmes hauts types qui sont toujours élus et qui profanent nos
tombes pour gagner les élections. Comme on ne peut pas saisir la justice
puisque c'est un "cercle vicieux" qui gère le pays, j'attends les
vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour
frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par
soi-même car la justice c'est pour ceux qui
216 Alain BEITONE et al., Sciences sociales,
3ème éd., Paris, Sirey, (coll. «
aide-mémoire »), 2002, p.58.
217 Ibid., p.58.
218 Max WEBER, Le savant et le politique.
Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. «
Bibliothèques 10- 18 »), 1963, p.29.
219 Ibid., p.29.
220 Ibid., p.32.
gouvernent, et ceux qui gouvernent, ce sont encore eux qui
font ces choses d'une autre époque ».221
Dans cette même perspective, monsieur MBADINGA
affirmé que « il ya au Gabon des prédateurs qui chassent
les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes à des
heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous sommes vivants on
n'est pas en sécurité, à plus forte raison morts ? Tu
vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien, surtout pour ce
genre d'affaire, ces plaintes que nous adressons sont oubliées
expressément par l'État, il s'en fou puisque ces gens là
n'enterrent pas leurs parents ici ; ils font leurs caveaux familiaux et
viennent prendre ce qui reste de nos parents. C'est révoltant ce que
l'État fait, il ne réagit pas et ne puni pas les vrais
coupables ».222
En fin de compte, comme nous l'avons déjà fait
remarquer plus haut, c'est ce même État qui gère la
cité et qui est impliqué dans le fétichisme politique ; en
exerçant son pouvoir par des moyens symboliques. D'autant plus que des
plaintes ont été formulées par les familles des victimes
des profanations des tombes ; il demeure malgré tout incapable de
réagir. C'est en définitive le problème du droit et de
l'État qui se pose en filigrane.
221 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA lors de notre
passage le 1er mars 2007 à Mindoubé, qui, pour la
circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre
canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des
tombes. Cf. la photo n° 6 de la page 74.
222 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de
Mindoubé le 1er novembre 2007.
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